Le Conseil d’Etat suspend l’interdiction générale et absolue de sortie des résidents d’EHPAD

Catégorie

Droit administratif général

Date

March 2021

Temps de lecture

3 minutes

CE 3 mars 2021 Mme B et autres, req. n° 449759

Les enfants d’une résidente d’un EHPAD ont saisi le juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin que celui-ci ordonne la suspension de l’exécution des recommandations du ministère des solidarités et de la santé des 19 et 24 janvier 2021 portant adaptation des mesures de protection dans les établissements médicaux sociaux et unités de soins de longue durée.

Les requérantes contestaient devant le juge du référé-liberté l’interdiction générale et absolue de sortie qui était faite à tous les résidents d’EHPAD, qu’ils soient vaccinés ou non. A l’appui de leur requête, les requérantes soutenaient que cette interdiction portait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir des résidents d’EHPAD et que la dégradation de leur état de santé psychologique et physique en résultant ne pouvait être compensée par les visites de proches en raison des conditions drastiques encadrant celles-ci.

Le juge des référés souligne tout d’abord dans son ordonnance qu’eu égard tant au contexte dans lequel elles ont été prises qu’à leur formulation, ces recommandations relayées par les Agences Régionales de Santé, étaient susceptibles d’emporter des effets notables sur la liberté d’aller et de venir des résidents d’EHPAD et constituaient donc une atteinte grave à cette liberté.

Le juge des référés relève ensuite que, selon les données scientifiques disponibles, les vaccins en cours d’utilisation sont efficaces pour réduire le risque d’être contaminé et de développer une forme grave en cas de contamination. Le juge relève également qu’au début du mois de mars 2021, plus de 80 % des résidents des EHPAD et des unités de soins de longue durée et 43 % des soignants avaient reçu au moins une dose de vaccin, et plus de 50 % des résidents et 23 % des soignants, les deux doses requises pour être regardés comme vaccinés.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré que l’interdiction générale et absolue de sortie des résidents d’EHPAD ne pouvait être regardée comme une mesure nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de prévention de la diffusion du virus. Il a donc estimé que cette atteinte grave à la liberté d’aller et venir était manifestement illégale. Le juge des référés estime à cet égard que certaines sorties, notamment celles des résidents ayant été vaccinés, peuvent être compatibles avec la sécurité de l’ensemble des résidents et du personnel dès lors que des mesures adéquates de protection sont définies.

Le juge des référés a également considéré que la condition d’urgence était satisfaite dès lors que cette interdiction avait pour effet d’altérer l’état physique et psychologique de nombreux individus, « ainsi que plusieurs études l’ont établi ».

Le juge des référés a donc décidé de suspendre les recommandations émanant du ministère des solidarités et de la santé.

Cette ordonnance est d’autant plus notable que le juge des référés du Conseil d’Etat avait jusqu’à ce jour validé la grande majorité des mesures attentatoires aux libertés publiques dès lors qu’elles se justifiaient par la nécessité de limiter la circulation de la Covid-19. Ainsi, le juge des référés avait refusé de suspendre le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu 1)CE 23 octobre 2020 M. Paul Cassia et autres, req. n° 445430. Le Conseil d’Etat avait également estimé, par une ordonnance du 23 décembre 2020 2)CE 23 décembre 2020 M Y et autres, req. n° 447698, que la fermeture des lieux culturels (cinémas, théâtres et salles de spectacles) était justifiée par la dégradation de la situation sanitaire et les incertitudes pesant sur son évolution à court terme. Le juge des référés avait de même validé la fermeture des bars et des restaurants 3)CE 8 décembre 2020 Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et autres, req. n° 446715, ainsi que celle des remontées mécaniques dans les stations de sports d’hiver 4)CE 11 décembre 2020 Domaines skiables de France et autres, req. n° 447208.

L’ordonnance n° 449759 du 3 mars 2021 suspendant l’interdiction générale et absolue de sortie des résidents d’EHPAD constitue une nouvelle illustration du degré d’exigence renforcée manifestée par le juge des référés dès lors qu’est en cause non pas une simple limitation à l’exercice d’une liberté, mais bien une interdiction générale et absolue.

A cet égard, la nature de la liberté en cause revêt une grande importance. La liberté d’aller et venir est assurément l’une des libertés les plus fondamentales. Il en va de même d’autres libertés telles que la liberté de culte comme l’avait illustré l’ordonnance du 29 novembre 2020 qui avait suspendu la limitation à trente personnes de rassemblement dans les lieux de culte 5)CE 29 novembre 2020 Association Civitas et autres, req. n° 446930. Plus récemment, le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que les déplacements chez un professionnel du droit et notamment un avocat ne pouvaient pas être limités après 18 heures, dès lors que l’absence de cette dérogation durant le couvre-feu porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d’exercer un recours effectif devant une juridiction 6)CE 3 mars 2021 Ordre des avocats du barreau de Montpellier, req. n° 449764.

 

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