Les innovations de la loi n°2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2024

Temps de lecture

8 minutes

La loi n°2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement fait suite au plan « Initiatives copropriétés » 1)Le plan initiative copropriétés (PIC) est piloté par l’agence nationale de l’habitat (Anah) afin de proposer une action coordonnée de l’Etat, de ses opérateurs, des partenaires et des collectivités territoriales visant à l’amélioration de la qualité de vie en copropriété. lancé en 2018 et à la mission relative aux outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne en date du 23 octobre 2023 conduite par le maire de Saint-Denis et de Mulhouse 2)Mathieu HANOTIN, maire de Saint-Denis ; Michèle Lutz, Mission relative aux outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne, 23 octobre 2023, disponible ici..

Cette loi est construite autour de deux axes comme en témoigne son exposé des motifs : d’une part, permettre une intervention en amont d’une dégradation définitive et favoriser les opérations d’aménagement stratégiques et, d’autre part, accélérer les procédures de recyclage et de transformation des copropriétés et les grandes opérations d’aménagement.

Originairement composée de 17 articles, celle-ci a été enrichie de plusieurs articles et en compte désormais 59 répartis au sein de trois chapitres :

Chapitre Ier : Intervention en amont d’une dégradation définitive (articles 1 à 42) ;

Chapitre II : Accélérer les procédures de recyclage et de transformation des copropriétés et les opérations d’aménagement stratégiques (articles 43 à 52) ;

Chapitre III : Mesures diverses (articles 53 à 59).

Cette loi a été adoptée pour faire face au vieillissement des bâtiments, à la paupérisation des propriétaires occupants ou bailleurs, au développement des situations de mal logement, à la crise de l’immobilier à raison de l’augmentation des coûts de production et des taux d’intérêts et, dans les grands ensembles, à la nécessité de lourds moyens financiers et juridiques.

Il a également été constaté que les procédures actuelles étaient lourdes et très longues 3)Présentation de du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, sur le site du Sénat..

Les aspects de droit public les plus importants de cette loi résultent de ses articles 9, 21, 46 et 50.

  • Article 9 : expropriation des immeubles indignes à titre remédiable

Au sein du chapitre I – intervention en amont d’une dégradation définitive, l’article 9 crée une expropriation des immeubles indignes à titre remédiable à l’article L. 512-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et apporte diverses modifications audit code.

Cette création part du constat que la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations ne suffit pas toujours à prévenir la dégradation des immeubles si leurs propriétaires rechignent à réaliser les travaux prescrits, à moins d’une multiplication de travaux exécutés d’office par la personne publique. Pour éviter des interventions ponctuelles mais finalement coûteuses ou une démolition-reconstruction à terme, le texte vise à permettre l’expropriation en urgence des immeubles, avec prise de possession anticipée, afin que la collectivité puisse remédier à leur dégradation lorsque c’est encore possible.

Dans la version initiale, le mécanisme envisagé prévoyait que la seule condition à laquelle le projet de loi subordonnait l’expropriation était le constat de l’inexécution des travaux prescrits par l’autorité publique.

Le Conseil d’Etat, saisi pour avis 4)En application de l’article 39 de la Constitution de 1958 ; CE, Avis n°407663. avant la délibération du Conseil des ministres en amont du dépôt du projet devant le parlement, avait indiqué que :

« [cette seule condition] n’est pas suffisante pour permettre de considérer que cette procédure répond à d’impérieux motifs d’intérêt général et est assortie de la garantie des droits des propriétaires, conditions nécessaires, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour justifier une prise de possession anticipée des propriétés ».

Pour cette raison, le Conseil d’Etat suggère que le projet de loi intègre plusieurs exigences pour renforcer les conditions et garanties encadrant la mise en œuvre de cette nouvelle procédure.

La loi du 9 avril 2024 a intégré ces propositions et donné lieu à l’article L. 512-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, qui prévoit ainsi la réunion de trois conditions :

En premier lieu, l’immeuble doit avoir fait l’objet, au cours des dix dernières années civiles, d’au moins deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, pris en application des articles L. 511-11 ou L. 511-19 du code de la construction et de l’habitation.

En deuxième lieu, des mesures de remise en état s’imposent pour prévenir la poursuite de la dégradation de l’immeuble. Cette nécessité devant être attestée par un rapport des services compétents.

En troisième et dernier lieu, lorsque l’immeuble à usage d’habitation est occupé, il doit être proposé un projet de plan de relogement et, le cas échéant, un hébergement dans les conditions prévus aux articles L. 314-2 à L. 314-9 du code de l’urbanisme si la réalisation des travaux de remise en état ou la préservation de la santé et de la sécurité des occupants justifie une interdiction temporaire d’habiter.

  • Article 24 : dérogation aux formalités requises pour les constructions de relogement temporaires et démontables

Il est créé dans le code de l’urbanisme un article L. 421-5-3 prévoyant que sont dispensées de toute formalité, au titre de ce code, les constructions temporaires et démontables à usage exclusif de relogement temporaire des occupants délogés à titre définitif ou provisoire, lorsque ce relogement est rendu nécessaire par l’une des différentes opérations mentionnées (opérations d’aménagement ayant pour objet la lutte contre l’habitat dégradé ou indigne, opérations de requalification de copropriétés dégradées, etc.).

Pour autant, l’implantation de ces constructions, qui devront par ailleurs répondre à des conditions minimales de confort et d’habitabilité fixées par décret, est soumise à l’accord préalable du maire de la commune d’implantation, au plus tard un mois avant la date de début d’implantation. Le maître d’ouvrage sera en outre tenu de remettre les lieux en état, avant l’expiration du délai de réalisation de l’opération ou, si elle est antérieure, la date de fin d’implantation fixée par l’accord du maire.

  • Article 46 : encadrement des exigences en matière de stationnement pour les immeubles faisant l’objet d’un arrêté de mise en sécurité

L’article 46 de la loi crée un article L. 151-35-1 au sein du code de l’urbanisme. Celui-ci prévoit que, nonobstant toute disposition du plan local d’urbanisme, il ne peut être exigé la réalisation de plus d’une aire de stationnement par logement pour une opération de transformation ou d’amélioration d’immeubles faisant l’objet d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité ou inclus dans un îlot ou dans un ensemble cohérent d’îlots comprenant un tel immeuble, lorsque ladite opération a pour objet de faire cesser la situation ayant motivé la prise de l’arrêté.

  • Article 50 : projets situés dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme (GOU) ou d’une opération d’intérêt national (OIN)

Une opération d’intérêt national est une opération d’aménagement qui répond à des enjeux d’une importance telle qu’elle nécessite une mobilisation de la collectivité nationale et à laquelle l’Etat décide par conséquent de consacrer des moyens particuliers 5)Article L. 102-12 du code de l’urbanisme..

Une grande opération d’urbanisme est pour sa part une opération d’aménagement prévue par un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) et dont la réalisation requiert, en raison de ses dimensions ou de ses caractéristiques, un engagement conjoint spécifique de l’Etat et d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public 6)Articles L. 312-3 à L. 321-7 du code de l’urbanisme..

Afin d’accélérer la mise en œuvre de projets situés au sein d’une OIN ou d’une GOU, l’article 50 apporte plusieurs modifications au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, au code de l’environnement et au code de l’urbanisme.

1.     Instauration d’une faculté de recours à la participation du public par voie électronique (PPVE)

La PPVE est une procédure de consultation du public qui se distingue de l’enquête publique par, notamment, l’absence de commissaire enquêteur. Elle est régie par l’article L. 123-19 du code l’environnement qui prévoit qu’elle s’applique aux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale et exemptés d’enquête publique 7)Sauf lorsque s’applique, dans les cas prévus à l’article L. 181-10 du code de l’environnement, la nouvelle consultation prévue à l’article L. 181-10-1 du même code à la suite de la loi « industrie verte » du 23 octobre 2023. et aux plans et programmes faisant l’objet d’une évaluation environnementale et pour lesquels une enquête publique n’est pas non plus requise.

L’article 50 de la loi crée dans le code de l’environnement un nouvel article L. 123-19-11 prévoyant qu’il peut être procédé à une participation du public par voie électronique pour :

  • un projet situé dans le périmètre d’une opération d’intérêt national (OIN) au sens de l’article L. 102-12 du code de l’urbanisme, répondant aux objectifs de cette opération et devant normalement faire l’objet d’une enquête publique « environnementale » ou de la procédure de consultation du public prévue à l’article L. 181-10-1 du code de l’environnement ;
  • un projet situé dans une grande opération d’urbanisme (GOU) au sens au sens de l’article L. 312-3 du même code et répondant aux mêmes conditions ;
  • toute évolution de plan ou de programme rendue nécessaire pour permettre la réalisation de l’un de ces projets et devant pareillement faire l’objet d’une enquête publique « environnementale ».

Il est à noter que ce recours à une PPVE est une simple faculté, ainsi que l’énoncent l’alinéa 1er de l’article L. 123-19-11 (« Il peut être procédé, par dérogation, à une participation du public par voie électronique ») et les 1° et 2° du I de l’article L. 123-2 du code de l’environnement (le second prévoyant notamment que l’enquête publique « peut être remplacée » par une PPVE).

Cette lecture ressort également du rapport de la commission mixte paritaire 8)Rapport n°4258 (2023-2024) du 14 mars 2024, fait au nom de la commission mixte paritaire., qui souligne que le texte rend possible le recours à la procédure de participation du public par voie électronique.

2.     Création d’une participation du public par voie électronique unique

A cette occasion, et pour les mêmes projets ou évolutions de plans et programmes, est instituée une possibilité de recours à une participation du public par voie électronique unique, dont le régime est largement inspiré de l’article L. 123-6 du code de l’environnement prévoyant les cas où une enquête publique unique peut être organisée.

Désormais, en vertu du deuxième alinéa de l’article L. 123-19-11 du code de l’environnement, il est possible de procéder à une participation du public par voie électronique unique dans deux cas :

1. – Si la réalisation du projet situé en GOU ou en OIN ou l’évolution d’un plan ou d’un programme rendu nécessaire pour ce projet est soumise à plusieurs participations par voie électronique

2. – Lorsque des participations par voie électronique concernant plusieurs projets ou évolutions de plans ou de programmes peuvent être organisées simultanément et que l’organisation d’une telle participation par voie électronique contribue à améliorer l’information et la participation du public.

Dans le cas d’une participation du public par voie électronique unique :

Il appartiendra dès lors aux autorités compétentes de s’accorder sur celle qui sera chargée d’ouvrir et d’organiser cette participation.

Dans le cas où ces dernières ne parviendraient pas à trouver un accord, c’est le représentant de l’Etat, lorsqu’il est compétent pour prendre l’une des décisions d’autorisation ou d’approbation envisagées, qui pourra ouvrir et organiser la participation par voie électronique, sur la demande du maître d’ouvrage ou de la personne publique responsable.

Le quatrième alinéa de l’article L. 123-19-11 prévoit également que lorsque, pour permettre la réalisation de l’un des projets qu’il mentionne, il est recouru à « une déclaration emportant une mise en compatibilité d’un document de planification ou d’urbanisme ou à une procédure intégrée prévue à l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme, la participation du public par voie électronique doit porter à la fois sur l’intérêt général de l’opération et sur la mise en compatibilité qui en est la conséquence ».

Cet alinéa évoque curieusement « une déclaration » sans plus de précisions.

Le dernier alinéa de l’article L. 123-19-11 prévoit toutefois que ce texte « n’est pas applicable à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique mentionnée au second alinéa de l’article L. 110-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ».

Par conséquent, il faut a priori considérer qu’il s’agit de la déclaration de projet prévue à l’article L. 126-1 du code de l’environnement ou de celle prévue à l’article L. 300-6 du code de l’urbanisme.

3.     Les modifications apportées au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique

3.1   Déclaration d’utilité publique

L’article 50 de la loi prévoit également que la déclaration d’utilité publique d’un projet situé en OIN ou en GOU et répondant aux objectifs de cette opération peut lui reconnaître le caractère de raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) si sa réalisation nécessite ou est susceptible de nécessiter une dérogation « espèces protégées » (article L. 122-1-1 modifié du code de l’expropriation).

3.2   Procédure de prise de possession anticipée

Désormais, pour les projets situés en OIN ou en GOU, si l’exécution des travaux risque d’être retardée, l’alinéa 2 de l’article L. 522-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique permet la prise de possession par décret après avis conforme du Conseil d’Etat.

Ce dispositif, qui n’est pas nouveau, était jusqu’alors réservé à des travaux de construction d’autoroutes, de routes express, de routes nationales ou de sections nouvelles de routes nationales, de voies de chemins de fer, d’infrastructures nécessaires à la mise en œuvre des services express régionaux métropolitains mentionnés à l’article L. 1215-6 du code des transports, de voies de tramways ou de transport en commun en site propre, d’oléoducs et d’ouvrages des réseaux publics d’électricité régulièrement déclarés d’utilité publique.

 

 

 

 

 

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References   [ + ]

1. Le plan initiative copropriétés (PIC) est piloté par l’agence nationale de l’habitat (Anah) afin de proposer une action coordonnée de l’Etat, de ses opérateurs, des partenaires et des collectivités territoriales visant à l’amélioration de la qualité de vie en copropriété.
2. Mathieu HANOTIN, maire de Saint-Denis ; Michèle Lutz, Mission relative aux outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne, 23 octobre 2023, disponible ici.
3. Présentation de du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, sur le site du Sénat.
4. En application de l’article 39 de la Constitution de 1958 ; CE, Avis n°407663.
5. Article L. 102-12 du code de l’urbanisme.
6. Articles L. 312-3 à L. 321-7 du code de l’urbanisme.
7. Sauf lorsque s’applique, dans les cas prévus à l’article L. 181-10 du code de l’environnement, la nouvelle consultation prévue à l’article L. 181-10-1 du même code à la suite de la loi « industrie verte » du 23 octobre 2023.
8. Rapport n°4258 (2023-2024) du 14 mars 2024, fait au nom de la commission mixte paritaire.

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