Le juge administratif n’est pas compétent pour juger un recours Tarn et Garonne contre un contrat administratif comportant des éléments d’extranéité

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2024

Temps de lecture

3 minutes

CE 22 mars 2024 association Bon Sens, req. n° 471048 : au Rec. CE

Par une décision du 22 mars 2024, la Section du contentieux précise les contours de la compétence du juge administratif en matière de contrat administratif comportant des éléments d’extranéité.

En novembre 2020 en plein cœur de l’épidémie de Covid-19, la Commission européenne a conclu avec les sociétés Pfizer et BioNTech et pour le compte des Etats-membres un contrat-cadre d’achat par anticipation de doses de vaccin, sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 122 du TFUE 1)Article 122 TFUE : « 1. Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie. (…) ».

Ce contrat-cadre est régi par le droit belge, pour tous les Etats membres participants et tout litige relatif au contrat-cadre lui-même ou à tout bon de commande en découlant est soumis à la compétence exclusive des tribunaux de Bruxelles.

Le 8 décembre 2020, l’Agence nationale de santé publique française a passé un bon de commande, sur le fondement de cet accord- cadre et pour le compte de l’Etat français, incluant une clause d’irresponsabilité du fournisseur de vaccins.

L’association Bon Sens a demandé devant les juges du fond l’annulation de cette clause ou, subsidiairement, l’annulation du bon de commande.

Tant le tribunal administratif que la cour administrative d’appel de Paris se sont déclarés incompétents.

La requérante s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat, qui s’interroge donc sur la question de la compétence du juge administratif pour connaître de litiges relatifs à des contrats administratifs comportant des éléments d’extranéité, y compris les recours en contestation de validité formés par des tiers dits « Tarn et Garonne ».

Le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’en application de l’article 4 du règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016 2)Règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016, la Commission européenne et les Etats membres ont conclu un accord réglant la procédure de passation de marché découlant de la décision de la Commission C(2020) 4192 final du 18 juin 2020 3)Décision de la Commission C(2020) 4192 du 18 juin 2020, qui prévoit l’approche centralisée de l’achat de vaccins au nom des Etats-membres.

Au plan du droit international privé, sa nature interroge la doctrine 4)A. d’Ornano, Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), Dalloz, « Les contrats d’achat anticipés de vaccins », p. 475 à 479.

C’est toutefois en vertu de cet accord-cadre que les Etats membres participants ont, d’une part, décidé que chaque contrat-cadre négocié par la Commission pour leur compte avec un fabricant de vaccin comprendrait des stipulations clarifiant le droit applicable à la fois à ce contrat-cadre et aux « bons de commande » en résultant et, d’autre part, accepté que chaque contrat-cadre comprenne le même droit applicable pour tous et que les juridictions de ce droit soient compétentes pour connaître des litiges résultant de ce contrat-cadre.

Le présent contrat s’inscrit donc dans un cadre tout à fait dérogatoire, adopté dans le contexte de la pandémie.

Le Conseil d’Etat juge ensuite que la soumission de l’ensemble contractuel examiné en l’espèce au droit belge et à la compétence des juridictions bruxelloises le fait échapper à la compétence du juge administratif.

Cette décision vient réitérer la portée de la jurisprudence Tegos 5)CE sect. 19 novembre 1999 Tegos, req. n° 183648 : au Rec. CE : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, d’une part, que, lors du recrutement de M. X… par l’Institut français d’Athènes, la commune volonté des parties avait été de soumettre l’exécution du contrat de travail de l’intéressé aux dispositions de la législation du travail grecque, l’article 9 du contrat stipulant d’ailleurs : “En cas de litige portant sur l’interprétation ou l’application du présent contrat, les parties conviennent de s’en remettre aux tribunaux d’Athènes exclusivement compétents en ce domaine, mais après épuisement des voies amiables” et, d’autre part, que la situation de M. X… en qualité de professeur suppléant de l’Institut français d’Athènes n’était régie par aucune règle de droit français ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative française n’est pas compétente pour connaître de la requête de M. X… ; », selon laquelle le juge administratif est incompétent pour connaître d’un litige relatif à un contrat qui n’est en aucune façon régi par le droit français.

 

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1. Article 122 TFUE : « 1. Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie. (…) »
2. Règlement (UE) n° 2016/369 du 15 mars 2016
3. Décision de la Commission C(2020) 4192 du 18 juin 2020
4. A. d’Ornano, Revue critique de droit international privé, 2021/2 (N° 2), Dalloz, « Les contrats d’achat anticipés de vaccins », p. 475 à 479
5. CE sect. 19 novembre 1999 Tegos, req. n° 183648 : au Rec. CE : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, d’une part, que, lors du recrutement de M. X… par l’Institut français d’Athènes, la commune volonté des parties avait été de soumettre l’exécution du contrat de travail de l’intéressé aux dispositions de la législation du travail grecque, l’article 9 du contrat stipulant d’ailleurs : “En cas de litige portant sur l’interprétation ou l’application du présent contrat, les parties conviennent de s’en remettre aux tribunaux d’Athènes exclusivement compétents en ce domaine, mais après épuisement des voies amiables” et, d’autre part, que la situation de M. X… en qualité de professeur suppléant de l’Institut français d’Athènes n’était régie par aucune règle de droit français ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la juridiction administrative française n’est pas compétente pour connaître de la requête de M. X… ; »

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