Le juge des référés du Conseil d’Etat ne suspend pas les restrictions de déplacement pour les personnes vaccinées ou ayant déjà contracté la covid-19

Catégorie

Droit administratif général

Date

May 2021

Temps de lecture

6 minutes

CE 6 mai 2021 M. A et autre, req. n° 451455

Dans le cadre de la lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19, le gouvernement a adopté le 19 mars 2021 des mesures renforcées dans seize départements. Ces mesures ont ensuite été étendues à l’ensemble du territoire métropolitain le 2 avril 2021.

C’est dans ce contexte, et alors que la campagne de vaccination s’est accélérée ces dernières semaines, que des particuliers et une association ont conjointement saisi le juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, afin que soient levées les restrictions de déplacement d’une part pour les personnes vaccinées et, d’autre part, pour les personnes ayant déjà contracté la covid-19 et développé des anticorps toujours actifs contre cette maladie. Les requérants soutenaient que ces restrictions portaient atteinte à leur liberté d’aller et venir. Le juge des référés a rendu le même jour deux ordonnances qui présentent des motifs similaires.

Ces recours ayant été formés avant la date du 3 mai 2021, le juge des référés a observé qu’il avait été mis fin aux mesures de confinement diurne à la date à laquelle il a statué et que ne demeuraient en vigueur que les mesures de couvre-feu. Les conclusions des requérantes dirigées contre les mesures de confinement diurne étaient donc devenues sans objet.

Après avoir relevé que la circulation du virus de la Covid-19 demeurait élevée sur l’ensemble du territoire et que « les signes indiquant une relative maîtrise de la troisième vague de diffusion du virus demeurent fragiles au regard de la menace que font peser les variants du virus », le juge des référés a observé que, selon les données scientifiques disponibles, les personnes définitivement vaccinées peuvent être porteuses du virus dans des proportions bien moindres que les personnes non-vaccinées, et que les personnes rétablies après avoir contracté la covid-19 sont susceptibles de ne plus être porteuses du virus pendant trois voire six mois, ou en tous les cas dans des proportions moindres que les personnes non-vaccinées.

Toutefois, en réponse aux moyens des requérants, le juge des référés relève qu’une levée partielle des contraintes en vigueur pour une fraction de la population supposerait que les pouvoirs publics soient en mesure d’identifier ces personnes de façon certaine, par des moyens d’identification personnelle infalsifiables, aisément contrôlables et conformes aux exigences de traitement des informations personnelles à caractère médical.

Le juge des référés note que ces conditions ne sont pas réunies en l’état, et qu’il est peu vraisemblable qu’elles le soient d’ici le 2 juin prochain, date à laquelle les mesures de restriction doivent être levées. Dans ce contexte, le juge du référé-liberté estime qu’une levée immédiate des contraintes pour une fraction de la population créeraient une situation de désordre et solliciterait à l’excès les forces de l’ordre pour assurer aux horaires nocturnes imposées des contrôles « dont l’inefficacité conduirait rapidement à une perte totale de l’effectivité des outils de politique sanitaire ». Le juge des référés a donc fait preuve d’un certain pragmatisme en jugeant quelles seraient concrètement les conséquences d’une levée immédiate des restrictions pour une partie de la population au regard de l’efficacité des mesures du contrôle de l’épidémie.

C’est pourquoi le juge des référés estime que le maintien du couvre-feu ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux droits et libertés des personnes rétablies après avoir contracté la covid-19 ou ayant bénéficié de la vaccination. Pour ces raisons, il rejette les demandes des requérants.

Cette ordonnance s’inscrit dans la même logique qu’une autre ordonnance rendue il y a un mois suite au recours d’un retraité de 83 ans tendant à la suspension de l’application des restrictions de déplacement aux personnes vaccinées 1)CE 1 avril 2021 M. Benhebri, req. n° 450956. Le juge des référés du Conseil d’Etat avait estimé que le maintien des mesures de restrictions de déplacement aux personnes vaccinées se justifiait par la dégradation de la situation sanitaire sur l’ensemble du territoire et que dès lors l’atteinte à la liberté individuelle des personnes vaccinées ne pouvait être regardée comme disproportionnée au regard des objectifs de lutte contre la propagation du virus.

Depuis le début de la crise sanitaire, le juge des référés du Conseil d’Etat a été amené à de multiples reprises à se prononcer sur la validité des mesures attentatoires aux libertés publiques, en en validant la grande majorité dès lors qu’elles se justifiaient par la nécessité de limiter la circulation de la Covid-19.

Il avait refusé de suspendre le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu 2)CE 23 octobre 2020 M. Paul Cassia et autres, req. n° 445430. Le Conseil d’Etat avait également estimé, par une ordonnance du 23 décembre 2020 3)CE 23 décembre 2020 M Y et autres, req. n° 447698, que la fermeture des lieux culturels (cinémas, théâtres et salles de spectacles) était justifiée par la dégradation de la situation sanitaire et les incertitudes pesant sur son évolution à court terme. Le juge des référés avait de même validé la fermeture des bars et des restaurants 4)CE 8 décembre 2020 Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et autres, req. n° 446715, ainsi que celle des remontées mécaniques dans les stations de sports d’hiver 5)CE 11 décembre 2020 Domaines skiables de France et autres, req. n° 447208.

L’ordonnance du 3 mars 2021 suspendant l’interdiction générale et absolue de sortie des résidents d’EHPAD a constitué une illustration du degré d’exigence renforcée manifestée par le juge des référés lorsqu’est en cause non pas une simple limitation à l’exercice d’une liberté, mais bien une interdiction générale et absolue 6)CE 3 mars 2021 Mme B et autres, req. n° 449759. De même, le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que les déplacements chez un professionnel du droit et notamment un avocat ne pouvaient pas être limités après 18 heures, dès lors que l’absence de cette dérogation durant le couvre-feu porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale d’exercer un recours effectif devant une juridiction 7)CE 3 mars 2021 Ordre des avocats du barreau de Montpellier, req. n° 449764.

S’agissant de la liberté de culte, le juge des référés avait suspendu, par une ordonnance du 29 novembre 2020 8)CE 29 novembre 2020 Association Civitas et autres, req. n° 446930, la limitation à trente personnes des rassemblements dans les lieux de culte, estimant que l’atteinte portée à la liberté de culte était disproportionnée. Toutefois, il a rejeté le recours de deux associations tendant à l’adaptation du couvre-feu pendant la semaine de Pâques, pour permettre aux catholiques de se rendre dans un lieu de culte après 19h 9)CE 29 mars 2021 Association Civitas et autres, req. n° 450893.

Plus récemment, le juge des référés a rejeté les recours formés par la Grande Mosquée de Paris et deux associations tendant à autoriser l’ouverture des mosquées dans la nuit du 8 au 9 mai à l’occasion de la « Nuit du Destin », fête religieuse musulmane 10)CE 6 mai 2021 Association société des Habous et lieux saints de l’islam et autres, req. n° 452144. Le juge des référés a rappelé à cette occasion que la liberté de culte comportait, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement à des cérémonies, en particulier dans des lieux de culte, mais que cette liberté devait être conciliée avec l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Le juge des référés a, d’une part, relevé que les responsables de mosquées de France ont mis en œuvre des protocoles sanitaires permettant de diminuer le risque lié à l’existence de rassemblements dans un espace clos et que, contrairement à ce qui avait été décidé lors du premier confinement, la tenue de cérémonies religieuses était autorisée, en dehors des heures de couvre-feu. Ainsi, il est possible pour les fidèles de participer aux cérémonies religieuses organisées entre 6 heures et 19 heures, dans le respect des protocoles sanitaires. Le juge des référés a également relevé à l’appui de son ordonnance, que des mesures alternatives ont été mises en place par de nombreuses mosquées pour permettre un suivi adapté des croyants au cours du mois de Ramadan et de la « Nuit du Destin », des services religieux étant assurés par voie dématérialisée.

Le juge des référés a d’autre part estimé que les conséquences d’une levée partielle des contraintes en vigueur pour une fraction de la population auraient supposé que les pouvoirs publics soient en mesure de « s’assurer à tout instant que les personnes qui se prévalent de cette dérogation se rendent effectivement dans un lieu de culte ». Estimant à 200 000 le nombre de personnes susceptibles de se rendre dans une mosquée pour la « Nuit du Destin », le juge des référés en a déduit que cette levée des contraintes entrainerait un nombre de déplacements à la fois élevés et en pratique très difficiles à contrôler.

Dès lors, mettant en balance d’une part l’objectif de maîtrise du risque épidémique et, d’autre part, la liberté fondamentale que constitue la liberté de culte, le juge des référés a estimé que la décision du ministre de l’Intérieur de ne pas déroger au couvre-feu pour la « Nuit du Destin » ne pouvait être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale à la liberté de culte.

 

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