Le tiers qui, sans disposer d’un titre, revendique la propriété d’un terrain, dispose-t-il un intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme délivrée sur ce terrain ?

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 25 janvier 2023 Société Touche Automobiles, req. n° 445937

Les sociétés Lowima et Touche Automobiles, exploitantes de garages et concessionnaires automobiles, ont chacune fait connaitre leur intérêt pour l’acquisition d’une parcelle, sise sur la commune de Marans (17230), que la communauté de communes Aunis Atlantique entendait céder.

Par une délibération du 26 septembre 2018 le conseil communautaire de la communauté de commune Aunis Atlantique a fixé le prix du mètre carré de la parcelle.

La société Touche Automobiles a alors adressé à la communauté de communes une offre d’achat de la parcelle à ce prix puis, estimant qu’un consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix était intervenu, l’a assignée, le 19 avril 2019, devant le tribunal de grande instance de La Rochelle aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit.

Par une délibération du 2 juillet 2019 le conseil communautaire a pris la décision de vendre la parcelle à la société Lowima et, par un arrêté du 11 décembre 2019, le maire de la commune de Marans a délivré à la société Lowima un permis de construire pour la construction d’un garage automobile sur la parcelle litigieuse.

La société Touche Automobiles a alors saisi le TA de Poitiers d’une requête pour excès de pouvoir tendant à l’annulation du permis de construire.

Par une ordonnance du 22 avril 2020, prise sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, le TA de Poitiers – après avoir invité le requérant à régulariser sa requête – a rejeté la requête comme étant manifestement irrecevable au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme faute pour la société requérante de produire un titre de propriété permettant de justifier de son intérêt à agir.

Par une ordonnance du 3 septembre 2020, prise sur le même fondement, la CAA de Bordeaux a rejeté l’appel de la société Touche Automobiles.

La société Touche Automobiles a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation.

L’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme subordonne la reconnaissance d’un intérêt pour agir à l’encontre de certaines autorisations d’urbanisme à la condition que le projet litigieux soit de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien que la personne « détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Dans ce prolongement, l’article R. 600-4 du même code impose au requérant, à peine d’irrecevabilité, de produire certaines pièces destinées à apprécier son intérêt pour agir : la requête doit être accompagnée « du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation , du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant ».

Comme souligné par le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire, le Conseil d’Etat a déjà accepté de tenir compte, « dans une certaine mesure » de l’existence de recours pendants devant le juge judiciaire pour apprécier la recevabilité des tiers à contester une autorisation d’urbanisme.

Tel est ainsi le cas de la personne qui, bien qu’elle ne puisse pas faire état d’un droit ou titre l’autorisant à occuper un bien, fait état d’une contestation sérieuse devant le juge compétent sur la perte de son droit d’occupation 1)CE 26 juin 2019 Comité national pour l’éducation artistique, req. n° 421785.

Cette hypothèse a par la suite été élargie au-delà de la seule perte du droit d’occupation, au cas dans lequel le requérant revendique la propriété du terrain d’assiette de l’autorisation d’urbanisme et peut ainsi, à la date à laquelle il saisit le juge administratif, faire état d’une contestation sérieuse, à son bénéfice, de cette propriété devant le juge compétent 2)CE 29 juillet 2020 SCI Château de Ferrant, req. n° 433876.

Comme expliqué par le rapporteur public, si la disposition balai de l’article R. 600-4 permet à l’intéressé de faire valoir « tout autre acte » à défaut des titres habituels, il faut que l’ouverture du prétoire liée à l’interprétation de cette disposition fasse obstacle aux manœuvres par lesquelles les tiers se constitueraient artificiellement un intérêt pour agir.

Or en l’espèce, la délibération en date du 26 septembre 2018 mentionnait « diverses sollicitations des porteurs de projets sur ces parcelles », sans plus de précision et se bornait à fixer le prix de vente au mètre carré tout en autorisant le président du conseil communautaire à prendre les dispositions nécessaires au suivi de cette délibération.

Aucun cocontractant n’était donc désigné et, comme analysé par le rapporteur public, cette délibération ne pouvait « manifestement pas être regardée, par son contenu, comme constitutive d’une offre faite au public, liant le pollicitant à l’égard du premier acceptant dans les mêmes conditions que l’offre faite à une personne déterminée ».

Le Conseil d’Etat a donc approuvé la CAA d’avoir jugé que « la simple présentation d’une offre pour le terrain d’assiette du projet suivie de l’engagement d’une action devant le juge civil, lesquels ne sauraient faire regarder la société Touche Automobiles comme pouvant sérieusement revendiquer la propriété de ce terrain ».

La société Touche Automobiles n’était donc pas recevable à contester la légalité du permis litigieux.

Le pourvoi est rejeté.

 

 

 

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References   [ + ]

1. CE 26 juin 2019 Comité national pour l’éducation artistique, req. n° 421785
2. CE 29 juillet 2020 SCI Château de Ferrant, req. n° 433876

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