Le « in house horizontal » existe-t-il ?

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2014

Temps de lecture

5 minutes

C’est la question qui a été récemment posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et à laquelle celle-ci, dans un arrêt du 8 mai 2014, a prudemment choisi… de ne pas répondre 1) CJUE 8 mai 2014 Technische Universität Hamburg-Harburg et Hochschul-Informations-System GmbH, aff. C-15/13..

Par l’exception (aux règles d’attribution des marchés publics issues notamment de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004) dite « in house » ou de « quasi-régie », résultant de la jurisprudence de la Cour, il est admis qu’un marché puisse être attribué directement, sans mise en concurrence, par un pouvoir adjudicateur dans le cas où celui-ci exerce sur une personne, juridiquement distincte de lui, un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec le ou les pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent 2) CJCE 18 novembre 1999 Teckal Srl c/ Commune di Viano et AGAC, aff. C-107/98..

Pour que l’on puisse cependant considérer être en présence d’un tel « contrôle analogue », le pouvoir adjudicateur concerné doit pouvoir exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de l’entité attributaire 3) CJCE 11 mai 2006 Carbotermo SpA, Consorzio Alisei, aff. C-340/04. et le contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur doit être effectif, structurel et fonctionnel 4) CJCE 29 novembre 2012 Econord Spa, aff. C-182/11.. Et il a par ailleurs été admis qu’un tel contrôle puisse être exercé conjointement par plusieurs pouvoirs adjudicateurs 5) CJCE 13 novembre 2008 Coditel Brabant SA, aff. C-324/07.. Cette exception propre à une relation que l’on peut qualifier de « verticale », de contrôleur à contrôlé, peut-elle également jouer « horizontalement » entre un pouvoir adjudicateur A et une entité B lorsque A certes ne contrôle pas B mais que, pour autant, A comme B sont sous le contrôle d’une tierce entité C ?

C’est la question qui a été posée à l’occasion de l’attribution directe, par une université dépendant de l’Etat fédéré de la ville de Hambourg, d’un marché informatique à une société, société de droit privé mais ayant pour objet social d’assister les établissements publics d’enseignement supérieur dans leur mission et dont, surtout, le capital est détenu à raison d’un tiers par la République fédérale d’Allemagne et de deux tiers par les seize Länder allemands, dont 4,16 % pour l’Etat de la ville de Hambourg qui, toutefois, ne dispose pas de représentant à son conseil de surveillance. Saisie par un concurrent évincé, l’instance de recours compétente a en effet estimé que si l’université et la société n’étaient pas dans le cadre d’une relation in house, il n’était pas exclu que l’une et l’autre soient contrôlées par l’Etat de la ville de Hambourg bien que, d’une part, l’Etat n’exerce sur l’université qu’une contrôle de légalité et d’opportunité limité à ses acquisitions, l’université restant autonome en matière d’enseignement et de recherche, et, d’autre part, que l’Etat ne disposait pas de représentant permanent au conseil de surveillance de la société. Un tel contrôle, à le supposer établi, n’ayant pas encore fondé d’exception aux règles de mise en concurrence, l’instance de recours a interrogé la CJUE sur ce point et sur celui de savoir si le contrôle exercé devait être total ou pouvait être limité aux seuls achats, à l’instar de celui de l’Etat sur l’université.

Dans ses conclusions, l’avocat général Paolo Mengozzi a estimé, sur la première question, qu’une conception horizontale du in house pouvait être envisageable mais que, s’agissant d’un contrôle nécessairement plus diffus, il n’était pas possible (contrairement au in house vertical et à la jurisprudence Coditel Brabant) que le contrôle exercé sur les deux entités parties au contrat attribué sans mise en concurrence soit exercé conjointement par plusieurs pouvoirs adjudicateurs 6) « Dans cette perspective, j’estime donc que l’exception à l’application des règles de l’Union aux attributions internes horizontales ne peut être admise que si l’organisme qui exerce le contrôle analogue sur les deux parties, à savoir le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire, est non seulement le même, mais exerce aussi son contrôle analogue de manière exclusive sur les deux parties. J’estime en conséquence qu’il faut exclure la possibilité d’étendre l’exception «in house» aux cas d’opérations horizontales conclues entre des parties sur lesquelles une administration exerce un contrôle analogue, tel que défini par la jurisprudence, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs » (conclusions lues le 23 janvier 2014, point 45).. Au cas présent, compte tenu de ce que l’Etat de la ville de Hambourg ne contrôle pas seul la société attributaire, il a donc exclu l’existence d’une telle relation. Et, sur la seconde question, il a estimé que, pour l’on puisse considérer qu’un contrôle exercé par un pouvoir adjudicateur sur une personne soit analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, ce contrôle « doit s’étendre à l’ensemble de l’activité de l’adjudicataire et ne peut pas se limiter au seul domaine des marchés » mais ceci, « sous réserve des prérogatives d’enseignement et de recherche propres aux universités » et ce, « dans la mesure où l’autonomie des universités dans ces domaines est l’expression de valeurs de nature constitutionnelle communes aux droits des États membres et consacrées par la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne] » 7) Points 71, 75 et 73..

De façon beaucoup plus abrupte, la Cour a fait preuve de rigorisme dans sa réponse à l’une et l’autre question auxquelles elle a répondu simultanément. Sur la seconde question, la Cour se montre en effet nettement plus exigeante que son avocat général puisqu’elle considère que l’Etat de « la ville de Hambourg n’est pas en mesure d’exercer sur l’université un «contrôle analogue» », au motif que le contrôle exercé par l’Etat « ne s’étend qu’à une partie de l’activité de cette dernière, à savoir uniquement en matière d’acquisitions, mais non aux domaines de l’enseignement et de la recherche, dans lesquels l’université dispose d’une large autonomie » 8) Points 28 et 32.. Ainsi, même une autonomie constitutionnellement protégée et limitée à la sphère intellectuelle exclut toute relation in house.

Pour cette raison, elle ne se prononce pas – semble-t-il – sur la question de savoir si une conception horizontale de l’exception in house est possible et à quelles conditions, puisque l’une de ses composantes fait en tout état de cause défaut. Certes, elle commence par considérer que la relation entre l’université et la société, la première ne détenant aucune participation dans le capital de la seconde et aucun représentant dans son organe de direction, « ne saurait être couverte par ladite exception, sauf à étendre les limites de l’application de celle‑ci, clairement circonscrites par la jurisprudence de la Cour, d’une manière susceptible de réduire significativement la portée du principe [de mise en concurrence] » ; ce qui pourrait être interprété comme un strict cantonnement de l’exception in house aux seules relations verticales. Mais, pour autant, elle estime que, « Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner si l’exception concernant les attributions «in house» peut trouver à s’appliquer aux opérations dites «internes horizontales», à savoir une situation dans laquelle le même ou les mêmes pouvoir(s) adjudicateur(s) exerce(nt) un «contrôle analogue» sur deux opérateurs économiques distincts dont l’un attribue un marché à l’autre » 9) Points 30 et 33.. Il restera donc à attendre d’autres « circonstances » pour avoir une réponse plus précise. Ou bien, tout simplement, la transposition de la nouvelle directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics, qui abroge la directive 2004/18/CE et vient, a priori, consacrer le in house horizontal à son article 12 paragraphe 2 10) « Le paragraphe 1 [retranscrivant la jurisprudence classique en matière de in house] s’applique également lorsqu’une personne morale contrôlée qui est un pouvoir adjudicateur attribue un marché au pouvoir adjudicateur qui la contrôle, ou à une autre personne morale contrôlée par le même pouvoir adjudicateur, à condition que la personne morale à laquelle est attribué le marché public ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée »..

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1. CJUE 8 mai 2014 Technische Universität Hamburg-Harburg et Hochschul-Informations-System GmbH, aff. C-15/13.
2. CJCE 18 novembre 1999 Teckal Srl c/ Commune di Viano et AGAC, aff. C-107/98.
3. CJCE 11 mai 2006 Carbotermo SpA, Consorzio Alisei, aff. C-340/04.
4. CJCE 29 novembre 2012 Econord Spa, aff. C-182/11.
5. CJCE 13 novembre 2008 Coditel Brabant SA, aff. C-324/07.
6. « Dans cette perspective, j’estime donc que l’exception à l’application des règles de l’Union aux attributions internes horizontales ne peut être admise que si l’organisme qui exerce le contrôle analogue sur les deux parties, à savoir le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire, est non seulement le même, mais exerce aussi son contrôle analogue de manière exclusive sur les deux parties. J’estime en conséquence qu’il faut exclure la possibilité d’étendre l’exception «in house» aux cas d’opérations horizontales conclues entre des parties sur lesquelles une administration exerce un contrôle analogue, tel que défini par la jurisprudence, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs » (conclusions lues le 23 janvier 2014, point 45).
7. Points 71, 75 et 73.
8. Points 28 et 32.
9. Points 30 et 33.
10. « Le paragraphe 1 [retranscrivant la jurisprudence classique en matière de in house] s’applique également lorsqu’une personne morale contrôlée qui est un pouvoir adjudicateur attribue un marché au pouvoir adjudicateur qui la contrôle, ou à une autre personne morale contrôlée par le même pouvoir adjudicateur, à condition que la personne morale à laquelle est attribué le marché public ne comporte pas de participation directe de capitaux privés, à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée ».

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