Précisions sur le régime de l’astreinte provisoire pouvant assortir l’injonction de libérer une dépendance du domaine public irrégulièrement occupée et application de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire

Catégorie

Droit administratif général

Date

June 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 mai 2020 M. et Mme C.., req. n° 432977 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

1           Contexte

et Mme C… occupant irrégulièrement le domaine public du port de plaisance de Port-Ilon à saint-Martin-la-Garenne, le juge du référé du tribunal administratif de Versailles, par une ordonnance du 14 novembre 2018, leur a enjoint d’évacuer leur bateau sans délai et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

et Mme C… ne s’étant pas exécutés, la commune de Saint-Martin-la-Garenne a demandé le 14 mai 2019 au juge des référés de procéder à la liquidation de cette astreinte et d’en porter le montant à 200 euros par jour de retard.

Par une ordonnance du 5 juillet 2019, le juge des référés a condamné M. et Mme C… à verser à la commune de Saint-Martin-la-Garenne la somme de 22 700 euros au titre de l’astreinte due pour la période du 21 novembre 2018 au 5 juillet 2019 et rejeté le surplus de la demande de la commune.

et Mme C… ont alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

2          La décision du Conseil d’Etat

2.1        Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du tribunal administratif de Versailles …

Au préalable, le Conseil d’État relève que le juge des référés n’a pas répondu au moyen soulevé par M. et Mme C… faisant valoir qu’ils étaient dans l’impossibilité d’exécuter l’injonction, prononcée à leur encontre sous astreinte d’évacuer sans délai leur bâtiment du port de plaisance en raison de la précarité de leur situation financière. Le Conseil d’Etat considère que ce moyen n’est pas inopérant dès lors qu’il s’agit d’une instance portant sur la liquidation, provisoire ou définitive d’une astreinte.

2.2       …. puis procède à la liquidation provisoire de l’astreinte

Réglant ensuite l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat énonce que :

  • dès lors qu’une injonction de libérer les lieux est prononcée sans délai, elle court à compter de la notification à la personne concernée de la décision du juge ;
  • Si l’injonction de libérer les lieux est assortie d’une astreinte 1)A cet égard, le Conseil d’Etat a déjà précisé à l’occasion de l’occupation irrégulière du domaine public maritime que « la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de l’exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte lorsque la personne se refuse, à l’issue du délai qui lui a été imparti, à exécuter la décision, a le caractère d’un principe général » (CE 6 mai 2015, req. n° 377487, cons. 3 : Mentionné dans les tables du recueil Lebon)., laquelle n’est alors pas régie par les dispositions du livre IX du code de justice administrative, l’astreinte court à compter de la date d’effet de l’injonction, sauf à ce que le juge diffère le point de départ de l’astreinte dans les conditions qu’il détermine 2)Voir par exemple : CE 1er avril 2019, req. n° 419375. ;
  • Enfin, lorsqu’il a prononcé une telle astreinte, il incombe au juge de procéder à sa liquidation, en cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de l’injonction. Il peut toutefois modérer 3) Pour un exemple de modération, voir CE 24 février 2017, req. n° 401656. ou supprimer l’astreinte provisoire, même en cas d’inexécution de la décision juridictionnelle.

Ceci étant dit, en l’espèce, le Conseil d’Etat considère d’emblée que les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de leur situation financière pour justifier de l’absence d’exécution de l’injonction, dès lors qu’ils n’ont pas établi que c’est la précarité de leur situation financière qui rendait impossible le déplacement de leur bateau. Le Conseil d’Etat déjà jugé en ce sens 4)CE 1er avril 2019, req. n° 419375..

Et, la circonstance que la commune de Saint-Martin-la-Garenne disposerait des pouvoirs nécessaires pour faire exécuter d’office le déplacement de leur bateau, n’est pas de nature à rendre par elle-même irrecevable la demande de liquidation de l’astreinte de la commune en vue de l’exécution de l’injonction.

Bien que le Conseil d’Etat relève que les requérants avaient entrepris des démarches administratives pour déplacer leur bateau « Molan » du port de plaisance, il considère qu’il y a lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte.

L’ordonnance du 14 novembre 2018 qui avait enjoint à M. et Mme C… d’évacuer leur bateau du port, n’ayant pas différé la date d’effet de l’astreinte par rapport à celle de l’injonction de libérer les lieux sans délai, le Conseil d’Etat considère donc que l’astreinte doit être liquidée pour une période commençant à compter de la date de la notification de cette ordonnance à M. et Mme C…, soit le 21 novembre 2018 5)Pour un exemple d’application similaire à propos de l’occupation irrégulière du domaine public maritime : CE 3 mars 2017, req. n° 390368..

Enfin, pour le calcul du montant de l’astreinte, le Conseil d’Etat fait application de l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

En vertu du dernier alinéa de cette ordonnance :

« le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er ».

La période définie au I de cet article 1er étant comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. Cette période n’est donc pas encore parvenue à son terme.

En l’espèce, le cours de l’astreinte litigieuse a pris effet le 21 novembre 2018 (date de la notification de l’ordonnance prononçant l’injonction et l’astreinte), soit avant le 12 mars 2020.

Le cours de l’astreinte est donc suspendu depuis le 12 mars dernier jusqu’au 23 juin prochain inclus.

Le Conseil d’Etat conclue donc qu’il y a lieu de procéder à la liquidation de l’astreinte pour la période courant du 21 novembre 2018 (date de la notification de l’ordonnance) au 11 mars 2020 (après cette date le cours de l’astreinte est pour l’instant suspendu jusqu’au 23 juin).

Enfin, le Conseil d’Etat refuse de modérer le montant de l’astreinte exigible.

Les requérant sont donc condamnés à verser à la commune de Saint-Martin-la-Garenne la somme de 47 600 euros au titre de l’astreinte due pour la période du 21 novembre 2018 au 11 mars 2020.

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References   [ + ]

1. A cet égard, le Conseil d’Etat a déjà précisé à l’occasion de l’occupation irrégulière du domaine public maritime que « la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l’encontre de personnes privées en vue de l’exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte lorsque la personne se refuse, à l’issue du délai qui lui a été imparti, à exécuter la décision, a le caractère d’un principe général » (CE 6 mai 2015, req. n° 377487, cons. 3 : Mentionné dans les tables du recueil Lebon).
2. Voir par exemple : CE 1er avril 2019, req. n° 419375.
3. Pour un exemple de modération, voir CE 24 février 2017, req. n° 401656.
4. CE 1er avril 2019, req. n° 419375.
5. Pour un exemple d’application similaire à propos de l’occupation irrégulière du domaine public maritime : CE 3 mars 2017, req. n° 390368.

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