Même en présence de réserves, le Conseil d’Etat est inflexible sur le respect des principes d’unicité et d’intangibilité du décompte général et définitif

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2013

Temps de lecture

4 minutes

Dans un arrêt du 20 mars 2013 Centre hospitalier de Versailles, req. n° 357636 qui sera mentionné aux Tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a jugé :

« Considérant, d’une part, que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage et qu’elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ; que si elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement prévue au contrat, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure ; qu’ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif ; qu’en outre, en l’absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs se poursuivent au titre des travaux ou des parties de l’ouvrage ayant fait l’objet des réserves ;

Considérant, d’autre part, que l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties ».

Cette décision récapitule plusieurs grands principes jurisprudentiels applicables en matière de réception et de décompte général d’un marché de travaux publics :

► L’effet extinctif des rapports contractuels de la réception sans réserves (CE Sect. 4 juillet 1980 SA Forrer et Cie, req. n° 03433 : Rec. CE, p. 307 – CE Sect. 15 juillet 2004 Syndicat intercommunal d’alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon, req. n° 235053 : Rec. CE p. 345) mais uniquement en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage (CE 1er octobre 1993 Vergnaud et Gaillard, req. n° 60526 : Rec. CE T. p. 880 – CE Sect. 6 avril 2007 Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, req. n° 264490 : Publié au Rec. CE ; BJCP n° 52, Juin 2007 p. 222) ;
► En cas de réception avec réserves, la continuation des rapports contractuels au seul titre des travaux objet des réserves (CE 16 janvier 2012 Commune de Château d’Oléron, req. n° 352122 : Mentionné aux Tables du Rec. CE sur ce point) ;
► L’absence d’impact de la réception des travaux sur les obligations financières des parties (CE Sect. 6 avril 2007 Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, req. n° 264490 : Publié au Rec. CE ; BJCP n° 52, Juin 2007 p. 222) ;
► L’unicité du décompte général (CE 8 décembre 1961 Société nouvelle compagnie générale de travaux : Publié au Recueil p. 701 – CE 4 décembre 1987 Commune de La Ricamarie, req. n° 56108 : Publié au Recueil – CE 21 juin 1999 Banque populaire Bretagne-Atlantique, req. n° 151917 : Publié au Recueil p. 206) et l’intangibilité de celui-ci lorsque celui-ci devient définitif (voir en dernier lieu, CE Sect. 6 avril 2007 Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, req. n° 264490 : Publié au Rec. CE ; BJCP n° 52, Juin 2007 p. 222).

L’intérêt de cette décision réside dans la combinaison opérée par la Haute Juridiction entre ces différents principes par laquelle le Conseil d’Etat en vient à décider :

« qu’il résulte de ce qui précède que si le maître d’ouvrage notifie le décompte général d’un marché public de travaux alors même que des réserves relatives à l’état de l’ouvrage achevé n’ont pas été levées et qu’il n’est pas fait état des sommes correspondant à la réalisation des travaux nécessaires à la levée des réserves au sein de ce décompte, le caractère définitif de ce dernier a pour effet de lui interdire toute réclamation correspondant à ces sommes, même si un litige est en cours devant le juge administratif ».

Le Conseil d’Etat poursuit ainsi dans la lignée d’une séparation nette entre, d’une part, la réception des travaux et les réserves (qui concernent uniquement la réalisation des travaux) et son contentieux (voir, sur ce point, CE 26 mars 2003 Société Deniau, req. n° 231344 : Mentionné aux Tables du Rec. CE sur ce point pour une décision antérieure retenant que l’existence d’une procédure d’expertise judiciaire en cours sur la réalisation des travaux ne fait pas obstacle à ce que le maître d’œuvre notifie valablement le décompte général du marché à l’entreprise) et, d’autre part, le décompte général (qui concernent les obligations financières des parties).

Mais, paradoxalement, pour le maître d’ouvrage qui n’aura pas eu la vigilance soit d’attendre la levée totale des réserves avant d’établir le décompte général soit de prévoir les sommes nécessaires à la reprise des réserves dans celui-ci (avec la difficulté majeure, au moins dans certains cas, d’en évaluer le montant), l’intervention du caractère définitif du décompte aura implicitement mais nécessairement pour effet de lever les réserves émises à la réception ou en tout cas de les vider de toute substance puisqu’il ne sera plus possible alors d’obtenir la condamnation pécuniaire de l’entrepreneur au titre de ces réserves (il sera éventuellement toujours envisageable d’imposer à celui-ci l’obligation de réaliser les travaux objet des réserves mais sans réel levier de pression en cas de refus persistant).

Par cette décision orthodoxe (et qui pourra donc paraître à certains excessivement formaliste et sévère pour les maîtres d’ouvrages), le Conseil d’Etat rappelle ainsi l’importance du strict respect des principes d’unicité et d’intangibilité du décompte général définitif d’un marché de travaux.

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser