Le Conseil d’Etat précise la notion de continuité de l’urbanisation de la loi « littoral »

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 12 juin 2023 société Bouygues Immobilier, req. n° 459918 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 12 juin 2023, mentionné aux tables du recueil Lebon, est venu préciser le principe de continuité de l’urbanisation de la loi « littoral » codifié à l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

Le 3 avril 2019, le maire de la commune littorale de Roquebrune-sur-Argens a délivré à la société Bouygues Immobilier un permis de construire portant sur la démolition d’un immeuble existant et la construction de quarante-six logements.

Le projet est situé à une vingtaine de kilomètres de la mer et à cinq kilomètres du centre historique de la ville. Le secteur d’implantation du projet est composé d’une vingtaine de logements issus d’une opération d’aménagement, lui-même en prolongement d’une zone accueillant une centaine de logements et équipements sportifs.

Le permis de construire a fait l’objet d’un recours contentieux de plusieurs voisins devant le tribunal administratif de Toulon qui a rejeté ce recours le 7 juillet 2020 en jugeant que le projet respectait les dispositions de la loi « littoral ».

Par un arrêt du 28 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Marseille a infirmé ce jugement et annulé le permis de construire délivré. Pour justifier sa décision, la cour a raisonné en trois étapes :

  • Elle a d’abord relevé que le projet s’insérait en bordure d’un lotissement d’une vingtaine de logements, qu’elle a considéré comme un habitat diffus ;
  • Elle a constaté que ce lotissement était séparé du centre de la commune par une zone forestière et agricole ; et
  • Enfin, elle en a déduit que le projet ne remplissait pas le critère de continuité de l’urbanisation car, selon elle, un lotissement ne pouvait pas être assimilé à « une agglomération ou un village existant» au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme alors en vigueur.

La société Bouygues Immobilier a alors saisi le Conseil d’Etat qui a annulé la décision de la cour administrative d’appel de Marseille par un jugement en date du 12 juin 2023.

Interrogé sur la notion de continuité de l’urbanisation, le Conseil d’Etat a jugé que l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, permettait l’installation de constructions dans des secteurs déjà urbanisés et caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions.

Le Conseil d’Etat considère ainsi que la nature de l’opération foncière ayant autorisé la création d’un de ces secteurs, en l’espèce un lotissement, est sans incidence pour apprécier le caractère d’agglomération ou de village existant au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Par conséquent, un projet de construction peut être considéré comme étant en continuité avec un secteur urbanisé issu d’un lotissement dès-lors que ce secteur présente un nombre de constructions et une densité suffisamment importants.

Pour appuyer ce raisonnement, le Conseil d’Etat estime que la cour administrative d’appel de Marseille a commis deux erreurs de droit dans son jugement. La première est d’avoir considéré que seul le centre de la commune pouvait servir de référence pour appréhender le principe de continuité de l’urbanisation.

Or, peuvent être considérés comme un village ou une agglomération existant des espaces qui ne constituent pas un centre historique. C’est notamment le cas d’un camping 1)CE 11 juillet 2018, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, req. n° 410084 ou encore de trois hameaux densément urbanisés 2)CE 9 novembre 2015, Commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531.

Le rapporteur public dans cette affaire, Monsieur Thomas Janicot, a notamment estimé que limiter la notion de village ou agglomération existant au centre-ville des communes serait une contrainte excessive.

Par conséquent, la cour administrative d’appel de Marseille aurait dû analyser le projet au regard des constructions existantes au sein du lotissement et non pas par rapport à sa distance au centre de la commune.

La seconde erreur relevée par le Conseil d’Etat est que la cour a jugé qu’un lotissement ne pouvait correspondre à la notion d’agglomération ou de village au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

Là encore, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se pencher sur la question. Initialement, le juge administratif avait pu interpréter qu’un lotissement ne pouvait être assimilé à un village ou une agglomération existant au sens des dispositions du code de l’urbanisme 3)CE 3 juillet 1996, S.C.I. Mandelieu Maure-Vieil, req. n° 137623. Néanmoins, cette décision ne semble s’appliquer qu’à un cas d’espèce et non pas à l’ensemble des lotissements.

Au contraire, le Conseil d’Etat rappelle ici qu’il incombait à la cour de rechercher si le nombre et la densité des constructions du secteur en continuité duquel se situait le projet étaient suffisamment significatifs, sans que le simple fait que ces constructions aient été construits dans le cadre d’un lotissement ne fasse obstacle à ce raisonnement.

Pour ces motifs, le Conseil d’Etat annule l’arrêt en date 28 octobre 2021 et renvoie l’affaire devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Il est à noter que cette décision se base sur l’ancienne rédaction de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme qui a aujourd’hui été réécrit par la loi ELAN du 23 novembre 2018.

Dorénavant, cet article prévoit la possibilité que des constructions soient autorisées dans des secteurs autres que les agglomérations et villages existants. Ces secteurs sont caractérisés par des éléments précis tels qu’une densité de l’urbanisation, une structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs.

 

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References   [ + ]

1. CE 11 juillet 2018, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, req. n° 410084
2. CE 9 novembre 2015, Commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531
3. CE 3 juillet 1996, S.C.I. Mandelieu Maure-Vieil, req. n° 137623

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