Les conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2014

Temps de lecture

8 minutes

CE 29 décembre 2014 Commune d’Uchaux, req. n° 372477

Par un arrêt Commune d’Uchaux rendu le 29 septembre 2014, le Conseil d’Etat vient préciser les conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé et notamment la démarche qui doit être celle du juge de l’exécution, avant d’en faire application, au cas présent, dans une affaire où étaient en cause un contrat d’acquisition, un contrat d’emprunt et un bail commercial.

1 – Un bref rappel des conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat administratif

Le Conseil d’Etat commence par brièvement rappeler la démarche qui doit être celle du juge de l’exécution en cas d’annulation d’un acte détachable, tel que la délibération du conseil municipal autorisant le maire à signer un contrat, lorsque le contrat en cause est un contrat administratif :

« 4. Considérant, d’une part, que l’annulation d’un acte détachable d’un contrat administratif n’implique pas nécessairement que le contrat en cause doive être annulé ; qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ».

Il s’agit là de la reprise du considérant de principe de l’arrêt Ophrys du 21 février 2011 1) CE 21 février 2011 Société Ophrys, Communauté d’agglomération Clermont-Communauté, req. n° 337349 : BJCP 2011, p. 133, concl. Dacosta, note Dourlens et de Moustier ; RDI p. 277, note Noguellou ; Contrats-Marchés publ. n° 123, note Pietri ; DA n° 47, note Brenet ; JCP A n° 2183, note Busson.
, légèrement reformulé en 2012 par la substitution de l’annulation du contrat à sa nullité 2) CE 10 décembre 2012 Société Lyonnaise des eaux France, req. n° 355127. Voir aussi CE 28 janvier 2013 Syndicat mixte Flandre Morinie, req. n° 358302 – CE 6 novembre 2013 Commune de Marsannay-la-Côte, req. n° 365079 : BJCP 2014/92, p. 3, concl. Dacosta, obs. SN. et complété ici par le fait que le contrat en cause est un contrat « administratif ».

Il s’agit surtout d’une hypothèse qui ne concernera guère plus que le passé, puisqu’avec l’ouverture à tous les tiers y ayant intérêt d’un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat (ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles) du contrat administratif par l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014 3) CE Ass. 4 avril 2014 Département du Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : BJCP 2014/94, p. 204, concl. Dacosta, obs. Terneyre ; AJDA p. 1035, chron. Bretonneau et Lessi ; achatpublic.info 9 avril 2014, note Ménéménis ; DA n° 36, note Brenet ; Contrats-Marchés publ., Repère 5, note Llorens et Soler-Couteaux, et Etude 5, note Rees ; JCPA n° 2152, note Sestier, et n° 2153, note Hul ; JCP G étude 732, note Bourdon ; RDI p. 344, note Braconnier ; CP-ACCP n°144, juin 2014, p. 76, note Lanzarone et Braunstein. et la fermeture corrélative de leur possibilité d’en contester les actes détachables, sauf pour le préfet et durant le bref délai précédant la conclusion dudit contrat 4) « que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet »., la problématique des conséquences à tirer de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat administratif ne devrait plus beaucoup se rencontrer.

Toutefois, l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne ne concerne que les contrats administratifs, ce qui maintient la possibilité de contester les actes détachables de contrats de droit privé et, dès lors, laisse entière la question des conséquences de leur annulation.

2 – La détermination des conséquences de l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé

Le Conseil d’Etat définit ensuite la démarche qui doit être celle du juge de l’exécution lorsque l’acte détachable annulé se rapporte à un contrat de droit privé :

« 5. Considérant, d’autre part, que l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé n’impose pas nécessairement à la personne publique partie au contrat de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de cette annulation ; qu’il appartient au juge de l’exécution de rechercher si l’illégalité commise peut être régularisée et, dans l’affirmative, d’enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation ; que, lorsque l’illégalité commise ne peut être régularisée, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature de cette illégalité et à l’atteinte que l’annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l’intérêt général, il y a lieu d’enjoindre à la personne publique de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation de l’acte détachable ».

L’hypothèse n’est pas nouvelle ; c’est même, d’ailleurs, à propos d’un contrat de droit privé que la problématique des conséquences à tirer de l’annulation d’un acte détachable (en l’occurrence, déjà, une délibération autorisant un maire à conclure un contrat de vente d’un immeuble communal) et sa combinaison avec les pouvoirs d’injonction du juge administratif avait commencé à faire couler de l’encre 5) CE Sect. 7 octobre 1994 Lopez, req. n° 124244 : Rec. CE p. 430, concl. Schwartz..

Ici, le Conseil d’Etat tient compte du fait que le juge naturel du contrat de droit privé est le juge judiciaire, raison pour laquelle on ne peut donc nécessairement dupliquer la solution applicable aux contrats administratifs.

Ainsi, alors que pour le contrat administratif, il appartient au juge (administratif) de l’exécution de « décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties », il ne lui est possible, pour le contrat de droit privé, dont la poursuite de l’exécution n’est pas de son ressort, que de « rechercher si l’illégalité commise peut être régularisée et, dans l’affirmative, d’enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation » ; notamment en reprenant un nouvel acte lorsque cela est possible, ce qui peut par exemple concerner une nouvelle délibération après prise en compte de l’avis des Domaines lorsque la première a été annulée pour avis incomplet 6) CE 8 juin 2011 Commune de Divonne-les-Bains, req. n° 327515 : BJCP 2011/78, p. 381, concl. Dacosta, obs. R.S. ; Contrats-Marchés publ., n° 304, note Pietri ; RJEP 2012, n° 4, note Bretonneau : « Considérant qu’à la suite de l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, de l’acte détachable de la passation d’un contrat, il appartient à la personne publique de déterminer, sous le contrôle du juge, les conséquences à tirer de cette annulation, compte tenu de la nature de l’illégalité affectant cet acte ; que, s’il s’agit notamment d’un vice de forme ou de procédure propre à l’acte détachable et affectant les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, celle-ci peut procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l’annulation sur le contrat lui-même ; qu’elle peut ainsi, eu égard au motif d’annulation, adopter un nouvel acte d’approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l’acte annulé »..

Lorsque la régularisation n’est pas possible, alors que pour le contrat administratif, le juge dispose du choix entre résiliation ou, en cas de vice d’une particulière gravité, résolution du contrat, amiable ou sur décision du juge (administratif) du contrat (qui pourra d’ailleurs être d’un avis différent), il ne peut, pour le contrat de droit privé, qu’enjoindre aux parties de saisir directement le juge (judiciaire) du contrat pour qu’il tire les conséquences de l’annulation de l’acte détachable.

L’omission de la résiliation du contrat par la personne publique s’explique tout simplement par le fait que, s’agissant d’un contrat de droit privé, elle ne dispose plus de son pouvoir de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général dont elle dispose, même dans le silence du contrat, pour les contrats administratifs 7) CE Ass. 2 mai 1958 Distillerie de Magnac-Laval, req. n° 32507 : Rec. CE p. 246..

En revanche, qu’il s’agisse d’un contrat de droit privé ou d’un contrat administratif, la résolution (annulation rétroactive) du contrat n’est pas du ressort de la seule personne publique 8) « La résiliation pour l’avenir pourrait résulter d’une simple décision de l’autorité administrative qui est certainement en mesure d’y procéder unilatéralement s’agissant d’occupations précaires du domaine public. La résolution rétroactive est, pour sa part, hors de portée de l’autorité administrative, sauf accord des deux parties (Ass. 16 avril 1986, Roujansky et autres, p. 113). A défaut d’accord des parties tenant le contrat pour nul et de nul effet, seul le juge du contrat saisi d’une action en nullité pourrait faire disparaître rétroactivement le contrat » (Jacques-Henri Stahl, concl. sur CE Sect. 26 mars 1999 Société Hertz-France et autres : Rec. CE p. 95, spéc. p. 101-102).. Mais si l’hypothèse d’une résolution amiable du contrat de droit privé n’est pas reprise, c’est sans doute parce que, d’une manière générale, seul le juge judiciaire est compétent pour déterminer le sort du contrat, et le juge administratif ne pourrait donc, finalement, même plus enjoindre à la personne publique de rechercher une résolution amiable.

S’agissant des facteurs de rapprochement, il y a lieu dans tous les cas pour le juge de l’exécution de tenir compte de la nature de l’illégalité commise et des conséquences d’une disparition rétroactive du contrat au regard de l’intérêt général. La référence à l’intérêt général peut surprendre s’agissant d’un contrat de droit privé, et il y aura sans doute nombre de cas où elle sera sans incidence ; mais pour autant, l’administration est présumée toujours agir dans l’intérêt général et certains contrats peuvent être de droit privé tout en servant l’intérêt général, s’ils ne répondent tout simplement pas aux critères du contrat administratif.

3 L’application de ces règles dans l’affaire en cause

Dans l’affaire qui lui était soumise, le Conseil d’Etat a eu à connaître de deux contrats de droit privé et d’un contrat administratif.

En effet, sur le fondement d’une délibération du 3 septembre 2010, la commune d’Uchaux avait conclu le 17 décembre 2010 un contrat d’achat d’un immeuble pour y maintenir une activité de bar-tabac-restaurant. Sur le fondement d’une autre délibération du 10 septembre 2010, elle avait conclu le 22 septembre 2010 un contrat d’emprunt pour financer cette acquisition. Enfin, elle avait conclu le 10 novembre 2011 un bail commercial de location du rez-de-chaussée du bâtiment litigieux (a priori pour y accueillir le bar-tabac-restaurant).

Le tribunal administratif avait ensuite annulé la délibération du 3 septembre 2010, en considérant que la prise en charge de l’activité de restaurant par la commune d’Uchaux n’était pas justifiée par un intérêt public ; puis, par voie de conséquence, celle du 10 septembre 2010. La Cour administrative d’appel avait ensuite été saisie d’une demande d’exécution de ce jugement et avait ordonné diverses mesures, dont la résolution des trois contrats.

Saisi uniquement de ces questions d’exécution, l’annulation des deux délibérations n’étant donc pas remise en cause, le Conseil d’Etat se prononce en conséquence sur le sort de chacun de ces contrats :

– Pour le contrat d’acquisition de l’immeuble, il considère qu’il n’implique pas, « par lui-même, que la commune prenne en charge l’activité économique de restauration » ; l’illégalité de la délibération en autorisant la conclusion est donc sans incidence et la commune n’a pas à saisir le juge du contrat ;

– Pour le contrat d’emprunt, dont il est indiqué qu’il “a le caractère d’un contrat administratif” , l’illégalité de la délibération en autorisant la conclusion « ne résulte pas d’un vice propre de cet acte, ne porte pas sur les conditions dans lesquelles la commune a donné son consentement au contrat d’emprunt […] et n’est pas de nature à vicier l’objet ou les clauses de ce contrat » ; il en déduit « que, dès lors, la poursuite de l’exécution de ce contrat est possible ».

– Enfin, pour le bail commercial, il relève « qu’il n’est ni établi, ni même allégué, que les clauses de ce contrat donneraient à la commune le contrôle de l’activité du locataire [et] qu’ainsi ce contrat n’a ni pour objet ni pour effet la prise en charge, par la commune, de l’activité économique de restauration » ; il en déduit en conséquence que l’annulation des délibérations des 3 et 10 septembre 2010 n’implique pas que la commune saisisse le juge du contrat pour qu’il en tire les éventuelles conséquences sur le bail en cause.

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References   [ + ]

1. CE 21 février 2011 Société Ophrys, Communauté d’agglomération Clermont-Communauté, req. n° 337349 : BJCP 2011, p. 133, concl. Dacosta, note Dourlens et de Moustier ; RDI p. 277, note Noguellou ; Contrats-Marchés publ. n° 123, note Pietri ; DA n° 47, note Brenet ; JCP A n° 2183, note Busson.
2. CE 10 décembre 2012 Société Lyonnaise des eaux France, req. n° 355127. Voir aussi CE 28 janvier 2013 Syndicat mixte Flandre Morinie, req. n° 358302 – CE 6 novembre 2013 Commune de Marsannay-la-Côte, req. n° 365079 : BJCP 2014/92, p. 3, concl. Dacosta, obs. SN.
3. CE Ass. 4 avril 2014 Département du Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : BJCP 2014/94, p. 204, concl. Dacosta, obs. Terneyre ; AJDA p. 1035, chron. Bretonneau et Lessi ; achatpublic.info 9 avril 2014, note Ménéménis ; DA n° 36, note Brenet ; Contrats-Marchés publ., Repère 5, note Llorens et Soler-Couteaux, et Etude 5, note Rees ; JCPA n° 2152, note Sestier, et n° 2153, note Hul ; JCP G étude 732, note Bourdon ; RDI p. 344, note Braconnier ; CP-ACCP n°144, juin 2014, p. 76, note Lanzarone et Braunstein.
4. « que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ».
5. CE Sect. 7 octobre 1994 Lopez, req. n° 124244 : Rec. CE p. 430, concl. Schwartz.
6. CE 8 juin 2011 Commune de Divonne-les-Bains, req. n° 327515 : BJCP 2011/78, p. 381, concl. Dacosta, obs. R.S. ; Contrats-Marchés publ., n° 304, note Pietri ; RJEP 2012, n° 4, note Bretonneau : « Considérant qu’à la suite de l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, de l’acte détachable de la passation d’un contrat, il appartient à la personne publique de déterminer, sous le contrôle du juge, les conséquences à tirer de cette annulation, compte tenu de la nature de l’illégalité affectant cet acte ; que, s’il s’agit notamment d’un vice de forme ou de procédure propre à l’acte détachable et affectant les modalités selon lesquelles la personne publique a donné son consentement, celle-ci peut procéder à sa régularisation, indépendamment des conséquences de l’annulation sur le contrat lui-même ; qu’elle peut ainsi, eu égard au motif d’annulation, adopter un nouvel acte d’approbation avec effet rétroactif, dépourvu du vice ayant entaché l’acte annulé ».
7. CE Ass. 2 mai 1958 Distillerie de Magnac-Laval, req. n° 32507 : Rec. CE p. 246.
8. « La résiliation pour l’avenir pourrait résulter d’une simple décision de l’autorité administrative qui est certainement en mesure d’y procéder unilatéralement s’agissant d’occupations précaires du domaine public. La résolution rétroactive est, pour sa part, hors de portée de l’autorité administrative, sauf accord des deux parties (Ass. 16 avril 1986, Roujansky et autres, p. 113). A défaut d’accord des parties tenant le contrat pour nul et de nul effet, seul le juge du contrat saisi d’une action en nullité pourrait faire disparaître rétroactivement le contrat » (Jacques-Henri Stahl, concl. sur CE Sect. 26 mars 1999 Société Hertz-France et autres : Rec. CE p. 95, spéc. p. 101-102).

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