Légalité des dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme issues du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

July 2020

Temps de lecture

6 minutes

CE 3 juillet 2020, req. n° 424293 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par une décision du 3 juillet 2020, le Conseil d’État a rejeté les recours du Conseil national des barreaux, de l’Ordre des avocats à la cour de Paris, de la Conférence des bâtonniers et du Syndicat des avocats de France contre le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 réformant le contentieux de l’urbanisme 1)Voir également notre commentaire sur le blog..

Aucun des arguments des requérants n’a été retenu.

En premier lieu, les requérants contestaient la légalité des dispositions de l’article R. 612-5-2 2)« En cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est exercé contre l’ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation dans un délai d’un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s’être désisté. Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté ».

du code de justice administrative 3)Issu de l’article 2 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018. qui imposent au requérant de confirmer le maintien de sa requête au fond dans un délai d’un mois à compter de la notification du rejet de son référé-suspension pour défaut de doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Cependant, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions précitées ne méconnaissaient pas le droit à un recours juridictionnel effectif 4)Garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen., que ces dernières étaient compatibles avec le droit à un procès équitable 5)Article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. et le droit à un recours effectif 6)Article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. et que celles-ci n’ont pas pour objet et pour effet de porter atteinte au caractère provisoire des décisions du juge des référés 7)Résultant de l’article L. 511-1 du code de justice administrative. dans la mesure où :

« Prises dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, ces dispositions prévoient, à peine d’irrégularité de la décision constatant le désistement, que la notification de l’ordonnance du juge des référés rejetant des conclusions à fin de suspension en raison de l’absence de moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, mentionne l’obligation pour l’intéressé de confirmer dans le délai d’un mois le maintien de sa requête au fond, ainsi que les conséquences d’une abstention de sa part ».

En outre, le Conseil d’Etat précise qu’à la différence des dispositions précitées de l’article R. 615-5-2 du code de justice administrative, celles de l’article R. 615-5-1 8)« Lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l’expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s’être désisté de l’ensemble de ses conclusions ». du même code permettent au président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, au président de la chambre chargée de l’instruction, sans leur en faire obligation, d’inviter un requérant à confirmer le maintien de ses conclusions lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt de leur maintien.

Dès lors, selon le Conseil d’Etat, « les différences qui séparent ces deux règles procédurales distinctes ne sauraient traduire une méconnaissance du principe d’égalité devant la justice ».

En deuxième lieu, les requérants contestaient la légalité des dispositions de l’article R. 600-3 9)« Aucune action en vue de l’annulation d’un permis de construire ou d’aménager ou d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable n’est recevable à l’expiration d’un délai de six mois à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement. Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d’achèvement mentionnée à l’article R. 462-1 ».

du code de l’urbanisme 10)Issu de l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018. qui rendent irrecevable tout recours contre une autorisation d’urbanisme au-delà d’un délai de six mois après l’achèvement des travaux.

Pour autant, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions précitées étaient justifiées par le principe de sécurité juridique, « qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps ».

En conséquence, selon le Conseil d’Etat, les nouvelles dispositions de l’article R. 600-3 du code de l’urbanisme « qui se bornent à fixer un délai de recours contentieux, ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif ».

En troisième lieu, les requérants contestaient la légalité des dispositions de l’article R. 600-4 11)« Les requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant. Lorsqu’elles sont introduites par une association, ces mêmes requêtes doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées des statuts de celle-ci, ainsi que du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture. Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ».

du code de l’urbanisme 12)Issu de l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018. qui imposent au requérant d’accompagner son recours des pièces justifiant de son intérêt pour agir, sous peine d’irrecevabilité.

Le Conseil d’Etat a jugé que « prises dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », ces dispositions ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.

A cette occasion, le Conseil d’Etat a précisé utilement que les dispositions de l’article R. 600-4 du code précité « ne peuvent être opposées sans que l’auteur de la requête soit invité à la régulariser en produisant les pièces requises ».

En quatrième lieu, les requérants contestaient la légalité des dispositions de l’article R. 600-5 13)« Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie. Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire. ».

du code de l’urbanisme 14)Issu de l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018. selon lesquelles les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Pour autant, le Conseil d’Etat a jugé que ce renforcement de la cristallisation des moyens, « pris dans l’objectif de bonne administration de la justice et de respect du droit à un délai raisonnable de jugement », ne méconnaît pas le principe des droits de la défense dans la mesure où le juge peut reporter ce délai et fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens, lorsque l’affaire le justifie.

Enfin, en dernier lieu, les requérants contestaient la légalité des dispositions de l’article R. 600-6 15)« Le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement. La cour administrative d’appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa ».

du code de l’urbanisme 16)Issu de l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018. qui impose au juge de statuer dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement.

Le Conseil d’Etat a jugé que ce délai de jugement, « pris dans l’objectif de bonne administration de la justice et de respect du droit à un délai raisonnable de jugement », ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif et ne porte pas d’atteinte illégale à l’égalité entre les justiciables dès lors que les dispositions contestées visent à « réduire les délais de constructions des logements » et fixent un délai de jugement « qui n’est pas prescrit à peine de dessaisissement de la juridiction ».

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References   [ + ]

1. Voir également notre commentaire sur le blog.
2. « En cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 au motif qu’il n’est pas fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il appartient au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est exercé contre l’ordonnance rendue par le juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête à fin d’annulation ou de réformation dans un délai d’un mois à compter de la notification de ce rejet. A défaut, le requérant est réputé s’être désisté. Dans le cas prévu au premier alinéa, la notification de l’ordonnance de rejet mentionne qu’à défaut de confirmation du maintien de sa requête dans le délai d’un mois, le requérant est réputé s’être désisté ».
3. Issu de l’article 2 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018.
4. Garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
5. Article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
6. Article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
7. Résultant de l’article L. 511-1 du code de justice administrative.
8. « Lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l’instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l’expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s’être désisté de l’ensemble de ses conclusions ».
9. « Aucune action en vue de l’annulation d’un permis de construire ou d’aménager ou d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable n’est recevable à l’expiration d’un délai de six mois à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement. Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d’achèvement mentionnée à l’article R. 462-1 ».
10, 12, 14, 16. Issu de l’article 7 du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018.
11. « Les requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant. Lorsqu’elles sont introduites par une association, ces mêmes requêtes doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées des statuts de celle-ci, ainsi que du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture. Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ».
13. « Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie. Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire. ».
15. « Le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement. La cour administrative d’appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa ».

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