Le Conseil d’État enjoint le gouvernement de nommer une nouvelle autorité indépendante chargée du réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit des grands aéroports français

Catégorie

Environnement

Date

April 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 5 avril 2022 Associations ” Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs ” (UFCNA) et autres, req. n° 454440 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par une décision rendue le 5 avril 2022 Le Conseil d’État, statuant sur demande d’un consortium d’association, a annulé la décision de mars 2017 par laquelle la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) avait été désignée comme autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l’adoption des restrictions d’exploitation ainsi que du réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit dans les grands aéroports français.

En application de cette annulation, les juges du palais royal ont enjoint le premier ministre à désigner, dans un délai de 6 mois, une autre autorité compétente.

Les associations requérantes articulaient leur requête sur l’annulation de la décision implicite de rejet découlant du silence gardé par l’administration 1)Sur le silence de l’administration valant décision implicite de rejet : Article L231-4 CRPA sur deux aspects : le premier tendant à la réalisation et la publication d’une étude d’approche équilibrée et au réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit pour certains aéroports, le second tendant à l’annulation de la décision réglementaire de mars 2017 désignant la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile comme autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l’adoption des restrictions d’exploitation ainsi que du réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit dans les grands aéroports français et la désignation d’une autre autorité indépendante en application de l’article 3 du règlement européen 598/2014 du 16 avril 2014.

À l’appui de leur requête les requérants arguaient de la méconnaissance du règlement européen 598/2014 du 16 avril 2014 dont il résulte que les états membres sont tenus de désigner une instance nationale habilitée à imposer des restrictions d’exploitation liées au bruit et devant présenter des garanties d’indépendances vis-à-vis de toute organisation pouvant être concernée par des mesures liées au bruit.

La question se posait au Conseil d’État de savoir si la désignation comme autorité compétente de la direction du transport de la direction générale de l’aviation civile par la notification à la commission de mars 2017 était conforme au règlement notamment dans la mesure où elle présenterait des garanties d’indépendance nécessaire.

1.     La décision implicite de rejet découlant du silence de l’administration face à une demande tendant à l’édiction d’une circulaire ne constitue pas une décision pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir

Le Conseil d’État écarte d’abord la première doléance des requérants tendant à ce que le Premier ministre ordonne aux préfets « la réalisation et la publication d’une étude d’approche équilibrée et au réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit pour certains aéroports ». Les articles L. 572-2 et l’article L. 572-5 du code de l’environnement précisent que ces cartes stratégiques de bruit « sont réexaminées et, le cas échéant, révisées, au moins tous les cinq ans ».

Cette demande, qui tend à l’édiction d’une circulaire est déclaré irrecevable.

Il résulte en effet d’une jurisprudence bien établie que l’administration n’est jamais tenue d’émettre une circulaire  2)Voir en ce sens CE, syndicat national professionnels des médecins du travail n°266127, rec. T,  le refus né du silence de l’administration face à une demande en ce sens ne présente donc pas le caractère d’une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cela avait déjà été établi par la jurisprudence au sujet des circulaires interprétatives dans la veine des jurisprudences « Gisti » 3)CE, GISTI, 12 juin 2020, n°418142 et « Duvignères » 4)CE, Duvignères, 18 décembre 2002 no 233618 notamment par l’arrêt en date du 7 mars 2018, « Association Alertes Nuisances aériennes » et autres » 5)CE, Association Alertes Nuisances aériennes, 7 mars 2018 N°410043.

2.    La tutelle exercée par l’autorité sur un aéroport caractérisant un manque d’indépendance en contradiction avec les exigences européennes.

Sur la seconde demande, le Conseil d’État, après avoir relevé que règlement 598/2014 UE, notamment en son article 3, n’imposait pas au Etats la désignation d’une autorité sous une forme juridique particulière et qu’il était donc loisible au gouvernement de désigner comme telle une direction relevant d’un ministère, relève en revanche que cet article pose des garanties d’indépendances exigeantes visant à prévenir les potentiels conflits d’intérêt pouvant naître du fait que l’autorité palisse de la prise de mesures liés au bruit dans le cadre de l’approche équilibrée notamment les restrictions d’exploitation, imposant donc que l’autorité fonctionne indépendamment de l’exploitant d’aéroports, des services de transport aériens ou encore des riverains de l’aéroport.

Ainsi, ces dispositions font échos à celles de la directive du 11 mars 2009 (2009/12/CE) relative à la désignation de l’autorité de supervision des redevances aéroportuaires imposant que l’autorité soit « juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante de toutes les entités gestionnaires d’aéroports et de tous les transporteurs aériens » et ayant déjà conduit à l’écartement de la direction du transport aérien (DTA) comme autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires  6)CE, 29/04/2015, syndicat national des compagnies aériennes autonomes, n°379574.

Il apparait en l’espèce que la direction du transport aérien de la direction générale de l’aviation civile ne satisfaisait à ce jour, pas plus qu’en 2015 les garanties d’indépendances exigées par ces textes.

Tout d’abord, rien ne faisait obstacle à la désignation comme autorité d’une direction ministérielle. Néanmoins pour satisfaire les exigences posées par les textes, il eut fallu, dans la mesure ou l’Etat participe au capital de plusieurs aéroports comme ADP ou l’aéroport de Bâle-Mulhouse ainsi qu’au capital de la compagnie aérienne Air-France KLM, que l’autorité présente une indépendance par rapport à ce dernier, ce qui n’apparait pas à la lecture de l’article 6 du décret n° 2008-680 du 9 juillet 2008 déterminant les compétences de la direction du transport aérien parmi lesquelles se trouvent « la conduite de la politique domaniale de l’Etat en matière aéroportuaire », « la préparation les orientations stratégiques de l’Etat en matière d’aviation civile ».

De surcroit, il ressort du même article que la direction du transport aérien assure la tutelle de l’établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse.

Il en découle donc que la direction du transport aérien manque d’indépendance vis-à-vis des entités gestionnaires d’aéroports et des transporteurs et que sa nomination en tant qu’autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l’adoption des restrictions d’exploitation ainsi que du réexamen de la pertinence des cartes stratégiques de bruit dans les grands aéroports français n’est pas conforme à l’article 3 du règlement 598/2014.

Ainsi, le Conseil d’Etat fait droit à la demande des requérants, annule la décision implicite de rejet de l’administration découlant de son silence face aux demandes des requérants et l’enjoint à designer, dans un délai de 6 mois, une autre autorité compétente présentant des garanties d’indépendances nécessaires comme une autorité administrative indépendante, possiblement l’autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires créé en 1999 et chargée d’émettre des recommandations sur les questions relatives aux nuisances environnementales causés par les installations aéroportuaires.

 

 

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References   [ + ]

1. Sur le silence de l’administration valant décision implicite de rejet : Article L231-4 CRPA
2. Voir en ce sens CE, syndicat national professionnels des médecins du travail n°266127, rec. T
3. CE, GISTI, 12 juin 2020, n°418142
4. CE, Duvignères, 18 décembre 2002 no 233618
5. CE, Association Alertes Nuisances aériennes, 7 mars 2018 N°410043
6. CE, 29/04/2015, syndicat national des compagnies aériennes autonomes, n°379574

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