Les conventions d’entente intercommunale exclues du champ de la commande publique, lequel ne s’applique qu’aux opérateurs d’un marché concurrentiel

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2012

Temps de lecture

4 minutes

Les praticiens de l’intercommunalité connaissent le mécanisme : l’article L. 5221-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que « deux ou plusieurs conseils municipaux, organes délibérants d’établissements publics de coopération intercommunale ou de syndicats mixtes peuvent provoquer entre eux […]  une entente sur les objets d’utilité communale ou intercommunale compris dans leurs attributions […] Ils peuvent passer entre eux des conventions à l’effet d’entreprendre ou de conserver à frais communs des ouvrages ou des institutions d’utilité commune. »

Sur le fondement de cette disposition, la commune de Veyrier-du-Lac (2 200 habitants) avait conclu une convention avec la communauté d’agglomération d’Annecy (140 000 habitants) pour que cette dernière gère son service public de distribution d’eau potable (la communauté d’agglomération exploitant son service public de distribution de l’eau potable en régie directe). La société Lyonnaise des Eaux a attaqué cette convention, en soutenant qu’en réalité, la commune de Veyrier-du-Lac déléguait la gestion de son service public à la communauté d’agglomération, et qu’elle aurait dû, en conséquence, respecter la procédure prévue par les articles L. 1411-1 et suivants du CGCT. Elle a d’ailleurs obtenu gain de cause en première instance (TA Grenoble 12 octobre 2011 Société Lyonnaise des Eaux France, req. n° 1104894).

 Mais le Conseil d’Etat ne retient pas cette analyse.

D’abord, par principe, il considère que l’article L. 5221-1 du CGCT permet à une commune de « conclure, hors règles de la commande publique […] une convention constitutive d’une entente pour exercer en coopération avec des communes, établissements publics de coopération intercommunale ou syndicats mixtes, de mêmes missions, notamment par la mutualisation de moyens dédiés à l’exploitation d’un service public, à la condition que cette entente ne permette pas une intervention à des fins lucratives de l’une de ces personnes publiques, agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel […] ».

Pourtant, la rédaction de l’article L. 5221-1 ne parle pas exactement de l’exercice commun de mêmes missions, puisqu’il limite son objet à l’entreprise ou la conservation à frais communs des ouvrages ou institutions d’utilité commune. A cet égard, l’article L. 5111-1du CGCT, applicable aux départements, aux régions et à leurs établissements publics, dispose lui, beaucoup plus clairement, que « des conventions qui ont pour objet la réalisation de prestations de services peuvent être conclues entre les départements, les régions, leurs établissements publics, leurs groupements et les syndicats mixtes. ». Et, ce texte est encore plus précis, puisqu’il indique que « Lorsque les prestations qu’elles réalisent portent sur des services non économiques d’intérêt général au sens du droit de l’Union européenne […] ces conventions ne sont pas soumises aux règles prévues par le code des marchés publics ou par l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics. […] ».

A contrario, cet article L. 5111-1 du CGCT réserve donc l’hypothèse dans laquelle la personne publique se positionne en qualité d’opérateur sur le marché : rappelons en effet que la jurisprudence admet qu’une personne publique puisse concourir à l’attribution d’un marché public, dés lors qu’elle ne bénéficie pas d’avantages concurrentiels discriminants (voir pour un exemple récent, CAA Nantes 4 novembre 2011 société Armor SNC, req. n° 10NT01095).

Rien d’aussi précis à l’article L. 5221-1 du CGCT ; pourtant, le juge en dégage des principes assez comparables.

Pour analyser la nature de l’intervention de la communauté d’agglomération d’Annecy (à des fins lucratives ou non, tel un opérateur sur un marché concurrentiel ou non), la Haute Juridiction se livre à une étude des flux financiers du contrat, et retient notamment que les tarifs fixés correspondent aux prix coûtants du service :

 « Considérant, en deuxième lieu, que le tarif de l’eau fixé par la convention pour les usagers de la COMMUNE DE VEYRIER-DU-LAC correspond, en sa partie fixe, à la répartition entre usagers de la quote-part de la commune dans les investissements à réaliser sur les installations mutualisées, et en sa partie proportionnelle au prix coûtant de la production et de l’acheminement par mètre cube d’eau potable, supporté par la régie directe de la communauté d’agglomération ; que la convention stipule que ce prix proportionnel est révisé chaque année selon le même indice que celui du tarif appliqué aux usagers de la COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION D’ANNECY par la régie gestionnaire du service, dont les recettes doivent strictement équilibrer les dépenses ; qu’ainsi, la convention litigieuse n’a pas provoqué de transferts financiers indirects entre collectivités autres que ceux résultant strictement de la compensation de charges d’investissement et d’exploitation du service mutualisé, et la communauté d’agglomération ne peut être regardée comme agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel  […] »

Cette approche du Conseil d’Etat s’inscrit en parfaite cohérence avec la jurisprudence communautaire, qui considère que la convention par laquelle quatre cantons confient aux services de la ville de Hambourg des prestations d’élimination de leurs déchets dans sa nouvelle installation de valorisation thermique constitue une mesure interne de collaboration entre autorités publiques – alors  même qu’il ne s’agissait pas là d’une situation de prestations « in house », accomplies par un organisme sur lequel les pouvoirs adjudicateurs auraient exercé un contrôle analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services (CJCE 9 juin 2009 Commission c/ Allemagne, aff. C-480/06). D’ailleurs, le juge communautaire avait retenu un faisceau d’indices similaires à celui dont fait application le Conseil d’Etat, en relevant que la ville de Hambourg n’avait pas agi comme un opérateur de marché.

La notion d’opérateur sur un marché concurrentiel est donc désormais introduite par le juge interne pour distinguer l’intervention d’une personne publique dans le cadre d’une coopération publique, de celle répondant à un objectif économique.

On pourrait penser de prime abord qu’une telle solution retenue par le Conseil d’Etat va dans le sens d’un renforcement des possibilités de coopération intercommunale. Toutefois, on peut se demander ici ce qui empêchait la commune de Veyrier-du-Lac d’adhérer directement à la communauté d’agglomération d’Annecy, ce qui aurait permis une prise en charge beaucoup plus lisible et simplifiée de son service public de la distribution d’eau potable.

En effet, paradoxalement, alors que la France compte plus de 37 000 communes, une telle situation n’est pas exceptionnelle : des collectivités de taille modeste, et qui ne disposent pas des moyens nécessaires à la gestion rationnelle de leurs services publics, se tournent vers leur voisine immédiate plus importante pour lui confier cette gestion, sans cadre particulièrement défini. Pourtant, la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement, avait vocation à offrir à ces collectivités des mécanismes institutionnels de coopération intercommunale. Ceux-ci ne sont manifestement pas utilisés de manière optimale.

 CE 3 février 2012 Commune de Veyrier-du-Lac, req. n°353737

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