Absence de condition de forme et de délai pour la contestation d’un permis de construire modificatif délivré en cours d’instance contre le permis de construire initial et communiqué aux parties

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 1er février 2023 M. et Mme F., req. n°459243

Par cette décision, le Conseil d’Etat fait encore preuve de sa volonté d’ouvrir largement la possibilité de contester un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation, délivré et communiqué au cours de l’instance à l’encontre du permis de construire initial, en excluant toute condition de forme et de délai.

Dans cette affaire, le tribunal administratif de Versailles avait jugé par un jugement en date du 8 octobre 2021 :

  • D’une part, que les requérants ne pouvaient pas introduire un recours distinct contre un permis modificatif qui leur avait été communiqué dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial sans méconnaitre l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme ;
  • D’autre part, que les conclusions aux fins d’annulation du permis modificatif produites dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial étaient tardives car développées au-delà du délai de deux mois à compter de la date à laquelle ils devaient être regardés comme ayant connaissance acquise de la décision au sens de l’article R.421-1 du code de justice administrative, et donc à compter de la date à laquelle ils avaient déposé leur requête distincte contre le permis modificatif.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat 1)Ce recours a été porté devant le Conseil d’Etat et non devant la cour administrative d’appel puisque le terrain d’assiette du projet de construction de deux bâtiments d’habitation était situé en zone tendue (article R. 811-1-1 du code de justice administrative annule le jugement précité.

Pour mémoire, l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, issu de la loi n°2018-1021 ELAN du 23 novembre 2018 dispose que : ” Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance “.

Par une décision en date du 16 février 2002 2)La même solution a été rendue à propos de la contestation d’une autorisation d’urbanisme délivrée après un sursis à statuer prévu à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (CE 16 février 2022, req. n°420554 et commentée sur ce blog, le Conseil d’Etat avait déjà jugé à propos d’un permis de régularisation délivré après un sursis à statuer ordonné par le juge sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que les requérants pouvaient « contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n’a pas statué au fond, sans condition de délai ».

Par la présente décision, le Conseil d’Etat étend expressément cette solution aux permis modificatifs « de droit commun » délivrés en cours d’instance mais en dehors de toute sollicitation du juge :

« 3. Il résulte de ces dispositions que les parties à une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue sont recevables à contester la légalité d’un permis modificatif, d’une décision modificative ou d’une mesure de régularisation intervenue au cours de cette instance, lorsqu’elle leur a été communiquée, tant que le juge n’a pas statué au fond, sans condition de forme ni de délai. Si cette contestation prend la forme d’un recours pour excès de pouvoir présenté devant la juridiction saisie de la décision initiale ou qui lui est transmis en application de l’article R. 351-3 du code de justice administrative, elle doit être regardée comme un mémoire produit dans l’instance en cours. La circonstance qu’elle ait été enregistrée comme une requête distincte est toutefois sans incidence sur la régularité du jugement ou de l’arrêt attaqué, dès lors qu’elle a été jointe à l’instance en cours pour y statuer par une même décision ».

Ainsi, lorsqu’une instance à l’encontre d’un permis de construire initial est toujours en cours, la légalité d’un permis modificatif (ou d’une décision modificative ou d’une mesure de régularisation) communiqué aux parties dans le cadre de cette instance peut être contestée sans condition de délai et, apport de cette décision, sans condition de forme.

(i) L’absence de condition de délai

Reprenant sa solution d’il y a un an, le Conseil d’Etat estime que la légalité du permis modificatif peut être contestée dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial sans aucune condition de délai 3)La même solution a été rendue à propos de la contestation d’une autorisation d’urbanisme délivrée après un sursis à statuer prévu à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (CE 16 février 2022, req. n°420554), sous réserve toutefois que :

    • le permis modificatif ait été communiqué aux parties dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial,
    • le juge n’ait pas encore statué en fond sur la légalité du permis initial.

(ii) L’absence de condition de forme

 Par ailleurs, la contestation de ce permis modificatif peut se faire de façon très souple à savoir :

    • soit par un mémoire produit dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial ;
    • soit par une requête distincte présentée devant la même juridiction.

La seule exigence procédurale est alors que la juridiction joigne les deux instances pour échapper à une irrecevabilité. Mais sur ce point, le juge administratif a déjà eu l’occasion de considérer que lorsque le tribunal n’a pas encore statué sur le permis initial et qu’il reçoit une nouvelle requête dirigée contre le permis modificatif, il est tenu de la regarder comme un mémoire produit dans l’instance en cours ou du moins de la joindre à cette instance 4)CE 29 juillet 2020 M.S, req. n°424146. Voir aussi CE 15 février 2019 Commune de Cogolin, req. n°401384 ; CE 15 décembre 2021 Mme T, req. n°453316.

Pour reprendre les propos du rapporteur public dans le cadre de cette affaire, « la communication aux parties du permis modificatif prévue par l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme […] ouvre une fenêtre contentieuse qui ne se ferme que par la décision qui clôt l’instance contre le permis initial » 5)Conclusions de M. Arnaud SKZRYERBAK, rapporteur public, 1er février 2023, req. n°459243 : les porteurs de projets sont prévenus, l’épée de Damoclès d’un recours contre un permis de construire modificatif –et communiqué à la procédure- pèse dorénavant jusqu’à la clôture d’instruction du recours contre le permis de construire initial.

 

 

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References   [ + ]

1. Ce recours a été porté devant le Conseil d’Etat et non devant la cour administrative d’appel puisque le terrain d’assiette du projet de construction de deux bâtiments d’habitation était situé en zone tendue (article R. 811-1-1 du code de justice administrative
2, 3. La même solution a été rendue à propos de la contestation d’une autorisation d’urbanisme délivrée après un sursis à statuer prévu à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (CE 16 février 2022, req. n°420554
4. CE 29 juillet 2020 M.S, req. n°424146. Voir aussi CE 15 février 2019 Commune de Cogolin, req. n°401384 ; CE 15 décembre 2021 Mme T, req. n°453316
5. Conclusions de M. Arnaud SKZRYERBAK, rapporteur public, 1er février 2023, req. n°459243

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