L’atteinte grave portée aux libertés fondamentales par la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles n’est pas manifestement illégale selon le juge des référés du Conseil d’Etat

Catégorie

Droit administratif général

Date

March 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE ord. 26 février 2021 M. B et autres, req. n° 449692

L’ordonnance n° 449692 du 26 février 2021 a été rendue par le juge des référés du Conseil d’État statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

Les requérants, des personnes du monde de la culture, demandent au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la réouverture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles, ainsi que d’enjoindre au Premier ministre de compléter en ce sens les dispositions de l’article 45 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, modifiées notamment par le 11° du I de l’article 1er du décret n°2020-1454 du 27 novembre 2020.

Les requérants soutiennent que :

  • la condition d’urgence est satisfaite eu égard à la nécessité d’éviter l’aggravation de la dégradation de la santé psychologique de la population française ;
  • il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et la libre communication des idées (constitue une liberté fondamentale au sens de L. 521-2 du code de justice administrative : CE 6 février 2015 Commune de Cournon d’Auvergne, n° 387726.), à la liberté de création artistique et à la liberté d’accès aux œuvres culturelles (constituent des libertés fondamentales au sens de L. 521-2 du code de justice administrative : CE ord. 23 décembre 2020 Moreau et a., req. n° 447698.), à la liberté d’entreprendre (constitue une liberté fondamentale au sens de L. 521-2 du code de justice administrative : CE ord. 26 mai 2006 Société du Yacht-club international de Marina Baie-des-Anges (SYCIM), req. n° 293501.), à la liberté du commerce et de l’industrie (constitue une liberté fondamentale au sens de L. 521-2 du code de justice administrative : CE ord. 12 novembre 2001 Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840.) ainsi qu’au droit au libre exercice d’une profession (constitue une liberté fondamentale au sens de L. 521-2 du code de justice administrative : CE ord. 15 décembre 2005 Marcon, req. n° 288024.) et au principe d’égalité ;
  • le maintien de la fermeture de tous les lieux de spectacles vivants contribue à dégrader de façon inquiétante l’état de santé psychologique d’une partie importante de la population française, ce qui constitue désormais, au regard de ses conséquences de long terme, le premier risque sanitaire.

En premier lieu, le juge des référés du Conseil d’État affirme que la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles porte une atteinte grave aux libertés fondamentales citées ci-dessus.

Le juge des référés ajoute que « la seule circonstance qu’une partie des activités concernées pourrait demeurer accessible au public à travers d’autres supports ou de manière dématérialisée ne saurait faire disparaître cette atteinte ».

En deuxième lieu, le juge des référés considère que « l’interdiction générale et absolue d’ouverture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles ne peut être regardée comme une mesure nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de préservation de la santé publique qu’en présence d’un contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus (le juge des référés du Conseil d’État reprend le raisonnement qu’il a tenu lorsqu’il a été saisi de la question de la fermeture des salles culturelles : CE ord. 23 décembre 2020 Moreau et a., req. n° 447698) au sein de la population susceptible de compromettre à court terme la prise en charge, notamment hospitalière, des personnes contaminées et des patients atteints d’autres affections ».

Le juge des référés précise que l’impact sur la santé mentale de la population des mesures prises aux fins de lutte contre l’épidémie doit être pris en compte par l’autorité administrative, au titre de la proportionnalité des mesures adoptées.

Des données démontrent que la situation de crise sanitaire s’accompagne d’une augmentation significative des états anxieux et dépressifs de la population française, en particulier pour les étudiants, les personnes sans activité professionnelle, les personnes déclarant vivre dans un logement surpeuplé et celles déclarant une situation financière très difficile.

Ainsi, le juge des référés considère que l’état de santé mentale de la population s’est dégradé avec la crise sanitaire, et qu’il ne peut être exclu que les mesures prises pour lutter contre l’épidémie y aient contribué.

En troisième lieu, le juge des référés relève toutefois qu’il résulte de l’instruction que des données montrent la persistance d’un plateau épidémique très élevé et une tension persistante sur le système hospitalier dans l’ensemble des régions. L’étude de l’INSERM du 14 février 2021 1)Impact of January 2021 social distancing measures on SARS-CoV-2 B.1.1.7 circulation in France. relève que le plateau élevé observé est en partie dû à l’augmentation exponentielle du variant dit britannique plus contagieux.

Il résulte également de l’instruction qu’en l’absence de mesures de contrôle renforcée, une croissance rapide des cas est attendue dans les semaines à venir.

En quatrième et dernier lieu, le juge des référés considère que même si certaines discriminations peuvent constituer des atteintes à une liberté fondamentale, la méconnaissance du principe d’égalité, soulevée par les requérants au vu de l’ouverture maintenue de certains établissements accueillant du public, ne constitue pas, par elle-même, une atteinte de cette nature 2)Toute méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas à elle seule une atteinte à une liberté fondamentale. Voir CE ord. 1er septembre 2017 Commune de Dannemarie c/ Association « Les Effronté-e-s », req. n°  413607..

En conséquence, le juge des référés du Conseil d’État considère qu’eu égard au niveau demeuré élevé de diffusion du virus et au risque élevé d’augmentation des contaminations dans les toutes prochaines semaines, et bien que les mesures en cause sont susceptibles d’avoir un effet négatif sur l’état psychologique de la population, l’atteinte grave portée aux libertés fondamentales par la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacles n’est pas manifestement illégale.

Ainsi, la requête présentée doit être rejetée.

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References   [ + ]

1. Impact of January 2021 social distancing measures on SARS-CoV-2 B.1.1.7 circulation in France.
2. Toute méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas à elle seule une atteinte à une liberté fondamentale. Voir CE ord. 1er septembre 2017 Commune de Dannemarie c/ Association « Les Effronté-e-s », req. n°  413607.

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