La délibération du conseil d’administration d’un établissement public d’aménagement approuvant son projet stratégique et opérationnel n’est pas un acte faisant grief

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

June 2020

Temps de lecture

6 minutes

CE 3 juin 2020 Association CAPRE 06, req. n° 423502 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Selon les termes employés par le rapporteur public Olivier Fuchs concluant sur cette affaire, mentionnée aux tables du Recueil Lebon, « C’est à notre connaissance la première fois que » le Conseil d’Etat se prononce « sur les projets stratégique et opérationnel des établissements publics d’aménagement. »

Dans les faits, le conseil d’administration de l’établissement public d’aménagement Ecovallée-Plaine du Var 1)Créé par le décret n° 2008-773 du 30 juillet 2008, sous la dénomination « Etablissement public d’aménagement de la Plaine du Var ». Il porte le nom qu’on lui connaît aujourd’hui depuis 2015 (cf. article 1er du décret dans sa version en vigueur tel que modifié par le décret n° 2015-982 du 31 juillet 2015). a approuvé son projet stratégique et opérationnel (PSO) par une délibération du 9 juillet 2015.

A la demande de l’association Collectif associatif 06 pour des réalisations écologiques (CAPRE 06), le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération et, par voie de conséquence, le PSO 2)TA Nice 22 juin 2017, req. n° 1503595., en considérant que celui-ci constitue un acte faisant grief 3)Le tribunal justifiant sa position ainsi : « le projet stratégique et opérationnel […] comporte notamment un programme prévisionnel d’aménagement qui planifie à moyen terme les actions, opérations et projets à réaliser par cet établissement, présente, compte tenu de son objet et de ses effets, le caractère d’un acte faisant grief et est, dès lors, susceptible de recours pour excès de pouvoir, ainsi que, par voie de conséquence, la délibération portant approbation de ce projet. ». et au motif qu’il aurait dû faire l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 préalable à son approbation 4)Conformément à l’article L. 414-4 du code de l’environnement dans sa version applicable à la date de la délibération attaquée. en ce que la Plaine du Var comporte un site Natura 2000, la zone de protection spéciale (ZPS) dénommée « Basse Vallée du Var ».

Sur appel de l’établissement public d’aménagement Ecovallée-Plaine du Var, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement 5)CAA Marseille 22 juin 2018, req. n° 17MA03851 – 17MA03875. La cour a en revanche considéré qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur l’appel du ministre de la cohésion des territoires. considérant donc, à l’inverse des juges de première instance, que la délibération approuvant le PSO n’était pas susceptible de recours pour excès de pouvoir (REP).

C’est ainsi que le Conseil d’Etat, sur pourvoi de l’association CAPRE 06, a été amené à régler la question de la nature des PSO.

1           Dans un premier temps, il annule l’arrêt d’appel aux motifs qu’il est intervenu aux termes d’une procédure irrégulière. L’association requérante n’a en effet pas été mise à même de prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public sur l’instance introduite par Ecovallée-Plaine du Var, mais seulement du sens de ces conclusions sur l’instance introduite par le ministre de la cohésion des territoires (qui concluait au non-lieu à statuer), en méconnaissance des articles R. 711-2 et R. 711-3 du code de justice administrative (CJA) selon lesquels « Toute partie est avertie […] du jour où l’affaire sera appelée à l’audience. L’avis d’audience […] mentionne également les modalités selon lesquelles les parties […] peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public […]. », les parties étant mises en mesure de connaître le sens de ces conclusions avant la tenue de l’audience.

Ainsi, selon le Conseil d’Etat, l’association CAPRE 06 n’a pas pu préparer utilement ses observations en vue de l’audience statuant sur l’appel formé par Ecovallée-Plaine du Var.

Cette irrégularité constitue un motif d’annulation de l’arrêt attaqué 6)V. également CE 5 mai 2006 Mullerhof, req. n° 259957 : Publié au Rec. Lebon – CE Sect. 21 juin 2013 Communauté d’agglomération du pays de Martigues, req. n° 352427 : Publié au Rec. Lebon : « Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 3 de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré ; qu’en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ; »..

2          Réglant l’affaire au fond sur le fondement de l’article L. 821-2 du CJA 7)Selon lequel : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie./Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire. »., les juges du Palais-Royal rappellent le cadre juridique applicable au litige.

Pour mémoire, précisons qu’aux termes de l’article L. 321-14 du code de l’urbanisme, l’Etat peut créer des établissements publics d’aménagement dont objet est de favoriser l’aménagement et le développement durable de territoires présentant un caractère d’intérêt national. Ils ont pour mission principale de « conduire toute action de nature à favoriser l’aménagement, le renouvellement urbain et le développement économique de leur territoire, dans le respect de la diversité des fonctions urbaines, de la mixité sociale dans l’habitat ainsi que de la protection de l’environnement. ». Ils sont notamment compétents pour réaliser ou faire réaliser des opérations d’aménagement ainsi que des acquisitions foncières et immobilières nécessaires à ces opérations.

Ainsi que le rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision (considérant 6), ces établissements élaborent un PSO conformément aux dispositions de l’article L. 321-18 du code de l’urbanisme applicable à la date de la délibération litigieuse, en tenant compte « 1° Des orientations stratégiques définies par l’autorité administrative compétente de l’Etat ; / 2° Des priorités énoncées dans les documents d’urbanisme ainsi que des objectifs de réalisation de logements précisés par les programmes locaux de l’habitat. ».

Ce document est approuvé et/ou révisé par délibération du Conseil d’administration (article L. 321-19), et devient « exécutoire » dans un délai de trois mois à compter de sa transmission au préfet compétent ou, à défaut d’approbation dans ce délai, dès son adoption par l’autorité administrative compétente de l’Etat (article L. 321-20) 8)Pour les conditions dans lesquelles la délibération devient exécutoire, voir article R. 321-15 du code de l’urbanisme. Il y est notamment précisé que si dans ce délai de trois mois le préfet notifie des modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au PSO dont les dispositions ne seraient pas compatibles avec les orientations stratégiques données, celui-ci ne devient exécutoire qu’après que lui a été transmise la délibération apportant les modifications demandées..

Le Conseil d’Etat examine ensuite le contenu des PSO, fixé par l’article R. 321-14 du code de l’urbanisme. Celui-ci comporte :

  • Un document déclinant sur le long terme les orientations stratégiques et opérationnelles de l’établissement sur son territoire de compétence, assorties des moyens techniques et financiers susceptibles d’être mobilisés ;
  • Un document planifiant à moyen terme, sous la forme d’un programme prévisionnel d’aménagement (PPA), les actions, opérations et projets à réaliser, leur localisation, l’échéancier prévisionnel de leur réalisation ainsi que les perspectives financières à leur achèvement.

Partant, pour la Haute Juridiction, le PSO, ne présente aucun caractère règlementaire et n’a ni pour objet, ni pour effet d’autoriser les opérations d’aménagement qu’il prend en compte, ni d’en valider les modalités de réalisation technique et financière. Il n’emporte aucun effet pour les tiers. Ce document, « uniquement programmatique », a pour objet d’orienter l’action de l’établissement, et si sa transmission au préfet lui fait acquérir son caractère « exécutoire » 9)Articles L. 321-20 et R. 321-15 du code de l’urbanisme précités., cette seule circonstance ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un acte faisant grief.

Dès lors, l’association requérante n’est pas recevable à demander l’annulation de la délibération du 9 juillet 2015.

Précisons que les articles L. 321-18, L. 321-19 et L. 321-20 du code de l’urbanisme ont été abrogés par la loi ELAN 10)Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique. . Dans son avis du 29 mars 2018 sur le projet de loi 11)CE avis 29 mars 2018, n° 394435., le Conseil d’Etat avait estimé qu’un PSO est un « document interne de pilotage de ces établissements dénué d’effets juridiques » (point 17).

Cette décision prise le même jour que l’arrêt du Conseil d’Etat  Commune de Piana (req. n° 422182 : Mentionné aux tables du Rec. CE commenté sur ce blog) et sous les conclusions du même rapporteur public est d’autant plus intéressante que le Conseil d’Etat a procédé 9 jours après cette décision à une synthèse de sa jurisprudence relative à la contestation des « documents de portée générale » 12)CE 12 juin 2020 GISTI, req. n° 418142 : Publié au Rec. CE.. Cette décision du 12 juin 2020 de Section du Conseil d’Etat est commentée sur notre blog.

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References   [ + ]

1. Créé par le décret n° 2008-773 du 30 juillet 2008, sous la dénomination « Etablissement public d’aménagement de la Plaine du Var ». Il porte le nom qu’on lui connaît aujourd’hui depuis 2015 (cf. article 1er du décret dans sa version en vigueur tel que modifié par le décret n° 2015-982 du 31 juillet 2015).
2. TA Nice 22 juin 2017, req. n° 1503595.
3. Le tribunal justifiant sa position ainsi : « le projet stratégique et opérationnel […] comporte notamment un programme prévisionnel d’aménagement qui planifie à moyen terme les actions, opérations et projets à réaliser par cet établissement, présente, compte tenu de son objet et de ses effets, le caractère d’un acte faisant grief et est, dès lors, susceptible de recours pour excès de pouvoir, ainsi que, par voie de conséquence, la délibération portant approbation de ce projet. ».
4. Conformément à l’article L. 414-4 du code de l’environnement dans sa version applicable à la date de la délibération attaquée.
5. CAA Marseille 22 juin 2018, req. n° 17MA03851 – 17MA03875. La cour a en revanche considéré qu’il n’y avait plus lieu à statuer sur l’appel du ministre de la cohésion des territoires.
6. V. également CE 5 mai 2006 Mullerhof, req. n° 259957 : Publié au Rec. Lebon – CE Sect. 21 juin 2013 Communauté d’agglomération du pays de Martigues, req. n° 352427 : Publié au Rec. Lebon : « Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 3 de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré ; qu’en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ; ».
7. Selon lequel : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie./Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat statue définitivement sur cette affaire. ».
8. Pour les conditions dans lesquelles la délibération devient exécutoire, voir article R. 321-15 du code de l’urbanisme. Il y est notamment précisé que si dans ce délai de trois mois le préfet notifie des modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au PSO dont les dispositions ne seraient pas compatibles avec les orientations stratégiques données, celui-ci ne devient exécutoire qu’après que lui a été transmise la délibération apportant les modifications demandées.
9. Articles L. 321-20 et R. 321-15 du code de l’urbanisme précités.
10. Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
11. CE avis 29 mars 2018, n° 394435.
12. CE 12 juin 2020 GISTI, req. n° 418142 : Publié au Rec. CE.

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