Les conséquences juridictionnelles de l’irrespect du délai de suspension : la précision de la jurisprudence “France Agrimer”

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2012

Temps de lecture

3 minutes

Par une décision « DPM PROTECTION » du 30 novembre 2011, la Haute juridiction a précisé les conséquences contentieuses attachées à l’irrespect du délai de suspension à observer entre la date d’envoi aux candidats évincés du courrier de rejet de leur offre et la signature du marché, dans le cadre des procédures formalisées, comme le maniement des dispositions du référé contractuel.

Déjà, dans son arrêt « France Agrimer » (10 novembre 2010, req. n° 340944), le Conseil d’Etat avait considéré qu’était recevable « un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu’il était dans l’ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché […] ».

Cette solution jurisprudentielle permet de contourner l’obstacle de la désinformation sur la signature du contrat, lorsque le requérant ne la découvre qu’au cours des débats devant la juridiction qu’il saisit, alors que la personne publique lui oppose la signature du marché pour soulever l’irrecevabilité du référé précontractuel qu’il a engagé. Dans ce cas, le candidat évincé est recevable à transformer le référé précontractuel qu’il a introduit en référé contractuel (sachant toutefois que les moyens susceptibles d’être soulevés sont alors limitativement énumérés par l’article L. 551-18, et qu’aucun autre ne peut être utilement invoqué : CE 19 janvier 2011 Grand port maritime du Havre, req. n° 343435, s’agissant du délai de suspension à respecter dans le cadre de la signature d’un MAPA).

Par ce nouvel arrêt « DPM Protection », le Conseil d’Etat précise que la solution consacrée par la jurisprudence « France Agrimer » est également valable lorsqu’un concurrent évincé, bien qu’informé du rejet de son offre, n’a pas été informé du délai de suspension que la personne publique devait respecter avant la signature du marché : en l’espèce, si la personne publique avait notifié au candidat évincé le rejet de son offre, elle n’avait pas indiqué le délai de suspension qui s’appliquait.

Une fois dans le cadre du référé contractuel, reste au juge le soin de manier l’article L. 551-18 du CJA, lequel impose le prononcé de l’annulation du contrat « […] lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre […] si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. », et les dispositions de l’article L. 551-20 du CJA, aux termes duquel « dans le cas où le contrat a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre […], le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière. »

En l’espèce, non seulement la personne publique n’avait pas informé la société requérante du délai de suspension, mais plus encore, elle avait signé le marché seulement deux jours après avoir informé la société requérante du rejet de son offre. Sans difficulté, il s’agit là s’une signature du marché avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution du contrat, au sens des deux articles précités.

Le juge scinde ensuite son appréciation entre l’attribution du lot 1, et l’attribution des lots 3 et 4 du marché.

Pour le premier lot, le juge estime que les irrégularités soulevées n’ont pas affecté les chances du requérant d’obtenir le contrat : il exclut alors l’annulation du marché constitué par ce premier lot, pour faire application de l’article L. 551-20, à la lumière des dispositions de la directive « recours » du 11 décembre 2007 qu’il transpose. La Haute Juridiction relève que la méconnaissance du délai de suspension a privé le requérant de voie précontractuelle, mais qu’elle « n’affect[e] pas la substance même de la concurrence », et prononce en conséquence une pénalité financière à hauteur de 10 000 euros.

Tel n’est pas le sort réservé aux lots 3 et 4, dont le Conseil d’Etat prononce l’annulation sur le fondement de l’article L. 551-18 : la personne publique avait attribué de meilleures notes à la société requérantes qu’à la société attributaire, et le classement en deuxième position de la requérante méconnaissait tout simplement les critères de choix des offres définis. Une telle méconnaissance affecte, bien évidemment, les chances du requérant d’obtenir le contrat, et les conditions d’application de l’article L. 551-18 se trouvent donc remplies. 

Cette décision constitue un utile (et pédagogique) exemple du maniement du référé contractuel.

CE 30 novembre 2011 DPM PROTECTION, req. n° 350788

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