L’étude d’impact centre-ville et anti-friche est conforme à la Constitution selon l’interprétation du Conseil constitutionnel

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

April 2020

Temps de lecture

4 minutes

Décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, Conseil national des centres commerciaux

1. Contexte de la QPC

Sur renvoi du Conseil d’Etat 1)CE 13 décembre 2019, req. n° 431724., le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 décembre 2019 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le Conseil national des centres commerciaux portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du e du 1° du paragraphe I et des paragraphes III et IV de l’article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN).

Ces dispositions, issues de l’article 166 de la loi ELAN, ont modifié les modalités de délivrance des autorisations d’exploitation commerciale notamment sur trois points :

– tout d’abord, elles ont inséré, parmi les critères ayant trait à l’aménagement du territoire (1° du paragraphe I de l’article L. 752-6 précité), un e relatif à la « contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation du projet, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale [EPCI] à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre » ;

– ensuite, elles ont introduit un paragraphe III imposant au demandeur d’une AEC de produire devant la commission départementale d’aménagement commerciale une « analyse d’impact ». Réalisée par un organisme indépendant, habilité par l’État, celle-ci doit évaluer « les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de [l’EPCI] à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi », en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires ;

– enfin, elles ont instauré un paragraphe IV obligeant le demandeur à démontrer, dans cette analyse d’impact, qu’aucune friche existante en centre-ville ne permet l’accueil du projet envisagé et, en l’absence d’une telle friche, qu’aucune friche existante en périphérie ne le permet non plus.

Selon l’association requérante, l’ensemble de ces modifications méconnaissait la liberté d’entreprendre.

2. Décision du Conseil constitutionnel

Par la présente décision, le Conseil Constitutionnel a décidé que les dispositions litigieuses étaient conformes à la Constitution et plus précisément à la liberté d’entreprendre.

D’une part, il a estimé, qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général visant à renforcer le contrôle des commissions d’aménagement commercial sur la répartition territoriale des surfaces commerciales, afin de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes.

Ce constat constitue le prolongement de la décision n° 2000-436 DC du Conseil constitutionnel 2)Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains : point 15., par laquelle celui-ci avait notamment estimé que « la sauvegarde de la diversité commerciale des quartiers » répondait à un intérêt général. Il s’inscrit en outre dans le sillage du rapport conjoint de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’environnement et du développement durable sur le thème de « la revitalisation commerciale des centres-villes » 3)Rapport public – La revitalisation commerciale des centres-villes – Juillet 2016 et de l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique au terme duquel la préservation des centres-villes était qualifiée d’intérêt général 4)CE, avis consultatif du 5 avril 2018 rendu au Gouvernement sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (§ 96)..

D’autre part, le juge constitutionnel a relevé que cette triple modification n’emportait aucune atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre au regard de cet objectif.

En premier lieu, s’agissant des dispositions du paragraphe I de l’article L. 752-6, relatives à l’effet du projet sur la préservation ou la revitalisation du tissu commercial de certains centres-villes, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l’appréciation globale des effets du projet sur l’aménagement du territoire, et notamment sur le rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville. De sorte, il a estimé que ces dispositions ne subordonnent pas la délivrance d’une AEC à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes mentionnés par ces dispositions.

Dès lors que les commissions d’aménagement commercial exercent, sous le contrôle du juge administratif, une appréciation globale de la conformité des projets dont elle sont saisies au regard des objectifs énoncés par la loi 5)CE, 4 octobre 2010 Syndicat commercial et artisanal de l’agglomération sénonaise et autres, n° 333413 : Publié au Recueil Lebon., le Conseil constitutionnel estime ainsi, implicitement mais nécessairement, que l’objectif d’aménagement du territoire pourra ne pas être compromis, alors même que le projet comporterait des incidences négatives sur le tissu commercial de certains centre-ville.

On relève d’ailleurs que si le commentaire de la décision indique (p. 15) que « l’objectif d’aménagement du territoire n’est pas compromis, alors même que le projet n’apporterait pas une contribution positive au tissu commercial », ce qui sous-entend que sa contribution pourrait être neutre, la formulation retenue par le Conseil constitutionnel (au point n° 10) va en réalité encore plus loin : elle admet que l’autorisation peut être accordée (et donc que cet objectif n’est pas nécessairement compromis) alors même que le projet aurait donc des incidences négatives sur ce tissu commercial.

En deuxième lieu, il a relevé que les dispositions du paragraphe IV de l’article L. 752-6, relatives à l’existence d’une friche en centre-ville ou en périphérie, ont également pour seul objet d’instituer un critère supplémentaire permettant d’évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi de sorte que ces dispositions n’ont pas pour effet d’interdire toute délivrance d’une autorisation au seul motif qu’une telle friche existerait. Elles permettent en outre au demandeur de faire valoir les raisons, liées par exemple à la surface du commerce en cause, pour lesquelles les friches existantes ne permettent pas l’accueil de son projet.

De telle sorte, là encore, il convient d’en conclure que l’absence de démonstration par le demandeur d’une AEC de l’inexistence d’une friche ne pourra entraîner ipso facto un refus d’autorisation.

En dernier lieu, l’analyse d’impact prévue au paragraphe III de l’article L. 752-6 vise, selon le Conseil constitutionnel, à faciliter l’appréciation, par la commission d’aménagement commercial, des effets du projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes et sur l’emploi. Et, « en prévoyant que, à cette fin, cette analyse s’appuie notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux existants dans la zone de chalandise pertinente, les dispositions contestées de ce paragraphe III n’instituent aucun critère d’évaluation supplémentaire ».

Il est donc constant que les commissions d’aménagement commercial ne pourront refuser un projet au regard des éléments prévus par l’analyse d’impact, laquelle n’institue aucun nouveau critère d’appréciation des AEC.

Enfin, notons que cette décision porte sur la constitutionnalité de la mesure et ne préjuge pas de son inconventionnalité.

Partager cet article

References   [ + ]

1. CE 13 décembre 2019, req. n° 431724.
2. Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains : point 15.
3. Rapport public – La revitalisation commerciale des centres-villes – Juillet 2016
4. CE, avis consultatif du 5 avril 2018 rendu au Gouvernement sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (§ 96).
5. CE, 4 octobre 2010 Syndicat commercial et artisanal de l’agglomération sénonaise et autres, n° 333413 : Publié au Recueil Lebon.

3 articles susceptibles de vous intéresser