Artificialisation des sols et autorisation d’exploitation commerciale : publication du décret

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

October 2022

Temps de lecture

9 minutes

Le décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d’octroi de l’autorisation d’exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols est paru au Journal officiel du 14 octobre et s’applique aux demandes déposées à compter du 15 octobre.

1 – La demande d’autorisation d’exploitation commerciale

En application de l’article L. 752-1 du code de commerce, sont soumis à une autorisation d’exploitation commerciale un certain nombre de projets, en particulier ceux ayant pour objet la création d’un magasin de commerce de détail d’une surface de vente supérieure à 1 000 m² ou la création d’un ensemble commercial dont la surface de vente totale est supérieure à 1 000 m².

L’autorisation d’exploitation commerciale est délivrée par la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). En cas de construction, le permis de construire tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la CDAC ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial (article L. 425-4 du code de l’urbanisme).

L’article L. 752-6 du code de commerce dispose que l’autorisation d’exploitation commerciale doit être compatible avec le document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale (SCOT) lorsqu’un tel document existe ou, le cas échéant, en l’absence d’un tel document, avec les orientations d’aménagement et de programmation des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) comportant des orientations relatives à l’équipement commercial, artisanal et logistique.

Il énumère en outre les différents éléments que la CDAC doit prendre en considération pour la délivrance de l’autorisation ou, en cas de permis, de son avis.

Depuis la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, il prévoit également que la CDAC se prononce au vu d’une analyse d’impact du projet, produite par le demandeur à l’appui de sa demande d’autorisation.

Le (volumineux) contenu du dossier joint à la demande d’autorisation d’exploitation commerciale est quant à lui fixé par l’article R. 752-6 du code de commerce.

2 – Les modifications apportées par la loi dite « Climat »

La récente loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a toutefois entraîné deux évolutions notables.

2.1 – L’objectif de « zéro artificialisation nette »

D’une part, après avoir énoncé « l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 » (article 191), elle a complété le code de l’urbanisme pour ajouter, à l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme, un objectif de « lutte contre l’artificialisation des sols, avec un objectif d’absence d’artificialisation nette à terme » (6° bis de l’article L. 101-2 dudit code), et pour définir celui-ci ainsi que la notion d’artificialisation des sols (article L. 101-2-1).

Cette dernière est ainsi « définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (9e alinéa de l’article L. 101-2-1).

2.2 – L’encadrement des projets soumis à autorisation d’exploitation commerciale

D’autre part, la loi « Climat » a ajouté, à l’article L. 752-6 du code de commerce, un V qui édicte un principe de refus des autorisations d’exploitation commerciale pour les implantations ou extensions qui engendreraient une artificialisation des sols.

Mais ce principe est doublement limité.

  • Tout d’abord, il n’est applicable que si le projet engendre une artificialisation des sols. Si ce n’est pas le cas – et le décret du 13 octobre 2022 vient préciser la façon dont il convient d’apprécier l’existence, ou non, d’une artificialisation – le projet peut être autorisé ;
  • Ensuite, le principe énoncé est assorti de dérogations puisque, même lorsque le projet engendrera une artificialisation des sols, l’autorisation d’exploitation commerciale pourra être délivrée pour les projets portant sur un actif de moins de 10 000 m2 de surface de vente ou si ce seuil est dépassé pour les extensions de moins de 1 000 m2 et si les différentes conditions requises sont remplies :
    • Une insertion du projet en continuité avec les espaces urbanisés ;
    • Une implantation dans un secteur au type d’urbanisation adéquat ;
    • Une réponse aux besoins du territoire ;
      • La satisfaction de l’un des quatre critères alternatifs énumérés :
      • Insertion dans le secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ;
      • Insertion dans une opération d’aménagement au sein d’un espace déjà urbanisé, afin de favoriser notamment la mixité fonctionnelle du secteur concerné ;
      • Compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé ;
      • Insertion au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine identifiés dans le SCOT ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le PLU ;
    • Un respect de la limite fixée à la surface de vente totale.

Ce sont, notamment, ces différents points que le décret du 13 octobre 2022 précise.

3 – Les précisions apportées par le décret en matière d’artificialisation des sols

3.1 – L’appréciation de l’existence d’une artificialisation du sol

L’article 1er du décret insère dans le code de commerce un nouvel article « R. 752 » prévoyant que :

« L’autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivrée pour un projet d’équipement commercial dont la réalisation engendre une artificialisation des sols.

Pour l’application du V de l’article L. 752-6, est considéré comme engendrant une artificialisation des sols un projet d’équipement commercial dont la réalisation engendre, sur la ou les parcelles cadastrales sur lesquelles il prend place, une augmentation des superficies des terrains artificialisés, au sens du neuvième alinéa de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme, par rapport à l’état de ces mêmes parcelles à la date du 23 août 2021. »

Ainsi que le précisait la notice de présentation du projet de décret lorsque celui-ci a été soumis à consultation publique : « Ce bilan s’apprécie uniquement de manière surfacique. De même, l’état des parcelles à la date de promulgation de la loi sera déclaratif, les preuves quant à la situation du terrain pouvant être apportées, en cas de contestation par les services instructeurs ou par des tiers, par tout moyen ».

Ce qui, concrètement, conduit à rechercher si, au final, il y aura, sur les parcelles constituant l’assiette du projet, davantage de mètres carrés artificialisés que le 23 août 2021.

En outre, il faut souligner le fait que le décret modifie l’article R. 752-6 du code de commerce pour préciser, lorsque le projet engendre une artificialisation et que le porteur de projet fait le choix, pour bénéficier d’une dérogation, de recourir au critère alternatif tenant à la réalisation de mesures de compensation par la transformation d’un sol artificialisé en sol non artificialisé (3° du V de l’article L. 752-6), que ces mesures doivent être « mises en œuvre, en plus de ce qui peut être fait à proximité immédiate du projet, en priorité au sein des zones de renaturation préférentielles ».

Ainsi, compte tenu de cette appréciation purement surfacique et d’une localisation des mesures de compensation à proximité du terrain d’assiette (voire plus loin) et non sur celui-ci, il faut considérer que si l’augmentation des superficies des terrains artificialisés des parcelles constituant l’assiette du projet est intégralement compensée sur ces mêmes parcelles, alors le projet n’est pas considéré comme engendrant une artificialisation des sols. Il peut dès lors être autorisé.

3.2 – Le contenu du dossier de demande d’autorisation, notamment en cas d’autorisation nécessitant une dérogation

3.2.1 – La CDAC doit déterminer si le projet engendrera ou non une artificialisation des sols.

Et, si c’est le cas, et qu’il ne peut être autorisé qu’en bénéficiant d’une dérogation, elle doit vérifier qu’il satisfait aux différentes conditions énumérées au V de l’article L. 752-6 du code de commerce.

A cet effet, l’article 2 du décret complète, par l’ajout d’un 4°, l’article R. 752-6 du même code pour préciser les documents et informations que le pétitionnaire devra fournir afin de démontrer qu’il remplit bien lesdites conditions :

« 4° Présentation des effets du projet en matière d’artificialisation des sols et, pour tout projet engendrant une artificialisation des sols :

a) La justification de l’insertion du projet dans l’urbanisation environnante, notamment par l’amélioration de la mixité fonctionnelle du secteur, et de sa conformité avec les règles d’urbanisme en vigueur, ainsi que la justification de l’absence d’alternative à la consommation d’espace naturel, agricole ou forestier. Une carte du projet ou un plan est fourni à l’appui de cette justification ;

b) Une description de la contribution du projet aux besoins du territoire, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique de ce dernier, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise du projet ;

c) De manière alternative :

 – soit la justification de l’insertion du projet dans un secteur d’intervention d’une opération de revitalisation de territoire définie au I de l’article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Une carte du projet ou un plan est fourni à l’appui de cette justification ;

– soit la justification de l’insertion du projet dans une opération d’aménagement telle que définie à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme au sein d’un espace déjà urbanisé. Une carte du projet ou un plan est fourni à l’appui à cette justification ;

– soit la justification que les mesures présentées permettent de compenser les atteintes prévues ou prévisibles, directes ou indirectes, occasionnées par la réalisation du projet, en transformant un sol artificialisé en sol non artificialisé, au sens de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme, afin de restaurer de manière équivalente ou d’améliorer les fonctions écologiques et agronomiques altérées par le projet. […]

– soit la justification de l’insertion du projet au sein d’un secteur d’implantation périphérique ou d’une centralité urbaine, identifiés dans le document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale, ou au sein d’une zone d’activité commerciale délimitée dans le règlement du plan local d’urbanisme intercommunal, entrés en vigueur avant le 23 août 2021.

Une carte du projet ou un plan est fourni à l’appui de cette justification. »

3.2.2 – L’intitulé du 4° précité exige ainsi que tout dossier de demande, même lorsque le projet n’engendrera pas d’artificialisation des sols, comporte une « présentation des effets du projet en matière d’artificialisation des sols ».

Ce qui pourrait prendre la forme d’une comparaison des superficies des terrains artificialisés des parcelles du projet à la date d’achèvement du projet et à la date du 23 août 2021.

3.2.3 – Dans le même ordre d’idées, l’article 3 du décret du 13 octobre 2022 supprime, à l’article R. 752-7 du code de commerce, toute référence à un projet ne nécessitant pas un permis de construire.

Ainsi que le précise la notice explicative du projet de décret : il s’agit de « faire figurer dans le dossier de demande d’AEC des pièces qui ne figurent que dans le dossier de permis de construire, alors qu’elles sont nécessaires pour l’examen de la demande d’AEC (notamment des plans et cartes permettant d’apprécier l’insertion du projet de construction dans le paysage ou le milieu urbain) ».

3.2.4 – Si le projet engendre une artificialisation des sols, le dossier devra en outre comporter toutes les autres pièces énumérées par le 4° de l’article R. 752-6.

3.3 – Les mesures de compensation destinées à l’obtention d’une dérogation

L’article R. 752-6 est également complété, dans son nouveau 4°, pour préciser la notion de compensation, lorsqu’il est recouru à la troisième condition alternative, ainsi que le lieu de réalisation des mesures de compensation :

« L’équivalence est appréciée en termes qualitatifs et quantitatifs. Les gains obtenus par la compensation doivent être au moins égaux aux pertes occasionnées par le projet.

Les mesures de compensation sont mises en œuvre, en plus de ce qui peut être fait à proximité immédiate du projet, en priorité au sein des zones de renaturation préférentielles lorsque de telles zones sont identifiées en application du 4° du I de l’article L. 151-7 du code de l’urbanisme ou bien du 3° de l’article L. 141-10 du même code et que les mesures s’inscrivent dans les orientations d’aménagement et de programmation ».

Les zones de renaturation préférentielles sont donc celles identifiées par les orientations d’aménagement et de programmation du PLU ou par le document d’orientation et d’objectifs du SCOT.

3.4 – La saisine de la CDAC pour les projets engendrant une artificialisation

La loi « Climat » a modifié l’article L. 752-4 du code de commerce pour prévoir que, dans toutes les communes, et pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols au sens du V de l’article L. 752-6, l’exécutif de la collectivité compétente en matière d’urbanisme peut, lorsqu’il est saisi d’une demande de permis de construire un équipement commercial dont la surface est comprise entre 300 et 1 000 m2, proposer à l’organe délibérant de saisir la CDAC.

L’article 6 du décret modifie à cet effet l’article R. 752-21 pour le mettre en cohérence avec ce texte.

3.5 – L’avis conforme du préfet

Le V de l’article L. 752-6 du code de commerce prévoit, en cas d’artificialisation, que : « Pour tout projet d’une surface de vente supérieure à 3 000 mètres carrés et inférieure à 10 000 mètres carrés, la dérogation n’est accordée qu’après avis conforme du représentant de l’Etat ».

A cet effet, l’article 4 du décret insère un nouvel article R. 752-10-1 prévoyant, pour tout projet portant sur une telle surface, que dès que le dossier est enregistré, le secrétariat de la CDAC en transmet une copie au préfet pour avis conforme.

Et son article 5 complète l’article R. 752-13 pour prévoir que, cinq jours au moins avant la réunion de la CDAC, ses membres reçoivent une copie de l’avis émis.

4 – Les précisions apportées à la procédure de « revoyure »

Le décret comporte également des précisions mineures en dehors de la problématique de l’artificialisation.

L’article L. 752-21 du code de commerce prévoit qu’un pétitionnaire dont le projet a été rejeté pour un motif de fond par la CNAC doit avoir pris en compte les motivations de sa décision ou de son avis pour déposer une nouvelle demande d’autorisation sur un même terrain et que, en l’absence de modification substantielle, il peut saisir directement la CNAC (mécanisme dit de « revoyure »).

L’article R. 752-43-4 prévoit qu’il doit alors notifier la nouvelle demande au préfet du département d’implantation du projet et, s’il y a lieu, à chaque requérant auteur d’une précédente saisine de la CNAC.

L’article 7 du décret le complète pour préciser que la notification comporte également le nouveau dossier de demande.

L’article R. 423-13-2 du code de l’urbanisme prévoit pour sa part qu’en cas de dépôt d’une demande de permis de construire pour un projet relevant du mécanisme de « revoyure », le maire transmet une copie du dossier à la CNAC.

L’article 7 du décret le complète également pour préciser qu’il s’agit « du nouveau dossier de demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale ».

5 – L’entrée en vigueur du décret

Enfin, l’article 9 du décret prévoit, selon une formulation un peu curieuse, que ses dispositions « s’appliquent pour les demandes déposées à compter du 15 octobre 2022 ».

C’est-à-dire le lendemain de sa publication.

Sur ce point, on se bornera à rappeler les termes de la notice explicative du projet de décret, qui évoquait « la circulaire du 23 mai, prévoyant que les règles applicables aux entreprises adoptées par le Gouvernement doivent comprendre un différé entre leur publication au Journal officiel et leur prise d’effet »…

 

 

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