Pas d’abrogation tacite de la délégation du droit de préemption urbain et pas d’invocation par voie d’exception d’un vice de procédure entachant une délibération même non définitive

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

March 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 1er mars 2023 M. S… et autre, req. n° 462648 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Dans un arrêt rendu en date du 1er mars 2023 et mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a précisé le régime de la délégation du droit de préemption urbain tout en confirmant sa jurisprudence sur l’invocation des vices de forme et de procédure par la voie de l’exception.

En l’espèce, le conseil municipal de la commune de Bailleul a par une délibération en date du 16 juin 2016 délégué au maire l’exercice des droits de préemption définis par le code de l’urbanisme.

Le conseil municipal de la commune de Bailleul a décidé par une délibération en date du 12 octobre 2017 d’exercer le droit de préemption urbain à l’encontre de l’unique librairie du centre-ville. Parallèlement, le conseil municipal a autorisé le maire à signer tout acte à cet effet. Le 13 octobre 2017, le maire a pris un arrêté de préemption.

Une personne physique gérante et sa société d’assurance ont exercé un recours à l’encontre de la délibération et de l’arrêté précités devant le tribunal administratif de Lille. Le tribunal administratif prononce l’annulation des deux actes.

La commune interjette appel devant la Cour administrative d’appel de Douai qui annule le jugement attaqué par un arrêt en date du 25 janvier 2022.

Les intimés se pourvoient en cassation.

1           Concernant la délibération du conseil municipal de 2017, les requérants soutiennent que la délégation de l’exercice du droit de préemption au maire, opérée en date du 16 juin 2016, fait obstacle à l’exercice par la commune du droit de préemption par la délibération du 12 octobre 2017. Le Conseil d’Etat devait dès lors déterminer, comme l’avait jugé l’arrêt d’appel, si le conseil municipal pouvait mettre fin à la délégation de manière implicite.

Le Conseil d’Etat répond par la négative en jugeant : « qu’une décision de mettre fin à une délégation au maire du droit de préemption ne peut être prise que par une nouvelle délibération abrogeant de manière explicite la délégation consentie ». La Cour administrative d’appel a dès lors commis une erreur de droit et l’arrêt d’appel est annulé. Le conseil municipal était incompétent pour prendre la délibération exerçant la préemption en l’absence d’abrogation explicite de la délégation.

Cet arrêt confirme la jurisprudence antérieure qui avait déjà censuré l’absence de toute délibération rapportant la délégation du droit de préemption au profit du maire 1)CE 8 avril 2015 Commune de Saint-Aignan-Grandlieu, req. n° 376821, commentaire du blog.

2          Concernant l’arrêté du 13 octobre 2017, les requérants soulèvent un moyen tiré d’un vice de procédure entachant la délibération de la communauté de communes de Flandres ayant délégué le droit de préemption à la commune de Bailleul. Ils soutenaient par la voie de l’exception que l’arrêté du maire était illégal car la délibération de 2016 ayant délégué l’exercice du droit de préemption avait été prise antérieurement à la délégation dudit droit par la communauté de communes à la commune de Bailleul. Cette délégation avait en effet été décidée par une délibération en date du 29 novembre 2017.

Or, l’exception d’illégalité avait été soulevée le 2 novembre 2017, si bien que le délai de recours par voie d’action à l’encontre de la délibération de la communauté de commune du 29 novembre 2017 n’avait pas expiré. Le Conseil d’Etat devait dès lors se prononcer sur le fait de savoir s’il est possible d’invoquer par la voie de l’exception les vices de forme et de procédure de la délibération alors que le délai de recours pour excès de pouvoir n’est pas expiré.

Le Conseil d’Etat répond également par la négative en jugeant que les conditions d’édiction d’un acte administratif, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne peuvent être utilement invoqués « que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’acte réglementaire lui-même ». Il refuse même de consacrer un critère temporel et l’expiration du délai de recours n’a donc aucune conséquence dans la limitation de l’invocation de ces moyens par la voie de l’exception. La Cour administrative d’appel n’a donc sur ce point pas commis d’erreur de droit.

L’arrêt précise ainsi la portée de la décision CFDT Finances 2)CE Ass. 18 mai 2018 CFDT Finances, req. n°414583, . En effet, la doctrine débattait sur le fait de savoir si c’était l’expiration du délai de recours ou le cadre de l’exception d’illégalité qui rendait inopérants les moyens tirés des vices de forme et de procédure 3)P. Delvolvé , La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Des arguments pour ?, RFDA 2018. 665 ; D. de Béchillon , La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Contre, RFDA 2018. 662. Le Conseil d’Etat suit ainsi les conclusions de son rapporteur public 4)Conclusions A. SKZRYERBAK, Rapporteur public qui explique « qu’il importe peu qu’un recours direct soit encore ouvert contre l’acte réglementaire car la seule question est de savoir dans quelle mesure l’illégalité de cet acte réglementaire rejaillit sur les décisions qui l’ont pour base légale ou qui sont prises pour son application ».

 

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References   [ + ]

1. CE 8 avril 2015 Commune de Saint-Aignan-Grandlieu, req. n° 376821, commentaire du blog
2. CE Ass. 18 mai 2018 CFDT Finances, req. n°414583,
3. P. Delvolvé , La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Des arguments pour ?, RFDA 2018. 665 ; D. de Béchillon , La limitation dans le temps de l’invocation des vices de forme et de procédure affectant les actes réglementaires – Contre, RFDA 2018. 662
4. Conclusions A. SKZRYERBAK, Rapporteur public

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