L’application de la théorie du bilan au chevet de la constitutionnalité des opérations de restauration immobilière

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 30 octobre 2023, req. n° 474408 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Par une décision du 30 octobre 2023, le conseil d’Etat écarte une QPC soulevant l’atteinte au droit de propriété du dispositif législatif encadrant l’opération de restauration immobilière (ORI), et consacre par la même occasion l’application de la « théorie du bilan » pour contrôler l’utilité publique des travaux de restauration immobilière.

Pour reprendre les mots du rapporteur public 1)C.Malverti, Conclusions sous CE 30 octobre 2023 Mme B, req. n°474408, mentionné aux Tables du Rec. CE, l’ORI est un « dispositif original, seule procédure d’urbanisme permettant à une personne publique de prescrire aux propriétaires d’immeuble la réalisation de travaux sous peine d’expropriation ». Née sous l’égide de la loi n°62-903 du 4 août 1962 dite loi Malraux, l’ORI encadrée par les articles L.313-4 et suivants du code de l’urbanisme, œuvre toujours à la restauration immobilière des centres anciens dégradés.

Au cas d’espèce, Mme B, propriétaire d’un bien immobilier dans la commune de Béthune a engagé un recours en annulation contre l’arrêté de cessibilité des immeubles nécessaires à une opération de restauration immobilière, contestant l’inclusion de son immeuble comportant un ancien hôtel désaffecté dans cette ORI. Sa requête ayant été rejetée tour à tour par le tribunal administratif de Lille 2)TA Lille 20 juillet 2021 req. n°1902691, puis la cour administrative d’appel de Douai 3)CAA Douai 24 novembre 2022, req. n°21DA02274, Mme B se pourvoit en cassation, et soulève également dans le cadre de son pourvoi une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) selon les termes suivants :

Les dispositions des articles L.313-4, L.313-4-1, L..313-4-2 du code de l’urbanisme, qui encadrent le régime juridique de l’ORI, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux permis de construire et aux autorisations d’urbanisme portent-elles atteinte au droit de propriété garanti par la Constitution (protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789), « en ce qu’elles permettent l’expropriation d’un immeuble dont le propriétaire n’a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d’une opération de restauration immobilière  ? »

Rappelons 4)Articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le Conseil Constitutionnel ne peut être saisi d’une QPC qu’à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure (i), qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements des circonstances (ii), et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux (iii). Le conseil d’Etat, « juge du filtre », se prononce par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, avant de traiter le pourvoi en cassation.

En l’espèce, les deux premières conditions de renvoi de la QPC ne faisant aucun doute, le conseil d’Etat s’est concentré sur le caractère sérieux de la question, et a conclu que la troisième condition n’était pas remplie.

Il juge que les modalités de contrôle de l’utilité publique des DUP-ORI répondent aux exigences de l’article 17 de la DDHC qui imposent que l’utilité publique d’une opération soit légalement et formellement constatée, sous le contrôle du juge.

En effet, selon le Conseil d’Etat :

« Il appartient [au juge administratif], lorsqu’est contestée devant lui l’utilité publique d’une telle opération [de restauration immobilière] , de vérifier que celle-ci répond à la finalité d’intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d’habitabilité d’immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. Ces modalités de contrôle de l’utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Les juges du Palais-Royal ont poursuivi, en ajoutant :

« En outre, il appartient aussi au juge administratif, juge de la légalité de l’arrêté de cessibilité pris dans le cadre d’une opération de restauration immobilière, s’il est saisi d’une contestation en ce sens, de s’assurer que l’inclusion d’un immeuble déterminé dans le périmètre d’expropriation est en rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux qui lui a été notifié avant l’intervention de l’arrêté de cessibilité ».

La QPC n’a ainsi pas passé le filtre du juge suprême et n’est pas renvoyée au Conseil Constitutionnel.

60 ans après, l’opération de restauration immobilière n’est pas prête de s’effondrer…

 

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References   [ + ]

1. C.Malverti, Conclusions sous CE 30 octobre 2023 Mme B, req. n°474408, mentionné aux Tables du Rec. CE
2. TA Lille 20 juillet 2021 req. n°1902691
3. CAA Douai 24 novembre 2022, req. n°21DA02274
4. Articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel

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