Précisions sur les recours indemnitaires contre une personne privée en matière de travaux publics

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE Avis 27 avril 2021, n° 448467 : publié au Recueil

Par un avis rendu le 27 avril 2021, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur les règles de liaison du contentieux en matière de travaux publics.

Dans cette affaire, une station de traitement des eaux pluviales édifiée par la communauté de communes du centre Corse avait subi de graves dommages à la suite d’un évènement neigeux.

La communauté de communes a demandé, en vain, à son assureur dommage-ouvrage de prendre en charge ces dommages.

Face à ce refus, la communauté de communes a saisi le tribunal administratif de Bastia d’une demande de condamnation, non seulement de son assureur, mais également des trois entreprises intervenues dans les opérations de travaux et leurs assureurs.

Le TA de Bastia, dans un jugement rendu le 7 janvier dernier 1)TA Bastia 7 janvier 2021, req. n° 1800081., a rejeté les conclusions dirigées à l’encontre de l’ensemble des assureurs

En revanche, il a considéré que les conclusions dirigées à l’encontre des constructeurs constituaient « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Il a dès lors fait application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative en prononçant un sursis à statuer dans l’attente d’un avis du Conseil d’Etat.

Le TA s’interrogeait en effet sur le point de savoir si la communauté de communes pouvait saisir le juge d’une demande d’indemnisation dirigée contre les constructeurs, sans avoir effectué préalablement une telle demande auprès d’eux.

Il a ainsi posé deux questions au Conseil d’Etat :

  • Les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative sont-elles applicables aux conclusions dirigées contre une personne morale de droit privé n’entrant pas dans le champ de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration ?
  • Si la précédente question appelle une réponse négative, faut-il considérer qu’un délai commence néanmoins à courir au plus tard à compter de la date d’enregistrement de la requête, au-delà duquel le requérant n’aurait pas la possibilité de régulariser sa requête au regard de l’article R. 411-1 du code de justice administrative ou bien de présenter des conclusions nouvelles car reposant sur une cause juridique distincte de celle qu’il a invoquée dans la requête ?

1.      La dispense de liaison du contentieux pour les recours indemnitaires en matière de travaux publics dirigés contre des personnes privées qui ne sont pas chargées d’une mission de service public administratif

Aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle.

Le délai prévu au premier alinéa n’est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat. »

Ainsi, en matière indemnitaire, les requérants doivent respecter le principe de liaison du contentieux : un recours devant le juge administratif ne sera recevable qu’à la condition que l’administration se soit déjà prononcée sur une demande préalablement formée devant elle.

Le décret « JADE » du 2 novembre 2016 entré en vigueur le 1er janvier 2017 portant modification du code de justice administrative a supprimé la dispense qui existait auparavant en matière de travaux publics.

Toutefois, le Conseil d’Etat indique ici que ces dispositions ne s’appliquent pas aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics dirigés contre les personnes privées non chargées d’une mission de service public administratif.

Il précise qu’une telle exigence ne serait pas possible au regard de l’absence de règle prévoyant la naissance d’une décision implicite en cas de silence de la personne privée sur une demande formée devant elle puisque, comme il le rappelle, « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune règle générale de procédure ne détermine les effets du silence gardé sur une demande par une personne morale de droit privé qui n’est pas chargée d’une mission de service public administratif ».

En effet, en vertu du 3° de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration, « le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet […] si la demande présente un caractère financier […] ».

Or, l’article L. 100-3 du CRPA précise que « au sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : 1° Administration : les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale […] ».

Ainsi, les dispositions du CRPA, et notamment les règles relatives à la naissance des décisions implicites, ne sont pas applicables aux personnes privées qui ne sont pas chargées d’une mission de service public administratif 2)La rapporteure publique Mireille Le Corre souligne dans cette affaire que « conditionner ici la saisine du juge à une décision préalable alors que cette décision peut, en l’absence d’une telle règle en cas de silence, ne jamais intervenir, fait poindre une difficulté en termes de droit au recours puisqu’il ne serait tout simplement pas possible de saisir le juge, ce qui n’est évidemment pas une interprétation concevable »..  

2.     Les conséquences de cette dispense sur les règles relatives à la cristallisation du contentieux

Il résulte de cette exception à la règle de la décision préalable que, sous réserve des règles de prescription, aucun délai de recours contentieux ne s’applique pour introduire le recours.

Or, la date de l’expiration du délai de recours contentieux revêt une importance majeure devant les juridictions administratives puisqu’elle entraîne la cristallisation du contentieux.

Cela signifie qu’à compter de cette date, il n’est en principe plus possible de régulariser une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen 3)Article R. 411-1 du CJA, ni invoquer de nouveaux moyens relevant d’une cause juridique différente de ceux précédemment invoqués 4)CE sect. 20 février 1953 Sté Intercopie, req. n° 9772.

Le Conseil d’Etat déduit de son raisonnement qu’aucune cristallisation du contentieux ne peut donc être opposée aux requérants dans les contentieux indemnitaires dirigés contre des personnes privées non chargées d’une mission de service public administratif.

 

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References   [ + ]

1. TA Bastia 7 janvier 2021, req. n° 1800081.
2. La rapporteure publique Mireille Le Corre souligne dans cette affaire que « conditionner ici la saisine du juge à une décision préalable alors que cette décision peut, en l’absence d’une telle règle en cas de silence, ne jamais intervenir, fait poindre une difficulté en termes de droit au recours puisqu’il ne serait tout simplement pas possible de saisir le juge, ce qui n’est évidemment pas une interprétation concevable ».
3. Article R. 411-1 du CJA
4. CE sect. 20 février 1953 Sté Intercopie, req. n° 9772

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