Le juge administratif peut enjoindre à la CNAC de rendre un avis favorable sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative si cela découle de l’annulation du refus

Catégorie

Aménagement commercial

Date

December 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 novembre 2021 Société Les Cluses du Marais, req. n° 441118 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

En principe, l’annulation d’un refus opposé par la Commission Nationale d’Aménagement Commercial (CNAC) a pour effet de la ressaisir du dossier qu’elle doit à nouveau examiner en tenant compte de la législation en vigueur à la date à laquelle elle se prononce 1)CE 12 janvier 2005 SA Cora Belgique, req. n° 260198 : publié au Rec. CE – CE 17 décembre 2014 Société Carrefour Property Development, req. n° 373794 : « Considérant que la présente décision implique nécessairement que la Commission nationale d’aménagement commercial procède à un nouvel examen de la demande d’autorisation dont elle se trouve à nouveau saisie, dans un délai de quatre mois à compter de la présente décision ; qu’il appartiendra à la commission nationale d’appliquer la législation en vigueur à la date à laquelle elle se prononcera »..

Jusqu’alors, les juges du fond enjoignaient ainsi à la CNAC de réexaminer le dossier après annulation du refus ou de l’avis défavorable sur le fondement de l’article L. 911-2 du code de justice administrative 2)« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d’office l’intervention de cette nouvelle décision »..

Mais depuis peu, certaines cours administratives d’appel (CAA) ont eu recours aux dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative 3)« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure ». pour contrecarrer une tendance de la CNAC à opposer plusieurs refus successifs à certains projets malgré des annulations contentieuses 4)Voir par exemple : CAA Lyon 28 janvier 2021 req. n° 19LY01442 : « Le présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs et en l’absence de demande de substitution d’un autre motif de refus susceptible d’être valablement opposé à ce projet ayant déjà fait l’objet de trois examens par la Commission nationale d’aménagement commercial, que cette dernière, saisie pour la quatrième fois par l’effet de la présente annulation, délivre à la SCI La Colline l’autorisation demandée, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt » – CAA Bordeaux 9 juillet 2020, req. n° 18BX03937 – CAA Lyon 17 juin 2021 req. n° 20LY02574..

Dans l’affaire Les Cluses du Marais, la CNAC a opposé deux avis défavorables sanctionnés par la CAA de Lyon. Dès le premier avis défavorable du 26 avril 2018, la CAA de Lyon a enjoint à la CNAC de délivrer l’autorisation par un arrêt du 30 janvier 2020 (c’est l’arrêt sanctionné par le Conseil d’Etat le 22 novembre 2021). Malgré cette injonction, la CNAC s’est à nouveau opposée au projet par un avis défavorable rendu le 17 septembre 2020. Saisie en vue de l’exécution de son arrêt du 30 janvier 2020, la CAA de Lyon a ordonné à la CNAC de rendre un avis favorable au projet dans un délai d’un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard 5)CAA Lyon 15 avril 2021 SAS Les Cluses du Marais, req. n° 20LY03702..

Estimant toutefois qu’il n’était pas possible, par principe, de lui appliquer les dispositions de l’article L. 911-1 eu égard à ses pouvoirs d’instruction, la CNAC a saisi le juge des référés du Conseil d’Etat pour obtenir le sursis à exécution de l’arrêt du 30 janvier 2020.

Cette demande a été rejetée par un arrêt du 2 décembre 2020 du Conseil d’Etat au motif tout d’abord que l’exécution de l’arrêt n’a pas, par elle-même, pour effet de permettre l’édification du projet de supermarché en litige et ensuite que « la circonstance, également alléguée par la commission, selon laquelle l’arrêt contesté soulèverait, en ce qu’il enjoint à la commission d’émettre un avis favorable sur le projet, des questions de principe, n’est pas de nature à caractériser l’existence de conséquences difficilement réparables au sens des dispositions de l’article R. 821-5 du code de justice administrative » 6)CE 2 décembre 2020 Société Les Cluses du Marais, req. n° 442125..

Sur le fond, le Conseil d’Etat a confirmé qu’il n’existait aucun principe empêchant d’enjoindre à la CNAC de délivrer un avis favorable sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :

« Contrairement à ce que soutient la Commission nationale d’aménagement commercial, la circonstance qu’elle soit chargée par l’article R. 752-36 du code de commerce d’instruire les recours dont elle est saisie ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif lui enjoigne, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre une mesure dans un sens déterminé si les motifs de la décision juridictionnelle l’impliquent nécessairement ».

Le Conseil d’Etat a en cela suivi les conclusions de son rapporteur public, Raphaël Chambon, qui rappelait que, si de prime abord il peut paraître étrange « de permettre au juge de formuler une injonction directement à l’auteur d’un acte préparatoire qui n’est pas l’auteur de la décision finale, qui constitue le seul acte susceptible de recours (…), dès lors que la CNAC a la qualité de partie au litige, on ne voit pas pourquoi une injonction ne pourrait lui être adressée ».

Raphaël Chambon précisait en outre qu’exclure cette possibilité « impliquerait que le juge ne pourrait jamais enjoindre la délivrance d’un avis dans un sens déterminé, excluant l’usage de l’article L. 911-1 du CJA en matière d’autorisation d’exploitation commerciale ».

Cependant, le Conseil d’Etat a limité cette possibilité au seul cas dans lequel « les motifs de l’annulation impliquent nécessairement la délivrance d’un avis favorable ».

En l’espèce, constatant que les motifs de l’avis défavorable ne concernaient que certains des critères d’évaluation de deux seulement des trois objectifs fixés par l’article L. 752-6 du code de commerce, sa censure n’impliquait pas nécessairement la délivrance d’un avis favorable, l’ensemble des critères n’ayant pas été analysé par la CNAC. D’ailleurs, dans cette affaire, le second avis défavorable était fondé sur d’autres motifs que ceux opposés dans le premier avis.

En d’autres termes, c’est en quelque sorte seulement lorsque le débat est épuisé, c’est-à-dire que la CNAC a analysé l’ensemble des critères d’appréciation fixés par la loi que le juge peut lui enjoindre de délivrer l’autorisation ou l’avis favorable.

Si la cassation se justifie en effet dans le cas de l’affaire Les Cluses du Marais, l’injonction ayant été prononcée dès le premier refus, il en va certainement différemment lorsque la CNAC a opposé plusieurs refus successifs et a pu à ces occasions se prononcer au regard de l’ensemble des objectifs fixés par la loi. Elle a bien, dans ce cas, épuisé le débat.

 

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References   [ + ]

1. CE 12 janvier 2005 SA Cora Belgique, req. n° 260198 : publié au Rec. CE – CE 17 décembre 2014 Société Carrefour Property Development, req. n° 373794 : « Considérant que la présente décision implique nécessairement que la Commission nationale d’aménagement commercial procède à un nouvel examen de la demande d’autorisation dont elle se trouve à nouveau saisie, dans un délai de quatre mois à compter de la présente décision ; qu’il appartiendra à la commission nationale d’appliquer la législation en vigueur à la date à laquelle elle se prononcera ».
2. « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d’office l’intervention de cette nouvelle décision ».
3. « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure ».
4. Voir par exemple : CAA Lyon 28 janvier 2021 req. n° 19LY01442 : « Le présent arrêt implique nécessairement, eu égard à ses motifs et en l’absence de demande de substitution d’un autre motif de refus susceptible d’être valablement opposé à ce projet ayant déjà fait l’objet de trois examens par la Commission nationale d’aménagement commercial, que cette dernière, saisie pour la quatrième fois par l’effet de la présente annulation, délivre à la SCI La Colline l’autorisation demandée, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt » – CAA Bordeaux 9 juillet 2020, req. n° 18BX03937 – CAA Lyon 17 juin 2021 req. n° 20LY02574.
5. CAA Lyon 15 avril 2021 SAS Les Cluses du Marais, req. n° 20LY03702.
6. CE 2 décembre 2020 Société Les Cluses du Marais, req. n° 442125.

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