L’office du juge de la reprise des relations contractuelles : pas de rétablissement d’un contrat entaché d’irrégularités qui auraient conduit à sa résiliation ou à son annulation

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2014

Temps de lecture

4 minutes

CE 1er octobre 2013 Sté Espace Habitat Construction, n° 349099

En 1986, la commune d’Ozoire-la-Ferrière a accordé à une société par le biais d’un bail emphytéotique 1)Article L. 451-1 du code rural des droits réels sur une dépendance de son domaine public, en la chargeant du financement et de la réalisation d’une résidence pour personnes âgées, celle-ci devant faire retour dans le patrimoine de la commune au terme de la durée de contrat, soit 55 ans. Cette résidence a été mise à la disposition de la commune par la société dès son achèvement, qui en a confié la gestion à une association. Il s’agit là finalement d’un montage « aller-retour » bien connu des praticiens des contrats constitutifs de droits réels.

La gestion de la résidence pour personnes âgées s’est avérée déficitaire, notamment en raison du nombre modeste de pensionnaires. L’association a donc fait part de son souhait de mettre un terme à son activité le 31 décembre 2005. La société titulaire du bail emphytéotique a cru pouvoir saisir cette opportunité pour transformer ladite résidence pour personnes âgées en habitat locatif intermédiaire, et dans cette optique, a demandé à la commune de libérer les lieux au 1er janvier 2006.

Mais la commune, souhaitant poursuivre l’activité d’accueil des personnes âgées, a prononcé le 9 mars 2006 la résiliation des deux conventions initialement conclues, pour un motif d’intérêt général. Les délibérations prononçant ces mesures ont été contestées par la société, utilisant le cadre de la jurisprudence « Béziers 2 » 2)CE Sect. 21 mars 2011 Commune de Béziers, n° 304806 : Rec. CE p. 117., permettant à un cocontractant de contester la validité d’une mesure de résiliation d’un contrat et de solliciter la reprise des relations contractuelles.

C’est l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser qu’une telle demande doit nécessairement être écartée si le contrat est entaché de nullité, au sens de « Béziers 1 » 3)CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, n° 304802 : Rec. CE p.509.. Cet arrêt précisait déjà que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, dans le cas où il constate une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité, le juge doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

Par l’arrêt commenté, la Haute Juridiction applique cette approche de la même façon lorsque l’une des parties saisit le juge non pas d’un litige lié à l’exécution du contrat, mais d’un recours dirigé contre une mesure de résiliation, et tendant à la reprise des relations contractuelles :

« […] dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qui le conduirait, s’il était saisi d’un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat, à prononcer, après avoir vérifié que sa décision ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat ou son annulation, [le juge] doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles […] ».

Ainsi, aucune reprise des relations contractuelles ne peut être décidée si le contrat aurait dû être résilié ou annulé par le juge, ce qui était précisément le cas en l’espèce.

D’abord, « eu égard à la date à laquelle l’ensemble contractuel litigieux a été conclu, la commune ne pouvait légalement concéder à la société [d’HLM] un droit réel sur une dépendance de son domaine public ». Effectivement, avant l’institution du bail emphytéotique administratif par la loi du 5 janvier 1988 4)Loi n°88-13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation., qui a expressément autorisé la conclusion de BEA sur les dépendances du domaine public, les principes de la domanialité publique s’opposaient à la constitution de droits réels sur de telles dépendances : c’est l’apport de l’arrêt « Eurolat » 5)CE, 6 mai 1985 Association Eurolat Crédit Foncier de France, req. n° 41589 : Rec. CE 1985, p. 141.

Au passage, le juge fait application de la domanialité publique par anticipation, telle qu’arrêtée par l’arrêt « ATLALR » 6)CE 8 avril 2013 ATLALR req. n° 363738 : publié au Rec. CE. : le terrain objet des droits réels est considéré comme intégré au domaine public communal dès la certitude de son affectation au service public de l’accueil des personnes âgées, moyennant un aménagement spécifique à réaliser, la résidence.

Ensuite, le contrat comprenait une clause illicite selon laquelle la commune renonçait à l’exercice de son pouvoir de résiliation unilatérale pour un motif d’intérêt général 7)L’arrêt « Eurolat » précité a déjà jugé qu’une clause interdisant la résiliation du contrat avant le remboursement du prêt était incompatible avec le fonctionnement du service public.. Le juge relève que cette clause est indivisible de l’ensemble contractuel, et entraîne l’illicéité du tout.

Pour le Conseil d’Etat, ces irrégularités auraient conduit le juge soit à résilier soit à annuler le contrat : la demande tendant à la reprise des relations contractuelles ne peut qu’être rejetée.

La société sollicitait enfin, à titre subsidiaire, et sur le fondement de l’enrichissement sans cause, l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de la propriété de la résidence, 38 ans avant la date d’échéance du contrat. Néanmoins, le juge écarte ces conclusions indemnitaires, au motif que la société n’a jamais saisi la commune d’une demande préalable 8)A l’instar de ce qui est exigé pour les candidats évincés demandant, dans le cadre d’un recours « Tropic », l’indemnisation du préjudice subi (CE avis 11 mai 2011 n° 347002, Sté Rébillon Schmit Prévot : Rec. CE 2011, p. 209).
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References   [ + ]

1. Article L. 451-1 du code rural
2. CE Sect. 21 mars 2011 Commune de Béziers, n° 304806 : Rec. CE p. 117.
3. CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, n° 304802 : Rec. CE p.509.
4. Loi n°88-13 du 5 janvier 1988 d’amélioration de la décentralisation.
5. CE, 6 mai 1985 Association Eurolat Crédit Foncier de France, req. n° 41589 : Rec. CE 1985, p. 141
6. CE 8 avril 2013 ATLALR req. n° 363738 : publié au Rec. CE.
7. L’arrêt « Eurolat » précité a déjà jugé qu’une clause interdisant la résiliation du contrat avant le remboursement du prêt était incompatible avec le fonctionnement du service public.
8. A l’instar de ce qui est exigé pour les candidats évincés demandant, dans le cadre d’un recours « Tropic », l’indemnisation du préjudice subi (CE avis 11 mai 2011 n° 347002, Sté Rébillon Schmit Prévot : Rec. CE 2011, p. 209).

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