Précisions sur le principe d’autorité de la chose jugée en matière d’annulation d’un permis de construire

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 21 septembre 2023 Société A2C, req. n° 467076 : Publié au Rec. CE

Par un arrêt du 21 septembre 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser les contours du principe d’autorité de la chose jugée dans le cadre du recours contre un refus de permis de construire, dont l’objet est le même qu’un permis ayant déjà été annulé par l’effet d’un jugement devenu définitif.

La société Alpes Constructions Contemporaines (A2C) a déposé une demande de permis de construire, en vue de réaliser trois maisons individuelles sur le territoire de la commune de La Tronche.

Or, par arrêté du 18 octobre 2016, le maire de la commune a refusé de lui délivrer le permis de construire sollicité. L’arrêté se fondait notamment sur l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, dans la mesure où le projet avait vocation à s’implanter dans un secteur affecté par des risques de glissement de terrain.

La société A2C a donc demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 18 octobre 2016, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Toutefois, alors que l’affaire était toujours pendante devant cette juridiction, par un arrêté du 6 août 2018, le maire de La Tronche a retiré son arrêté du 18 octobre 2016 et la société A2C s’est vu délivrer le permis de construire initialement sollicité.

Les voisins du projet ont alors demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 6 août 2018.

Par deux jugements distincts en date du 8 octobre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a :

  • (i) annulé l’arrêté du 6 août 2018, qui octroyait à la société A2C le permis de construire trois villas individuelles en faisant droit au moyen fondé sur l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme ;
  • (ii) rejeté la requête de la société A2C tendant à l’annulation de l’arrêté du 18 octobre 2016.

Ce dernier jugement a fait l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel de Lyon, tandis que le premier est devenu définitif.

Par un arrêt du 28 juin 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête de la société A2C dirigée contre ce second jugement du 8 octobre 2020, au motif que l’autorité absolue de la chose jugée attachée au premier jugement du 8 octobre impliquait que soit écarté le moyen tiré de ce qu’en opposant un refus de permis de construire, en raison des risques de glissement de terrain, le maire de La Tronche aurait entaché sa décision d’une erreur d’appréciation.

Au terme d’une longue procédure contentieuse, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser les contours du principe d’autorité de la chose jugé en contentieux de l’urbanisme.

Il rappelle ainsi par son arrêt du 21 septembre 2023 que l’autorité de la chose jugée s’attache à la fois au dispositif d’un jugement devenu définitif, et aux motifs qui en sont le support nécessaire.

Et partant de ce postulat, le Conseil d’Etat ajoute qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de l’annulation du refus opposé à un permis de construire de « prendre acte de l’autorité de la chose jugée s’attachant, d’une part, à l’annulation juridictionnelle devenue définitive du permis de construire ayant le même objet, délivré postérieurement à la décision de refus, et, d’autre part, aux motifs qui sont le support nécessaire de cette annulation ».

D’une part, le Conseil d’Etat précise qu’en l’absence de changement de circonstances de fait ou de droit, le juge de l’excès de pouvoir doit tenir compte de l’autorité de la chose jugée s’attachant aux motifs d’un jugement devenu définitif, annulant un permis délivré postérieurement à la décision en litige mais ayant le même objet.

D’autre part, le Conseil d’Etat précise que la circonstance que les juges du fond aient retenu plusieurs moyens d’annulation dans leur jugement du 8 octobre 2020 ne faisait pas obstacle à ce que la méconnaissance de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme puisse être identifié comme étant le support nécessaire du jugement, dès lors qu’en application de l’article L. 600-4-1 du même code, ce motif justifiait à lui seul la solution retenue.

La solution dégagée en l’espèce peut paraître quelque peu déroutante, puisqu’elle pourrait s’identifier comme faisant peu ou prou produire des effets à l’annulation sur un acte antérieur, alors que le jugement n’en modulait pas les effets dans le temps. C’est d’ailleurs ce que la société A2C reprochait à la Cour.

Mais comme l’explique pertinemment le rapporteur public dans cette affaire 1)Concl. Laurent Domingo sous l’arrêt CE 21 septembre 2023 Société A2C, req. n°467076 : Publié au Rec. CE.

, la subtilité réside dans ce que le tribunal administratif de Grenoble avait déjà jugé le 8 octobre 2020 que la construction de trois maisons individuelle était illégale en raison notamment du risque de glissement de terrain et que dans l’appel dirigé contre le refus d’autorisation de construire ces mêmes maisons individuelles, la Cour était saisie du moyen tiré de l’illégalité du motif fondé sur le risque de glissement de terrain.

Constatant une identité d’objet, et surtout une absence de changement dans les circonstances de droit et de fait, la Cour a pu d’office et sans erreur de droit, opposer l’autorité de la chose jugée, puisque ce motif constituait justement l’un des supports nécessaires de la décision du 8 octobre 2020.

Cet arrêt, qui valide pleinement l’analyse de la cour administrative d’appel de Lyon, constitue non seulement un affirmation de la portée de l’autorité de la chose jugée, mais également de l’étendue de ce principe.

 

Partager cet article

References   [ + ]

1. Concl. Laurent Domingo sous l’arrêt CE 21 septembre 2023 Société A2C, req. n°467076 : Publié au Rec. CE.

3 articles susceptibles de vous intéresser