Les « dark stores » sont des « entrepôts »

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

April 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 23 mars 2023 Ville de Paris, n° 468360, publié au recueil Lebon

Par une décision du 23 mars 2023, statuant en référé, le Conseil d’Etat vient clarifier la qualification des « dark stores » au regard des destinations en matière d’urbanisme.

La Ville de Paris avait mis en demeure les sociétés Frichti et Gorillas de restituer dans leur état d’origine les locaux qu’elles occupaient au motif qu’elles avaient procédé à un changement de destination sans autorisation d’urbanisme préalable.

Aux termes de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme, lorsque des « travaux » sont entrepris ou exécutés en méconnaissance des dispositions du code de l’urbanisme, ou des prescriptions résultant d’une décision administrative, l’autorité compétente peut mettre en demeure l’intéressé de procéder à la régularisation de son infraction par la réalisation des opérations nécessaires à cette fin ou par le dépôt des demandes d’autorisation ou déclaration préalable permettant la régularisation, et le cas échéant assortir cette mise en demeure d’une astreinte.

Dans le cas présent, les sociétés Frichti et Gorillas avaient procédé à un changement de destination sans travaux, afin d’installer leur activité dans des locaux à destination initiale de « commerce et activités de service ». Or, en vertu de l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme, tout changement de destination est soumis à autorisation d’urbanisme, et partant, à déclaration préalable lorsqu’elle n’est assortie d’aucun travaux de modification de la façade ou des structures porteuses.

Deux questions étaient alors posées au Conseil d’Etat : l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme pouvait-il bien permettre à la Ville de Paris de mettre en demeure ces sociétés de régulariser leur situation alors que les changements de destination en cause n’étaient assortis d’aucun travaux ? Mais également, une régularisation de l’infraction en cause par un retour à la destination initiale, telle que mentionnée dans les mises en demeure contestées, du fait de l’impossibilité selon la Ville de délivrer l’autorisation d’urbanisme qui aurait dû être sollicitée, était-elle réellement la seule solution, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal administratif ?

En premier lieu, le Conseil d’Etat considère que le tribunal administratif a commis une erreur de droit, en considérant que l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme ne s’appliquait qu’à des travaux et non pas à des changements de destination, ou plus généralement à toute opération qui ferait l’objet d’autorisations prévues par le code. A cet égard, le Conseil d’Etat estime qu’« il résulte de ces dispositions, prises dans leur ensemble et eu égard à leur objet, que, si elles font référence aux ” travaux “, elles sont cependant applicables à l’ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d’aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensée, à titre dérogatoire, d’une telle formalité et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement ».

En second lieu, concernant la réalité d’un changement de destination qui serait intervenu par l’installation des sociétés Frichti et Gorillas dans les locaux en cause, le Conseil d’Etat rappelle d’abord qu’il convient d’analyser si une autorisation d’urbanisme était requise au regard des seules destinations posées par le code de l’urbanisme, les règles du PLU ne s’appliquant alors que dans un second temps, afin d’analyser la conformité aux règles de fond.

Le juge des référés ne pouvait donc pas se référer aux seules destinations du PLU pour déterminer si un changement de destination était intervenu, et surtout s’il pouvait être valablement autorisé dans le cadre d’une autorisation d’urbanisme à venir.

Le Conseil d’Etat annule donc pour ces deux motifs l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris, et règle ensuite l’affaire au fond.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé que les locaux en cause étaient initialement des commerces, recouvrant essentiellement des locaux destinés à la présentation et vente de bien directe à une clientèle, constate que ces locaux avaient été transformés en locaux « destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette ».

Le Conseil d’Etat considère alors que ces locaux « ne constituent plus, pour l’application des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme, tels que précisés par l’arrêté du 10 novembre 2016 cité ci-dessus, des locaux ” destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle ” et, même si des points de retrait peuvent y être installés, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens de ces dispositions ». Une déclaration préalable, autorisant un tel changement de destination, était dès lors requise.

Le Conseil d’Etat analyse ensuite la possibilité, pour les sociétés Frichti et Gorillas, d’obtenir une telle autorisation afin de régulariser leur situation. C’est là au regard des destinations posées par le plan local d’urbanisme (PLU) de la Ville de Paris qu’il convient cette fois de se prononcer.

Pour rappel, le PLU de la Ville de Paris prévoit, au titre des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif (CINASPIC), les espaces de logistique urbaine, ces espaces pouvant être autorisés au rez-de-chaussée d’immeubles sis en zone UG, contrairement aux locaux à destination d’« entrepôts ». Le Conseil d’Etat estime toutefois que les locaux des sociétés Frichti et Gorillas, qui ont « pour objet de permettre l’entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux », ne correspondent pas à une logique de logistique urbaine, mais bien à une activité relevant de la destination ” Entrepôt “, interdite au sein des locaux en cause.

En visant cette « logique de logistique urbaine », le Conseil d’Etat reprend le raisonnement développé par le Rapporteur Public Stéphane Hoynck dans cette affaire, lequel considérait les espaces de logistique urbaine (ELU) « comme un maillon d’une chaine logistique complète, qui va de plateformes logistiques nationales ou internationales de plus de 20 000m² situés dans le grand bassin francilien à des plateformes de proximité gérant les flux métropolitains, ensuite aux ELU au niveau 3 et enfin, le cas échéant, des points relais où sont retirés les colis ».

Selon lui, « cette approche logistique, centrée sur le transport, se distingue d’une problématique d’entreposage » qui n’est pas la fonction des ELU, contrairement aux dark stores en réalité.

 

 

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