Le recours à une procédure concurrentielle avec négociation ne se justifie pas pour des prestations connues et normalisées

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

November 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 7 octobre 2020 Lyon Métropole Habitat, req. n° 440575 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Lyon Métropole Habitat, l’office public de l’habitat de la métropole de Lyon, a engagé au début de l’année 2019 la passation d’un accord-cadre portant sur la réalisation de diagnostics techniques réglementaires avant démolition, relocation, vente et travaux, selon la procédure concurrentielle avec négociation. Cet accord-cadre était divisé en quatre lots. La société ADE amiante et environnement a présenté une offre pour le lot n° 3 « Diagnostics avant relocation et avant vente », mais celle-ci a été rejetée.

S’estimant lésée du fait que Lyon Métropole Habitat aurait recouru irrégulièrement à la procédure concurrentielle avec négociation, la société AED Amiante et Environnement a formé un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 10 avril 2020 1)TA Lyon 10 avril 2020, req. n° 2001965, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a annulé la procédure de passation. Lyon Métropole Habitat s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat contre cette ordonnance.

Pour rappel, la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 relative à la passation des marchés publics a entendu offrir plus de souplesse aux acheteurs publics, en leur permettant de recourir davantage à des procédures prévoyant des négociations. L’article 26 de ladite directive a donc créé cette nouvelle procédure concurrentielle avec négociation, en la plaçant au même niveau que les procédures ouvertes et restreintes. C’est ainsi que l’article 42 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et l’article 25 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics ont fait de la procédure concurrentielle avec négociation l’une des procédures formalisées auxquelles peuvent avoir recours les acheteurs publics lorsque la valeur estimée du marché public est supérieure aux seuils européens. Dans le cadre d’une procédure concurrentielle avec négociation, le pouvoir adjudicateur « négocie les conditions du marché public avec un ou plusieurs opérateurs économiques » 2)Article 42 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics .

Toutefois, les cas dans lesquels un pouvoir adjudicateur peut recourir à cette procédure sont limitativement énumérés au II de l’article 25 du décret du 25 mars 2016 précité, aujourd’hui codifié à l’article R. 2124-3 du code de la commande publique :

« 1° Lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles ;

2° Lorsque le besoin consiste en une solution innovante […] ;

3° Lorsque le marché comporte des prestations de conception ;

4° Lorsque le marché ne peut être attribué sans négociation préalable du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent ;

5° Lorsque le pouvoir adjudicateur n’est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante en se référant à une norme, une évaluation technique européenne, une spécification technique commune ou un référentiel technique […] ;

6° Lorsque, dans le cadre d’un appel d’offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables […] ont été présentés pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées […] »

Dans le cas de la procédure lancée par l’office public Lyon Métropole Habitat, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon avait considéré que ce dernier avait justifié le recours à une procédure concurrentielle avec négociation au motif que le besoin consistait en une solution innovante, alors même que les prestations demandées n’étaient en rien caractérisées par leur caractère innovant. Les 7ème et 2ème chambres réunies ont donc estimé que le juge des référés avait dénaturé les pièces du dossier, les documents du marché ne justifiant pas le recours à la procédure par la nécessité d’une solution innovante, mais par le 1° du II de l’article 25 du décret du 25 mars 2016, à savoir le fait que le besoin ne pouvait être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles.

Décidant de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat a néanmoins confirmé l’irrégularité du recours à cette procédure par l’office public Lyon Métropole Habitat. En effet, ce dernier faisait valoir que l’objet du marché consistait en la réalisation à grande échelle de diagnostics sur un large parc immobilier, qui ne pouvaient être réalisés qu’au prix d’une adaptation par les candidats de solutions immédiatement disponibles.

Le Conseil d’Etat a toutefois jugé que, si de telles prestations supposaient en effet une adaptation des méthodes de l’entreprise, celles-ci étaient « connues et normalisées » et pouvaient donc être réalisées autrement que par une adaptation par les candidats de solutions immédiatement disponibles. Les 7ème et 2ème chambres réunies en ont donc conclu que le recours de Lyon Métropole Habitat à une procédure concurrentielle avec négociation était irrégulier.

Par cette décision Lyon Métropole Habitat, le Conseil d’Etat précise en outre la nature du contrôle exercé par le juge quant au choix du pouvoir adjudicateur de recourir à une procédure concurrentielle avec négociation. La rapporteure publique Mireille Le Corre plaidait dans ses conclusions pour l’exercice d’un contrôle entier par le juge du référé précontractuel en le justifiant ainsi :

« S’agissant du référé précontractuel, dès lors que son intervention vise précisément à éviter que prospère une procédure irrégulièrement engagée, il nous semble que son office doit intégrer un contrôle entier quant au choix de la procédure retenue » 3)Conclusions de Mireille Le Corre, rapporteur publique

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont suivi ce raisonnement en exerçant un contrôle entier sur le choix de l’office public Lyon Métropole Habitat de recourir à une procédure concurrentielle avec négociation.

 

 

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References   [ + ]

1. TA Lyon 10 avril 2020, req. n° 2001965
2. Article 42 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics
3. Conclusions de Mireille Le Corre, rapporteur publique

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