Le contrat de prestations de surveillance et de gardiennage effectuées par l’autorité portuaire au profit d’un exploitant d’installations portuaires est un contrat de droit privé

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2019

Temps de lecture

5 minutes

TC 8 avril 2018 Grand Port Maritime du Havre, req. n° C4157

Dans le cadre d’un litige portant sur l’exécution d’un contrat de surveillance et de gardiennage conclu entre la société Compagnie Nouvelle de manutentions portuaires (CNMP) et le grand port maritime du Havre, le tribunal des conflits a considéré que le juge judiciaire était seul compétent pour en connaître dès lors que le contrat litigieux ne pouvait pas être qualifié de contrat administratif.

La sûreté portuaire est une activité de police spéciale partagée entre l’État et l’autorité portuaire qui est définie par le code des transports 1)L. 5331-5 et L. 5331-6 du code des transports.. Si la définition des règles générales de police applicables dans les ports et les mesures de sûreté portuaire 2)Aux termes de l’article L. 5331-2 du code de transports : « L’État fixe les règles relatives à la sécurité du transport maritime et des opérations portuaires. / Les règlements généraux de police applicables aux ports de commerce, aux ports de pêche et aux ports de plaisance sont établis par voie réglementaire (…) L’État est responsable de la définition des mesures de sûreté portuaire prises en application du chapitre II et du contrôle de leur application. ». relève de l’autorité publique, leur mise en œuvre incombe aux personnes privées intervenant dans les ports dans le cadre de leurs activités respectives 3)Aux termes de l’article L. 5332-2 du code des transports : « Sauf lorsque des dispositions particulières justifient la mise en œuvre par les services de l’État des mesures visant à assurer la sûreté du transport maritime et des opérations portuaires, ces mesures sont mises en œuvre, sous l’autorité de l’État, par les exploitants d’installations portuaires, les compagnies de transport maritime, les prestataires de services portuaires, les organismes habilités au titre de l’article L. 5332-7, les employeurs des agents mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 5332-6, les entreprises qui leur sont liées par contrat et les autres personnes autorisées à occuper ou utiliser les zones d’accès restreint, chacun agissant dans son domaine d’activité. Les catégories de mesures qui incombent à chacune des personnes mentionnées au premier alinéa ainsi que les autorités administratives chargées d’en définir les modalités techniques et opérationnelles sont déterminées par décret en Conseil d’État. »..

Parmi ces personnes privées figurent les exploitants d’installations portuaires. Ces derniers doivent mettre en œuvre des mesures de sûreté qui visent, en substance, à interdire l’accès au port des personnes non autorisées et à empêcher l’introduction d’objets ou de produits prohibés 4)R. 5332-18-1 code des transports..

En l’espèce, la société CNMP, société privée exploitant un terminal portuaire, avait confié la mise en œuvre des mesures de sécurité précitées au grand port maritime du Havre, établissement public gestionnaire du port. Le port revêtait ainsi la double casquette d’autorité portuaire et de prestataire de missions de gardiennage et de sécurité au profit de l’exploitant.

La CNMP ayant cessé d’acquitter les factures émises par le port en sa qualité de prestataire, des titres exécutoires avaient été émis à son encontre. Les deux ordres de juridiction s’étant estimés incompétents pour connaître du litige, il appartenait au tribunal des conflits de trancher la question de la nature du contrat liant les parties.

Pour qualifier ledit contrat, le tribunal des conflits écarte les critères jurisprudentiels de définition des contrats administratifs (1) pour ensuite considérer que le contrat n’est ni une convention d’occupation du domaine public (2), ni un marché public (3).

1          En présence d’un contrat conclu entre une personne publique, en l’occurrence le port, et une personne privée, la CNMP, l’analyse du tribunal des conflits le conduit tout d’abord à faire application des critères matériels d’identification des contrats administratifs.

Il considère à cet égard que le contrat dont il est saisi :

  • n’a pas pour objet l’organisation ou l’exécution d’une mission de service public incombant au port ;
  • ne comporte pas de clause exorbitante du droit commun.

S’agissant du premier point, le tribunal suit à la lettre les dispositions du code des transports qui opèrent une distinction entre l’activité normative de police, relevant de l’administration, et l’exécution matérielle de ceux-ci, relevant des opérateurs privés intervenants dans les ports.

Cette interprétation tranche ainsi avec celle retenue par le Conseil d’État dans l’arrêt « Société Aéroports de Paris » 5)CE 3 juin 2009 Société Aéroports de Paris, req. n° 323594 ; Publié au Rec. CE. Prenant appui sur les dispositions du code de l’aviation civile, le juge administratif avait alors considéré que les missions d’inspection et de filtrage des passagers, des personnels et des bagages exécutées par les cocontractants des exploitants d’aéroports étaient réalisées pour le compte de l’État et sous son autorité dans le cadre de son activité de police administrative des aérodromes et des installations aéroportuaires.

A la différence du Conseil d’État, le tribunal des conflits n’a pas fait de lien entre la police administrative des ports et la mise en œuvre des mesures de sûreté incombant à l’exploitant sur son installation portuaire pour en déduire que ce contrat serait administratif en vertu de la théorie du mandat ou de son rattachement à une mission de service public 6)le contrat est conclu entre une personne publique, le port, et une personne privée, mais la personne publique est ici la prestataire de la mission de sécurité..

2          Le tribunal des conflits confirme ensuite la jurisprudence administrative selon laquelle le contrat d’occupation du domaine public doit être distingué des contrats satellites portant sur les conditions techniques ou économiques de cette occupation. En effet, si le contrat d’occupation du domaine public est un contrat administratif par détermination de la loi 7)Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1o aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires »., il faut que l’objet même du contrat en cause porte sur l’occupation du domaine pour que cette qualification soit retenue.

Dans une situation pas si éloignée de celle en cause, la cour administrative d’appel de Bordeaux avait ainsi considéré que le contrat par lequel le gestionnaire d’un aérodrome fournissait du carburant à une compagnie aérienne n’était pas l’accessoire du contrat d’occupation de cet aéroport 8)CAA Bordeaux 19 mai 2016 SA Aéroport de La Réunion Roland Garros, req. n° 15BX01130..

Le tribunal va dans le même sens s’agissant d’une prestation de surveillance et de gardiennage assurée par l’autorité portuaire dès lors que celle-ci est seulement l’accessoire de l’activité économique exercée par un occupant du domaine.

3          Le tribunal des conflits relève enfin que le contrat n’est pas un marché public puisqu’il ne répond pas à un besoin du grand port maritime du Havre 9)Aux termes de l’article L. 1111-1 du code de la commande publique : « Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent »..

Cela paraît évident dans la mesure où le contrat, conclu avec le port, visait à l’inverse à répondre à un besoin de la CNMP pour les mesures de surveillance et de gardiennage qu’elle est chargée de mettre en œuvre. La CNMP n’étant pas soumise aux règles de la commande publique, la qualification de marché public devait nécessairement être exclue.

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References   [ + ]

1. L. 5331-5 et L. 5331-6 du code des transports.
2. Aux termes de l’article L. 5331-2 du code de transports : « L’État fixe les règles relatives à la sécurité du transport maritime et des opérations portuaires. / Les règlements généraux de police applicables aux ports de commerce, aux ports de pêche et aux ports de plaisance sont établis par voie réglementaire (…) L’État est responsable de la définition des mesures de sûreté portuaire prises en application du chapitre II et du contrôle de leur application. ».
3. Aux termes de l’article L. 5332-2 du code des transports : « Sauf lorsque des dispositions particulières justifient la mise en œuvre par les services de l’État des mesures visant à assurer la sûreté du transport maritime et des opérations portuaires, ces mesures sont mises en œuvre, sous l’autorité de l’État, par les exploitants d’installations portuaires, les compagnies de transport maritime, les prestataires de services portuaires, les organismes habilités au titre de l’article L. 5332-7, les employeurs des agents mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 5332-6, les entreprises qui leur sont liées par contrat et les autres personnes autorisées à occuper ou utiliser les zones d’accès restreint, chacun agissant dans son domaine d’activité. Les catégories de mesures qui incombent à chacune des personnes mentionnées au premier alinéa ainsi que les autorités administratives chargées d’en définir les modalités techniques et opérationnelles sont déterminées par décret en Conseil d’État. ».
4. R. 5332-18-1 code des transports.
5. CE 3 juin 2009 Société Aéroports de Paris, req. n° 323594 ; Publié au Rec. CE
6. le contrat est conclu entre une personne publique, le port, et une personne privée, mais la personne publique est ici la prestataire de la mission de sécurité.
7. Aux termes de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1o aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ».
8. CAA Bordeaux 19 mai 2016 SA Aéroport de La Réunion Roland Garros, req. n° 15BX01130.
9. Aux termes de l’article L. 1111-1 du code de la commande publique : « Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ».

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