L’exigence de sous-critères liés à l’objet du marché

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2013

Temps de lecture

5 minutes

CE 18 décembre 2012 UGAP c/ société ATEXO, req. n°363208

Cette affaire a été l’occasion pour le juge de manipuler l’exigence d’énoncer des critères comme des sous-critères de sélection de l’offre économiquement la plus avantageuse liés à l’objet du marché.

L’article 53 du code des marchés publics prévoit que lorsque le pouvoir adjudicateur décide de se fonder sur plusieurs critères pour identifier l’offre économiquement la plus avantageuse, ceux-ci doivent être non discriminatoires et liés à l’objet du marché.

C’est ainsi que le juge a déjà pu censurer les acheteurs qui se sont fondés sur des critères étrangers à l’objet du marché pour apprécier les offres présentées, tel que le caractère solidaire du groupement d’entreprise[1], ou l’exclusion par principe des candidats qui auraient recours aux « contrats nouvelle embauche » ou aux « contrats première embauche »[2]. De la même façon, l’exigence par le pouvoir adjudicateur de références en matière de contrôle administratif, technique et financier de contrats d’affermage pour l’attribution d’un marché de maintenance d’un parc de chaudières a été jugé sans lien avec l’objet du marché[3].

Les sous-critères de choix de l’offre économiquement la plus avantageuse doivent répondre aux mêmes exigences.

Rappelons qu’afin de permettre aux candidats d’interpréter les critères de la même manière[4], l’acheteur public peut avoir recours à des sous-critères. La circulaire du 14 février 2012 relative au guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics[5] précise que « ces sous-critères doivent alors, également, être objectifs, opérationnels et non discriminatoires ». En effet, dès lors que le sous-critère est susceptible d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection, les sous-critères « doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection »[6].

En l’espèce, l’UGAP a lancé, en sa qualité de centrale d’achat, une procédure d’appel d’offres ouvert pour l’attribution de plusieurs marchés de prestations informatiques, à l’occasion de laquelle la société Atexo a soumis une offre pour l’un des lots, relatif à la « maîtrise d’ouvrage déléguée d’applications informatiques ». Evincée de la procédure, la société Atexo saisit le juge du référé précontractuel en reprochant à l’UGAP de s’être fondée sur des sous-critères sans lien avec l’objet du marché.

Notamment, l’UGAP avait retenu un sous-critère du « déploiement efficace de l’offre », destiné à tenir compte de la méthodologie proposée par les candidats pour commercialiser les prestations informatiques auprès des collectivités acheteuses. La société soutenait, non sans bon sens, que ce critère n’était pas directement lié à l’objet du marché – les prestations informatiques – et qu’il répondait à un besoin de l’UGAP en matière de diffusion de l’offre auprès de ses adhérents, ce qui n’était pas exactement l’objet du marché.

Si le premier juge a suivi le raisonnement de la requérante, le Conseil d’Etat n’y adhère manifestement pas.

Le juge de cassation estime que la considération énoncée par le tribunal selon laquelle « le sous-critère déploiement efficace de l’offre’’ du critère qualité de service” n’avait pas de rapport direct avec la valeur économique des offres présentées ou avec leurs conditions d’exécution […] alors que ce motif ne permettait pas d’établir l’absence de lien entre ce sous-critère et l’objet du marché » révèle une erreur de droit.

Pourtant, le tribunal ne s’était pas contenté d’une telle appréciation, puisqu’il a détaillé sa position en exposant « qu’il résulte de l’instruction que ce sous-critère permettait d’apprécier les moyens prévus par l’attributaire pour commercialiser les prestations proposées par le marché litigieux auprès des collectivités elles-mêmes susceptibles de passer commande auprès de l’UGAP […] que l’objet de la consultation, précisé notamment à l’article 1er du Cahier des Clauses Particulières (CCP) est, en ce qui concerne le lot n°3, « la « maitrise d’ouvrage déléguée d’applications informatiques » ; que le sous-critère litigieux qui porte sur un service rendu à l’UGAP elle-même, pour ses besoins propres et non aux collectivités susceptibles de passer commande des prestations prévues au lot n°3,  et intervient à une phase antérieure à la passation de la commande auprès du titulaire du marché, n’a pas de rapport direct avec la valeur économique des offres de prestations de maitrise d’ouvrage déléguée d’applications informatiques formulées par les candidats ou avec leurs conditions d’exécution ; que si l’UGAP fait valoir que l’implication de la force de vente est une garantie de qualité, les moyens mis en œuvre par les candidats pour la « bonne exécution des prestations » et « la résolution des litiges », après passation des commandes, donnaient lieu à un sous-critère distinct  de celui du « déploiement efficace de l’offre »; que, par suite, la société Atexo est fondée à soutenir qu’un tel sous-critère est irrégulier […] »[7].

Le Conseil d’Etat se contente d’affirmer que ce sous-critère est lié à l’objet du marché dès lors qu’il vise « à décrire les moyens commerciaux proposés par le titulaire du lot n° 3 pour identifier, avec l’UGAP, les besoins en services informatiques des pouvoirs adjudicateurs auprès desquels seront commercialisées par cette dernière les prestations de services informatiques acquises auprès du titulaire ».

Cette appréciation tient sans doute compte de la qualité de centrale d’achat de l’UGAP : ce n’est pas uniquement pour ses propres besoins qu’elle commercialise ensuite l’offre, mais également pour ceux des pouvoirs adjudicateurs qui décident d’acheter par son biais. Dans ces conditions, un « déploiement efficace » de l’offre de prestations auprès des acheteurs peut présenter un lien avec l’objet du marché, en ce sens qu’il permettra d’identifier plus précisément les acheteurs ayant besoin de ces prestations techniques. Néanmoins, l’arrêt aurait pu exprimer davantage en quoi le développement commercial de l’offre de prestations informatiques présentait, en l’espèce, un lien avec l’objet du marché. 

 

  1. CAA Versailles 6 juin 2006 Département de Seine-Saint-Denis, req. n° 03VE03998.
  2.  TA Bordeaux 5 décembre 2006 Assemblée permanente des chambres des métiers et autres, Préfet de la Gironde, req. n° 0601563 et 0602050, BCP 2007 p. 68.
  3. CAA Douai 31 mars 2005 société Thermotique SA, req. n° 02DA00889.
  4. Les critères d’attribution doivent être formulés de manière à permettre à tous les soumissionnaires, raisonnablement informés et normalement diligents, de les interpréter de la même manière : CJCE, 18 octobre 2001, SIAC Construction Ltd c/County Council of the County of Mayo, aff. C-19/00 (cons. 42 et 44), CJCE, 24 janvier 2008, Emm. G. Lianakis AE c/Dimos Alexandroupolis, aff. C-532/06.
  5. Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics NOR: EFIM1201512C http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025364925
  6. CE 8 juin 2010 Commune Saint-Pal de Mons req. n° 337377, BJCP 2010, p. 336 ; Contrats-Marchés publ. 2010, repère 8, F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 271, note Ph. Rees ; JCP A 2010, 2258, note F. Linditch « […] si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en œuvre  ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection […] ». Voir pour un exemple d’application TA Cergy-Pontoise 27 juillet 2010 Société CERP req. n°0606650 : « […] Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la commune de Cormeilles en Parisis a entendu définir des sous-critères afin d’apprécier le critère de la valeur technique et correspondant au planning et à l’ordonnancement des travaux, à l’organisation et à l’installation du chantier, aux éléments du mode opératoire, à la composition de l’équipe et à la cohérence des postes du quantitatif ; que compte tenu de la nature des sous-critères mis en œuvre ainsi que de l’importance de leur pondération opérée par la commune de Cormeilles en Parisis, celle-ci aurait dû porter à la connaissance des candidats au marché litigieux ladite pondération dès le stade de l’avis d’appel public à la concurrence ; qu’en omettant de procéder à une telle publicité, la commune a méconnu les règles de publicité et de mise en concurrence et a ainsi entaché la procédure d’irrégularité […] ».
  7. TA Melun 18 septembre 2012 société ATEXO, req. n° 1207408/8.

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