Catégorie
Date
Temps de lecture
Les ordonnances prises en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 viennent de paraître au JORF du 26 mars 2020.
Parmi ces ordonnances figure l’ordonnance n° 2020-319 du 26 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas, pendant cette période d’état d’urgence sanitaire.
L’ordonnance est prise sur le fondement de l’article 11 de la loi d’urgence, selon lequel :
« I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution : (…)
1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi, en prenant toute mesure : (…)
f) Adaptant les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ;»
1 Le principe d’assouplissement et son champ d’application
L’ordonnance se présente comme une mesure d’urgence pour pallier les difficultés susceptibles d’être rencontrées par les opérateurs économiques titulaires de contrats soumis au code de la commande publique et de contrats publics qui n’en relèvent pas, du fait de l’épidémie.
Le rapport du Président de la République précise qu’il s’agit, pendant cette période de crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, de prendre les mesures nécessaires pour ne pas pénaliser les opérateurs économiques et permettre la continuité des contrats.
Il s’agit résolument de soutenir les partenaires privés des personnes publiques pour qu’ils puissent traverser la période difficile qui s’annonce.
1.1 Les contrats concernés : commande publique et contrats publics
Tous les contrats de la commande publique, définis à l’article L.2 du code de la commande publique, sont visés par l’ordonnance, qu’ils présentent une nature privée ou une nature publique : marchés public ou concessions, passés par un acheteur personne morale de droit public ou personne morale de droit privée dont les liens avec la sphère publique conduisent à la qualifier d’acheteur.
Par ailleurs, tous les contrats publics sont également concernés par cette ordonnance, ce qui vise notamment les contrats d’occupation domaniale qui sont des contrats administratifs, ou encore les contrats de coopération public / public conclus entre personnes publiques, ou encore les contrats de subventions définies à l’article 9-1 de la loi n° 2020-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
1.2 L’application de l’ordonnance est limitée dans le temps
L’ordonnance s’applique aux contrats en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’à 2 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (EUS) déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020.
Pour rappel, l’article 4 de la loi n° 2020-290 a décrété un EUS de 2 mois prenant effet immédiatement 1)Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 portant promulgation de la loi n° 2020-290., soit depuis le 24 mars jusqu’au 24 mai à minuit.
Le régime décrit par l’ordonnance s’applique donc aux contrats en cours ou conclus entre le 12 mars et le 24 juillet 2020.
1.3 Les mesures autorisées par l’ordonnance sont conditionnées à leur nécessité pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie
Les mesures prévues par l’ordonnance ne sont pas un blanc-seing : elles ne peuvent être mises en œuvre « que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences, dans la passation et l’exécution de ces contrats, de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. ».
Dit autrement, les mesures d’assouplissement ne trouveront application que si la passation ou l’exécution du contrat intéressé sont directement affectées par l’épidémie. Le rapport du Président de la République précise, à cet égard, que « l’application de ces dispositions requiert une analyse au cas par cas de la situation dans laquelle se trouvent les cocontractants qui devront justifier la nécessité d’y recourir ».
2 L’assouplissement des règles de passation
2.1 La prolongation des délais de réception des candidatures et des offres
Pour les contrats soumis au code de la commande publique, l’article 2 de l’ordonnance prévoit que les délais de réception des candidatures et des offres, prévus dans les procédures en cours de passation, doivent être prolongés d’une durée suffisante pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner (rappelons que le présent de l’indicatif a valeur impérative lorsqu’il est utilisé par un texte législatif ou réglementaire).
Par exception, toutefois, la mesure ne s’applique pas lorsque les prestations objets du contrat ne peuvent souffrir aucun retard.
2.2 La possibilité d’aménager les modalités de mise en concurrence
L’article 3 de l’ordonnance prévoit que, lorsque l’autorité contractante se trouve empêchée de respecter les modalités de la mise en concurrence prévues dans les documents de la consultation des entreprises, en application du code de la commande publique, elle peut les aménager en cours de procédure, sous réserve toutefois de respecter le principe d’égalité de traitement entre les candidats.
On pense notamment aux rencontres prévues entre l’acheteur et les opérateurs économiques, qui devraient pouvoir prendre des formes dématérialisées (visioconférence ou sessions de négociation par téléphone), sous réserve de respecter les mêmes temps d’échanges pour chaque opérateur.
3 La prolongation des contrats arrivés à échéance
L’article 4 de l’ordonnance prévoit que les contrats arrivés à terme entre le 12 mars 2020 au 24 juillet 2020 inclus peuvent être prolongés, par avenant, au-delà de la durée prévue initialement dans le contrat, sous deux conditions :
- L’acheteur doit établir que « l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre» : il n’est pas certain que l’épidémie du Covid-19 empêche toutes les procédures de mise en concurrence, alors en outre qu’elles sont dématérialisées désormais. Toutefois, pour les procédures nécessitant des visites d’installations ou de site par exemple, cette dérogation pourrait être utilisée.
- La durée de la prolongation « ne peut excéder celle de la période prévue à l’article 1er, augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de son expiration» : la durée d’exécution d’un contrat peut être prolongée du délai nécessaire à l’organisation de sa remise en concurrence, courant à compter du 24 juillet 2020.
Cette dérogation peut conduire la durée des accords-cadres à dépasser le seuil de 4 ans pour les pouvoirs adjudicateurs et le seuil de 8 ans pour les entités adjudicatrices (articles L. 2125-1 et L. 2325-1 du code de la commande publique).
Il est également précisé que la durée des contrats de concession conclus dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets peut être prolongée au-delà de vingt ans, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’examen préalable par l’autorité compétente de l’Etat prévu à l’article L. 3114-8 du code de la commande publique.
Toutefois, compte tenu des délais de remise en concurrence, en principe, les accords-cadres ou les concessions qui doivent être renouvelés d’ici au 24 juillet sont déjà en cours de renouvellement.
4 L’adaptation des conditions d’exécution financière des marchés publics
L’article 5 de l’ordonnance autorise les acheteurs à modifier, par avenant, « les conditions de versement de l’avance. Son taux peut être porté à un montant supérieur à 60 % du montant du marché ou du bon de commande », le tout sans nécessiter d’exiger la constitution d’une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché.
L’objectif de cette mesure, évidemment, est de soulager la trésorerie des entreprises dont l’activité est mise à l’arrêt.
5 Les remèdes proposés en cas de difficultés d’exécution des contrats
Enfin, l’article 6 de l’ordonnance dresse la liste des mesures auxquelles peuvent prétendre les titulaires des contrats en cours d’exécution pendant la période d’application de l’ordonnance, dès lors qu’ils sont confrontés à des difficultés d’exécution avérées et justifiées résultant des mesures de lutte contre la propagation de l’épidémie.
Les dispositions de l’article 6 s’appliquent « nonobstant toute stipulation contraire, à l’exception des stipulations qui se trouvent être plus favorables au titulaire du contrat ».
Le rapport du Président de la République précise qu’il s’agit ici de ne pas pénaliser les opérateurs économiques qui sont empêchés d’honorer leurs engagements contractuels du fait de l’épidémie du covid-19, et plus encore de remédier aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Cette ordonnance servira ainsi de cadre aux discussions qui vont se tenir entre les acheteurs et les opérateurs économiques pour guider la détermination des solutions permettant de traverser cette période.
5.1 En cas d’impossibilité d’exécution de tout ou partie d’un contrat
5.1.1 La prolongation de la durée d’exécution du contrat
Le 1° de l’article 6 prévoit que, sous réserve d’en faire la demande avant l’expiration du délai contractuel, le titulaire peut prétendre à une prolongation de la durée d’exécution du contrat, dans l’une des 2 hypothèses suivantes :
- Lorsqu’il ne peut pas respecter le délai d’exécution initialement prévu,
- Lorsque l’exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive.
Le délai est alors prolongé « d’une durée au moins équivalente à celle mentionnée à l’article 1er », soit a minima 137 jours supplémentaires correspondant à la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020 inclus.
5.1.2 L’absence de sanctions applicables
Le 2° de l’article 6 exonère le titulaire des sanctions applicables.
Il est ainsi reconnu que « lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive […] le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ».
L’ordonnance se veut protectrice des opérateurs, mais conditionne cependant le bénéfice de la disposition à la démonstration par l’opérateur de l’impossibilité d’exécuter les prestations. La question des possibilités de poursuite des chantiers par la mise en place de mesures d’organisation permettant de respecter les gestes barrières reste ainsi par exemple entière.
5.1.3 Le recours de l’autorité contractante à un marché de substitution
Le 2° de l’article 6 prévoit également, qu’en cas d’impossibilité d’exécution, « l’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial ne puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur ; l’exécution du marché de substitution ne peut être effectuée aux frais et risques de ce titulaire ».
Ce dispositif tend ainsi à sécuriser l’autorité contractante qui peut prétendre à la poursuite d’exécution d’un contrat ne pouvant souffrir aucun retard, mais également le titulaire du contrat qui ne parvient pas à l’exécuter, qui n’a pas à supporter la responsabilité et les frais inhérents au contrat de substitution.
Il s’agit d’une mise en régie sans frais et risques.
Reste à déterminer, toutefois, les hypothèses dans lesquelles un contrat peut être considéré comme « ne pouvant souffrir aucun retard », ce qui supposera d’examiner chaque situation.
5.2 En cas de résiliation d’un contrat ou d’annulation d’un bon de commande
Le 3° de l’article 6 prévoit les conséquences indemnitaires d’une décision de résiliation ou d’annulation d’un bon de commande résultant des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie.
Il est précisément prévu que « lorsque l’annulation d’un bon de commande ou la résiliation du marché par l’acheteur est la conséquence des mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le titulaire peut être indemnisé, par l’acheteur, des dépenses engagées lorsqu’elles sont directement imputables à l’exécution d’un bon de commande annulé ou d’un marché résilié ». Le titulaire n’a cependant pas droit à être indemnisé du bénéfice manqué en conséquence de l’absence d’exécution du contrat : il ne s’agit pas d’une résiliation pour motif d’intérêt général, la personne publique subissant la situation tout autant que l’opérateur.
5.3 En cas de suspension d’un marché à prix forfaitaire
Le 4° de l’article 6 est spécifique à l’hypothèse dans laquelle un acheteur serait amené, en cas d’impossibilité d’exécution, à suspendre l’exécution d’un marché à prix forfaitaire dont l’exécution est en cours. Sont concernés au premier plan les marchés de travaux.
Dans ce cas, deux mesures doivent être prises par ordre chronologique :
- D’abord, l’acheteur procède sans délai au règlement du marché selon les modalités et pour les montants prévus par le contrat ;
- Puis, à l’issue de la période de suspension, un avenant doit être établi afin de « déterminer les modifications du contrat éventuellement nécessaires, sa reprise à l’identique ou sa résiliation, ainsi que les sommes dues au titulaire ou, le cas échéant, les sommes dues par ce dernier à l’acheteur».
5.4 En cas de suspension d’un contrat de concession
Dans l’hypothèse où l’autorité concédante serait amenée à suspendre l’exécution d’un contrat de concession, le 5° de l’article 6 prévoit quant à lui, à titre spécifique, que le titulaire n’est plus tenu de verser les sommes dues à l’autorité concédante. Cela vise, notamment, les redevances d’occupation domaniale.
Plus encore, « si la situation de l’opérateur économique le justifie et à hauteur de ses besoins, une avance sur le versement des sommes dues par le concédant peut lui être versée ».
5.5 En cas de modification des modalités d’exécution d’un contrat de concession
Le 6° de l’article 6 aménage les conséquences liées à une modification significative des conditions d’exécution d’un contrat de concession, qui n’est pas suspendu mais réaménagé.
Le concessionnaire peut alors prétendre à être indemnisé des surcoûts en résultant. Il est précisément prévu que « le concessionnaire a droit à une indemnité destinée à compenser le surcoût qui résulte de l’exécution, même partielle, du service ou des travaux, lorsque la poursuite de l’exécution de la concession impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire ».
Cette mesure aurait pu être mise en œuvre par la simple application de l’article L6 du CCP, mais cette disposition présente l’avantage de garantir les droits à indemnisation des titulaires des concessions poursuivies mais réorganisées.
References
1. | ↑ | Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 portant promulgation de la loi n° 2020-290. |