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CE 17 juillet 2025 commune de Berck-sur-Mer, req. n° 503317 : au Rec. CE
Le casino constitue de longue date un terrain de prédilection du juge administratif dans l’élaboration de la jurisprudence relative aux concessions. Celui de la commune de Berck-sur-Mer, en Côte d’Opale, n’y déroge pas.
Ici, la commune a cédé dans les années 90 son ancienne gare routière au Groupe Partouche, afin que le lieu soit transformé en un bâtiment ayant vocation à accueillir un casino. La société Jean Metz, détenue à 99% puis à 100 % par le Groupe Partouche a été titulaire à deux reprises de la concession d’exploitation du casino et elle a conclu avec le Groupe un bail commercial tacitement reconduit prévoyant l’exercice de l’activité en cause.
La commune a relancé une procédure d’attribution en 2024. L’article 6.2 du règlement de la consultation imposait aux candidats de disposer à la date de remise des offres ou dans un délai de deux mois d’un titre de propriété du bâtiment devant acceuillir l’activité d’exploitation de casino au nom du concessionnaire, ou d’un contrat d’occupation conclu avec un tiers propriétaire ainsi que des documents certifiant la conformité du bâtiment à la réglementation ERP et à l’ensemble des normes de sécurité applicables.
La société du Grand Casino de Dinant a obtenu l’annulation de cette procédure par le juge du référé précontractuel aux motifs que, d’une part, le DCE méconnaissait l’égalité de traitement entre les candidats en procurant un avantage injustifié à au titulaire sortant car il était « pratiquement impossible » pour les autres candidats de négocier l’achat ou l’occupation d’un bâtiment en mesure d’accueillir l’activité de casino dans le délai de deux mois. D’autre part, le juge a retenu que le bâtiment en cause constituait un bien nécessaire à l’exécution du service concédé et qu’il devait par conséquent revenir à la collectivité en fin d’exécution, en application du régime des biens de retour.
La commune a introduit un pourvoi, au soutien duquel la société Jean Metz et le Groupe Partouche sont intervenus.
Par sa décision en chambres réunies du 17 juillet 2025, le Conseil d’Etat commence par rappeler le régime établi 1)CE 21 décembre 2012 commune de Douai, req. n° 342788 : au Rec. CE des biens de retours et biens de reprises :
- dans le silence du contrat, les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique
- les ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public établis sur la propriété d’une personne publique relèvent du régime de la domanialité publique, indépendamment de l’intention des parties et les droits réels dont peut bénéficier le concessionnaire ne doivent pas être susceptibles d’affecter la continuité du service public
- les ouvrages nécessaires au service public non-établis sur la propriété d’une personne publique peuvent être laissés en pleine propriété au cocontractant ou être grevés de droits réels, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de délégation, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée
- les biens qui n’ont pas été remis par le délégant au délégataire en vue de leur gestion par celui-ci et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service sont la propriété du délégataire, à moins que les parties n’en disposent autrement
Pour être qualifié de bien retour, un bien doit ainsi appartenir au concessionnaire et être nécessaire au fonctionnement du service public.
Le Conseil d’Etat admet ensuite, et c’est l’apport principal de cette décision, que le bien de retour peut appartenir à un tiers à la concession sous réserve des deux conditions suivantes (point 9) :
- « d’une part, il existe des liens étroits entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et du concessionnaire, lesquels permettent de regarder l’un comme exerçant une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de l’autre ou de regarder l’un et l’autre comme étant placé sous le contrôle d’une même entreprise tierce » et
- « d’autre part, le bien, exclusivement destiné à l’exécution du contrat de concession, a été mis par son propriétaire à la disposition du concessionnaire pour cette exécution »
Cette solution protège le patrimoine des personnes publiques en limitant les stratégies de contournement de l’application du régime des bien de retour. Reste encore à déterminer comment seront appréciés les « liens étroits » entre les actionnaires ou les dirigeants du propriétaire du bien et le concessionnaire.
Le Conseil d’Etat en tire les conséquences en l’espèce et juge que la circonstance que le bâtiment abritant actuellement le casino n’était pas la propriété du concessionnaire, mais celle du Groupe Partouche, ne faisait pas obstacle à ce qu’il fasse retour à la commune au terme de la convention.
Par ailleurs, il confirme que le DCE méconnaissait l’égalité de traitement en imposant aux candidats de disposer d’un titre de propriété ou d’un contrat d’occupation à la date de la remise des offres ou dans un délai de deux mois, compte tenu de la taille de la commune de Berck-sur-Mer, dissuadant la société du Grand Casino de Dinant de présenter sa candidature.
Le pourvoi de la commune est ainsi rejeté.
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