Les limites du contrôle par le juge du motif d’intérêt général invoqué pour résilier un contrat public

Catégorie

Contrats publics, Domanialité publique, Droit administratif général

Date

May 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 27 mars 2020 Société Blue Boats, req. n° 432076 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser l’office du juge dans le cadre du contrôle du motif d’intérêt général invoqué par l’autorité contractante pour résilier un contrat.

Le 8 juillet 2014, la commune de Palavas-les-Flots a conclu une convention d’occupation du domaine public avec la société Blue Boats, pour 15 ans, autorisant cette dernière à exploiter sur cette dépendance une activité de location de bateaux sans permis et de restauration. Par un courrier du 1er août 2017, la commune a notifié à l’occupante sa décision de résilier la convention pour un motif d’intérêt général à compter du 10 août 2017. La commune a expliqué cette décision par son souhait d’utiliser la dépendance en question pour permettre le stationnement des véhicules du personnel d’une maison de retraite relevant du centre communal d’action sociale implanté à proximité.

La société Blue Boats a demandé au juge administratif d’annuler cette résiliation, de prononcer la reprise des relations contractuelles et de condamner la commune à l’indemniser des préjudices qu’elle estimait avoir subis.

Par un jugement du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ces demandes, mais par un arrêt du 29 avril 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et prononcé la reprise immédiate des relations contractuelles, estimant le motif de résiliation invoqué par la commune injustifié, celle-ci disposant déjà d’un parc de stationnement municipal à proximité, au sein duquel 17 places de stationnement avaient été prévues à l’usage exclusif de la maison de retraite et que les difficultés de stationnement rencontrées par le personnel de la maison de retraite n’étaient pas établies par les pièces du dossier.

La commune de Palavas-les-Flots a formé un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’Etat censure l’arrêt de la cour administrative d’appel pour erreur de droit parce qu’elle a procédé à l’examen de la pertinence du motif d’intérêt général invoqué par la commune.

Les conventions d’occupation du domaine public, comme tout contrat administratif, peuvent faire l’objet d’une résiliation pour motif d’intérêt général 1)CE 23 mai 2011 Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense, req. n° 328225.

Saisi d’un recours en contestation sur la validité d’une décision de résiliation pour motif d’intérêt général, le juge contrôle que le motif avancé par l’autorité contractante présente un caractère d’intérêt général et justifie ainsi, à la date à laquelle elle prise, la décision de résilier le contrat avant son terme 2)CE Assemblée 2 février 1987 Société T.V.6, req. n° 81131, publié au Rec. : « Considérant que, s’il appartient à l’autorité concédante, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, et sous réserve des droits d’indemnisation du concessionnaire, de mettre fin avant son terme, à un contrat de concession, elle ne peut ainsi rompre unilatéralement ses engagements que pour des motifs d’intérêt général justifiant, à la date à laquelle elle prend sa décision, que l’exploitation du service concédé doit être abandonné ou établie sur des bases nouvelles. » ; voir également en des termes identiques : CE 31 juillet 1996 Société des téléphériques du massif Mont-Blanc, req. n° 126594, dans la mesure de la qualification juridique des faits opérée sur l’appréciation du caractère d’intérêt général du motif invoqué 3)CE 4 juin 2014 Commune d’Aubigny-les-Pothées, req. n° 368895.

Présente ainsi un caractère d’intérêt général, par exemple, la volonté d’assurer une meilleure exploitation du domaine public en percevant des redevances auprès d’occupants du domaine public bénéficiant antérieurement de sous-locations non autorisées 4)CAA Douai 29 novembre 2011 Société Foure Lagadec Aviation, req. n° 10DA00608, la nécessité de réaliser des travaux de mise aux normes au sein de la dépendance domaniale 5)   CAA Bordeaux 5 avril 2011 SA Rouzaud Retauration, req. n° 09BX02391 ou encore la volonté de soumettre l’autorisation d’occupation domaniale à une procédure de publicité et de mise en concurrence 6)CAA Bordeaux 14 mars 2013 Ecole nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d’Albi, req. n° 11BX03091. A l’inverse, les manquements du cocontractant à ses obligations ne constituent pas un motif d’intérêt général 7)CAA Nancy 27 juin 2013 Commune de Verdun, req. n° 12NC01799.

Mais ce contrôle s’arrête là : l’office du juge est de contrôler sans administrer en lieu et place de l’administration. Pour satisfaire cet équilibre, le juge s’interdit de contrôler la réalité du motif d’intérêt général invoqué, et même, ce que précise l’arrêt commenté, sa pertinence :

« (…) En procédant ainsi à une appréciation des besoins de stationnement dans la commune et de la pertinence des choix des autorités municipales, alors que la volonté de la commune d’utiliser la dépendance litigieuse en vue de créer un espace de stationnement en centre-ville pour les besoins d’une maison de retraite caractérisait un motif d’intérêt général de nature à justifier la résiliation d’une convention par laquelle elle avait accordé une autorisation, précaire et révocable […], la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Dans ses conclusions, la rapporteure publique Karin Ciavaldini décrit la difficulté de déterminer le champ du contrôle du juge en la matière :

« La question que le présent litige vous permettra d’éclairer, c’est celle de la profondeur du contrôle que doit exercer le juge. Elle n’est pas tout à fait simple car il s’agit selon nous d’une affaire de dosage.

Ainsi, le juge ne doit pas rester totalement à la surface des choses : il doit contrôler, non seulement l’existence d’un motif d’intérêt général, mais aussi le fait qu’il est de nature à justifier la résiliation de la convention en cause dans le litige. […] Mais, dans ce rapprochement du motif d’intérêt général et de la convention dont la résiliation a été prononcée, le juge ne doit pas non plus aller trop loin, et la limite c’est sans doute le moment où il commence à substituer sa propre appréciation à celle du gestionnaire du domaine. » 8)Conclusions de Karin Ciavaldini, rapporteure publique.

Ce raisonnement s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Commune de Limoges rendu le 29 janvier 2011 9) CE 19 janvier 2011 Commune de Limoges, req. n° 323924, publié au Rec. , par lequel le Conseil d’Etat censurait déjà l’erreur de droit commise par les juges du fond sur le contrôle de la réalité motif d’intérêt général invoqué pour rompre une convention d’occupation domaniale relative à l’exploitation de l’activité d’hôtellerie et de restauration au sein d’un centre sportif communal. La véracité du motif d’intérêt général invoqué, consistant dans la volonté de la commune d’adopter un nouveau mode de gestion de l’activité, avait été examiné, à tort, au regard des caractéristiques du futur contrat de délégation de service public envisagé, alors que les juges du fond auraient dû se borner à constater que la commune pouvait librement choisir le mode de gestion qui lui paraissait plus approprié. Le Conseil d’Etat concluait dans cette affaire que la volonté de soumettre le futur exploitant à des obligations de service public suffisait à justifier la résiliation pour motif d’intérêt général.

Le raisonnement est transposable aux autres contrats de droit public, le droit de résiliation unilatérale relevant des principes généraux applicables aux contrats administratifs. Toutefois, ce motif de résiliation suppose l’indemnisation du préjudice qui en découle pour le délégataire de service public, alors qu’en matière d’occupation domaniale, le caractère précaire et révocable de l’autorisation consentie conduit souvent les parties à exclure une indemnisation de l’occupant, ce qui suscite probablement davantage de contentieux.

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References   [ + ]

1. CE 23 mai 2011 Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense, req. n° 328225
2. CE Assemblée 2 février 1987 Société T.V.6, req. n° 81131, publié au Rec. : « Considérant que, s’il appartient à l’autorité concédante, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, et sous réserve des droits d’indemnisation du concessionnaire, de mettre fin avant son terme, à un contrat de concession, elle ne peut ainsi rompre unilatéralement ses engagements que pour des motifs d’intérêt général justifiant, à la date à laquelle elle prend sa décision, que l’exploitation du service concédé doit être abandonné ou établie sur des bases nouvelles. » ; voir également en des termes identiques : CE 31 juillet 1996 Société des téléphériques du massif Mont-Blanc, req. n° 126594
3. CE 4 juin 2014 Commune d’Aubigny-les-Pothées, req. n° 368895
4. CAA Douai 29 novembre 2011 Société Foure Lagadec Aviation, req. n° 10DA00608
5.    CAA Bordeaux 5 avril 2011 SA Rouzaud Retauration, req. n° 09BX02391
6. CAA Bordeaux 14 mars 2013 Ecole nationale supérieure des techniques industrielles et des mines d’Albi, req. n° 11BX03091
7. CAA Nancy 27 juin 2013 Commune de Verdun, req. n° 12NC01799
8. Conclusions de Karin Ciavaldini, rapporteure publique
9. CE 19 janvier 2011 Commune de Limoges, req. n° 323924, publié au Rec.

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