L’avis conforme négatif du préfet sur une demande de permis de construire : un pouvoir de codécision lui conférant la qualité de partie à l’instance ?

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

November 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 16 octobre 2020, req. n° 427620 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

En l’espèce, M. et Mme D. ont sollicité la délivrance d’un permis de construire en vue de l’édification d’un immeuble collectif sur le territoire de la commune de l’Île Rousse en Haute-Corse.

  • Par un arrêté du 20 mars 2015, en application de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme 1) 422-5 du code de l’urbanisme : « Lorsque le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l’avis conforme du préfet si le projet est situé : a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu (…) »., dans une zone située hors de toute carte communale, plan local d’urbanisme ou document en tenant lieu, le maire de l’Île Rousse a refusé de délivrer le permis de construire à M. et Mme D., suite à l’avis défavorable du préfet de Haute-Corse.
  • Par un jugement du 13 avril 2017, sur demande de M. et Mme D., le Tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté ;
  • Par un arrêt du 3 décembre 2018, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, a annulé ce jugement et rejeté la demande de M. et Mme D. ;
  • et Mme D. se sont pourvus en cassation devant le Conseil d’État pour demander l’annulation de cet arrêt et dudit arrêté ;
  • Par un arrêt du 16 octobre 2020, le Conseil d’État a considéré que les requérants n’étaient pas fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué.

Sur le fond, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que « la parcelle en cause était séparée du centre urbain de l’Île Rousse par une route, bordée à l’ouest par une zone naturelle, au sud par une parcelle dépourvue de construction et à l’est par une station d’épuration et que le projet a pour objet l’édification de trente-neuf logements pour une surface de 2 538 m2 ».

Ainsi, la cour a retenu, en application des dispositions particulières au littoral de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme 2)L. 146-4 du code de l’urbanisme : « I L’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. (…) II L’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs désignés à l’article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée doit être justifiée et motivée, dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau.(…) » dans sa rédaction applicable à la date des faits, repris aujourd’hui à l’article L. 121-8 du même code, que le terrain d’assiette du projet, objet du permis de construire, n’était pas situé en continuité de l’urbanisation et que ce projet ne constituait pas une extension de l’urbanisation.

Cette appréciation, conforme à la jurisprudence, n’est pas l’apport le plus intéressant de l’arrêt ; en effet dans cette décision, la Haute juridiction s’est prononcée sur la question de la recevabilité de l’appel du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

La question qui se pose devant le Conseil d’État est donc celle de savoir si l’État pouvait faire appel de ce jugement, compte tenu du fait que cette décision a été rendue sur son avis conforme, alors même qu’il n’était pas l’auteur de la décision de refus de permis de construire.

Depuis la décision CE, Sect., 9 janvier 1959, Sieur de Harenne 3)CE Sect. 9 janvier 1959 Sieur de Harenne, req. n° 41383, Rec. p. 23., il est de jurisprudence constante 4)Voir notamment : CE, 28 novembre 1970 Syndicat des pharmaciens de la Seine-Maritime, Rec. p. 623 – CE, 5 juillet 1985 Vassas et autres, n°45001 – CE 11 janvier 1995 Fédération des services CFDT, n°136436 – CE 29 juillet 1998 Mme Beauvais et autres, n°165339, Rec. p. 331 – CE 26 janvier 2011 Association de défense contre la déviation au nord de Maisse et commune de Courdimanche-sur-Essonne, n°307317 – CE 28 septembre 2016 Association Lubéron nature, n°390111. que seules les parties ou les personnes qui, en première instance, sont régulièrement intervenues soit à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir, soit en défense à un tel recours, lorsqu’elles auraient eu qualité soit pour introduire elles-mêmes le recours, soit, à défaut d’intervention de leur part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours, peuvent interjeter appel contre le jugement.

Parmi ces personnes, seules sont recevables à faire appel celles aux droits desquels le jugement préjudicie, selon la formule de l’arrêt Boussuge 5)CE, 29 novembre 1912, Boussuge, Rec. p. 1128.. Le Conseil d’État 6)CE, 3 décembre 2003, SARL QSCT et SA France restauration rapide, n°248840. a précisé son propos en exigeant en réalité une atteinte à des intérêts bien établis.

Or, par sa décision du 16 octobre 2020, ici commentée, le Conseil d’État conclut que le ministre, soit l’État, était bien recevable à faire appel du jugement. L’avis du préfet étant conforme, il doit être pris et suivi par l’auteur de l’acte en cause. Dans le cadre considéré, le préfet possède en réalité un véritable pouvoir de codécision. Dans ses conclusions sous l’arrêt commenté 7)Conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public, sous CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 16 octobre 2020, n°427620., le rapporteur public M. Guillaume Odinet va dans ce sens et conclut à ce que « le pouvoir d’avis conforme confie à son détenteur un rôle de co-auteur de la décision ».

Cela a d’ailleurs déjà été relevé par le Conseil d’État 8)CE, Sect., 7 janvier 1955, Sieur Ged, Rec. p. 11 ; CE, 12 janvier 1972, Caisse des dépôts et consignations c/ Sieur Picot, Rec. p. 32. ; il lie l’attribution d’un pouvoir d’avis conforme à un partage de la compétence décisionnelle. À titre d’exemple, dans sa décision Caisse des dépôts et consignations c/ Sieur Picot de 1972, le Conseil d’État rappelle que selon l’article 5 du décret n°63-1346 du 24 décembre 1963, relatif à l’attribution de l’allocation temporaire d’invalidité aux agents permanents des collectivités locales de leurs établissements publics, il appartient à l’autorité ayant le pouvoir de nomination d’attribuer cette allocation « sous réserve de l’avis conforme de la Caisse des dépôts et consignations ». Ainsi, la Haute juridiction considère que cet avantage n’étant acquis que si la Caisse donne son accord à l’acte du maire relatif à l’attribution, la Caisse est investie en cette matière d’un pouvoir de décision.

En effet, M. Guillaume Odinet précise que « l’attribution d’un pouvoir d’avis conforme à une autorité distincte de celle qui est compétente pour prendre une décision repose, par construction, sur le constat que ces autorités ne sont pas en charge des mêmes intérêts et sont susceptibles de porter des appréciations divergentes ».

En conséquence, lorsque la décision repose essentiellement sur l’appréciation de l’autorité disposant du pouvoir d’avis conforme, en particulier dans le cas d’un avis conforme négatif, l’auteur de cette décision peut ne pas être en mesure ou n’avoir pas intérêt de défendre les motifs de l’acte qu’il a signé. Seule l’autorité disposant du pouvoir d’avis conforme serait alors susceptible d’apporter une réelle contradiction dans l’instance, en justifiant les motifs de son avis, qui sont ceux de la décision attaquée.

Le préfet était bien considéré comme une partie à l’instance, lui donnant qualité pour former appel.

En l’espèce, le Conseil d’État considère que l’annulation de la décision par laquelle le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale, se conformant, en application de l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme, à l’avis négatif du préfet, rejette la demande de permis ou s’oppose à la déclaration préalable, « est susceptible de préjudicier aux intérêts dont le législateur a confié la défense au représentant de l’État en subordonnant la réalisation du projet à son accord ». Il conclut logiquement que l’État a la qualité de défendeur à l’instance devant le tribunal administratif.

Dès lors, d’un point de vue pratique, le ministre chargé de l’urbanisme a qualité pour relever appel du jugement ayant annulé le refus opposé par le maire, sur avis négatif du préfet, à une demande de permis construire.

Guillaume Odinet nuance et encadre cette solution en précisant que « tout détenteur d’un pouvoir d’avis conforme ne doit pas être regardé comme co-auteur de la décision prise sur son avis et traité en conséquence comme une partie à l’instance dans laquelle est demandée l’annulation de cette décision».

En effet, ce n’est pas la nature des prérogatives conférées au préfet par l’article L. 422-5 du code de l’urbanisme qui justifie que l’État soit regardé comme partie à l’instance dans laquelle est contestée la décision motivée par l’avis conforme négatif. La justification réside dans la circonstance que cette décision repose essentiellement sur l’exercice de son pouvoir d’avis conforme.

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References   [ + ]

1. 422-5 du code de l’urbanisme : « Lorsque le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l’avis conforme du préfet si le projet est situé : a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d’urbanisme ou un document d’urbanisme en tenant lieu (…) ».
2. L. 146-4 du code de l’urbanisme : « I L’extension de l’urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. (…) II L’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs désignés à l’article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée doit être justifiée et motivée, dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau.(…) »
3. CE Sect. 9 janvier 1959 Sieur de Harenne, req. n° 41383, Rec. p. 23.
4. Voir notamment : CE, 28 novembre 1970 Syndicat des pharmaciens de la Seine-Maritime, Rec. p. 623 – CE, 5 juillet 1985 Vassas et autres, n°45001 – CE 11 janvier 1995 Fédération des services CFDT, n°136436 – CE 29 juillet 1998 Mme Beauvais et autres, n°165339, Rec. p. 331 – CE 26 janvier 2011 Association de défense contre la déviation au nord de Maisse et commune de Courdimanche-sur-Essonne, n°307317 – CE 28 septembre 2016 Association Lubéron nature, n°390111.
5. CE, 29 novembre 1912, Boussuge, Rec. p. 1128.
6. CE, 3 décembre 2003, SARL QSCT et SA France restauration rapide, n°248840.
7. Conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public, sous CE, 2ème et 7ème chambres réunies, 16 octobre 2020, n°427620.
8. CE, Sect., 7 janvier 1955, Sieur Ged, Rec. p. 11 ; CE, 12 janvier 1972, Caisse des dépôts et consignations c/ Sieur Picot, Rec. p. 32.

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