Précisions sur l’office du juge dans l’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et application aux instances en cours du nouvel article L. 600-5-2 issu de la loi ELAN

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

March 2019

Temps de lecture

7 minutes

CE 15 février 2019 Commune de Cogolin, req. n° 401384 : Rec. CE

1          Le contexte du pourvoi

Par un arrêté du 4 juillet 2012, le maire de la commune de Cogolin a délivré un permis de construire à la SARL Les Bougainvilliers pour la réalisation d’un immeuble de six logements sur le territoire de la commune.

Mme A. et Marguerite B. ont demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté.

Par un jugement du 2 juillet 2014 1)N° 1202308., le tribunal administratif a annulé cet arrêté en tant seulement qu’il autorise la couverture, par un matériau autre que la tuile, de la terrasse sud du dernier étage de l’immeuble, en méconnaissance de l’article UB 11.3 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune. Les juges de première instance ont, pour le reste de l’arrêté, mis en œuvre l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme permettant la régularisation du permis de construire.

M et Mme B. ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Marseille. Un appel incident a également été formé par la commune de Cogolin.

La cour administrative d’appel de Marseille 2)CAA Marseille 12 mai 2016, req. n°14MA03518. a réformé ce jugement et annulé l’arrêté du 4 juillet 2012 aux motifs de la méconnaissance des articles UB 11.3 et UB 14 du règlement du PLU de la commune. Contrairement aux juges de première instance, la cour a refusé de mettre en œuvre les dispositions des articles L. 600-5 (annulation partielle) et L. 600-5-1 (sursis à statuer en vue d’une régularisation) du code de l’urbanisme.

La commune de Cogolin a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État en contestant, d’une part, le motif tiré de la méconnaissance de l’article UB 14 du règlement du plan local d’urbanisme, et d’autre part, le refus de mettre en œuvre ces dispositions du code de l’urbanisme.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’État a été amené à préciser l’office du juge de cassation et du juge d’appel dans le cadre des procédures de régularisation du contentieux de l’urbanisme (articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme), ainsi que les conditions dans lesquelles l’administration saisie d’une demande de permis de construire peut vérifier l’exactitude des déclarations qu’elle contient.

2          La décision du Conseil d’État

2.1       Le Conseil d’État se prononce tout d’abord sur les conditions dans lesquelles l’administration peut vérifier l’exactitude des déclarations d’une demande de permis de construire.

Pour mémoire, les articles R. 431-4 et R. 431-5 du code de l’urbanisme, dans leur rédaction en vigueur à la date du permis attaqué, énumèrent les informations et pièces qui doivent obligatoirement constituer le dossier de demande de permis de construire.

Ainsi, le Conseil d’État précise que le permis de construire n’a d’autre objet que d’autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire dans son dossier de demande 3)CE 13 juillet 2012 Mme E…, req. n° 344710.. Il en résulte qu’il n’appartient pas à l’administration de vérifier l’exactitude des déclarations du pétitionnaire relatives à la consistance du projet, ou son intention de respecter ces dernières.

Les seules exceptions tiennent, d’une part, à la contradiction de ces déclarations avec les autres éléments du dossier joints à la demande, tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l’urbanisme, et d’autre part, à la présence d’éléments établissant l’existence d’une fraude à la date à laquelle l’administration se prononce sur la demande d’autorisation.

L’administration peut en revanche apprécier la conformité du projet de construction aux documents d’urbanisme en relevant les inexactitudes du dossier propres au terrain d’assiette, notamment sa surface ou l’emplacement de ses limites séparatives, et, de façon plus générale, relatives à l’environnement du projet de construction, pour apprécier si ce dernier respecte les règles d’urbanisme qui s’imposent à lui.

En l’espèce, la demande de permis de construire mentionnait une surface de plancher de 250 m² pour la construction envisagée, de laquelle étaient déduits une surface de 10 m² destinée à une cave ou un cellier. Dans ce cadre, les juges d’appel ont relevé que les pièces du dossier ne faisaient pas référence à une cave ou un cellier. Ils ont ainsi considéré que l’administration aurait dû vérifier la conformité des déclarations du pétitionnaire avec les pièces du dossier.

Au contraire, le Conseil d’État considère que l’administration n’était pas tenue d’une telle obligation, dès lors qu’aucune pièce ne révélait une contradiction sur ce point, et qu’aucune des pièces ou informations listées par l’article R. 431-4 du code de l’urbanisme n’était manquante.

Par voie de conséquence, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

2.2       Le Conseil d’État se prononce ensuite sur l’office du juge, en appel et en cassation, en matière de régularisation d’autorisation d’urbanisme.

En matière d’urbanisme, lorsque l’un des moyens retenus par les juges du fond suffit à justifier le dispositif d’une décision d’annulation pour excès de pouvoir, le juge de cassation peut, sauf cas d’irrégularité de procédure, rejeter le pourvoi à la condition d’avoir préalablement censuré celui ou ceux des motifs qui étaient erronés 4)CE 22 avril 2005 Commune de Barcarès, req. n° 257877 : Rec. CE, s’agissant de l’étendue de la cassation. Voir également dans le même sens, CE 22 février 2018 SAS Udicité et Université Paris Diderot- Paris 7, req. n°389518 et CE 23 mai 2018 Syndicat des copropriétaires …, req. n° 405937 commentée le 22 juin 2018 sur notre blog..

Dans le prolongement de cette jurisprudence, le Conseil d’État précise que lorsqu’il est « saisi d’un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle retenant plusieurs motifs d’illégalité d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, puis refusant de faire usage des dispositions des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le juge de cassation, dans le cas où il censure une partie de ces motifs, ne peut rejeter le pourvoi qu’après avoir vérifié si les autres motifs retenus et qui demeurent justifient ce refus ».

En l’espèce, le Conseil d’État retient que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant l’arrêté litigieux, alors que l’un des motifs (tiré de la méconnaissance de l’article UB 11.3) était susceptible de faire l’objet d’une mesure de régularisation en application des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et n’était, par suite, pas de nature à justifier à lui seul le refus de la cour de faire application de ces dispositions.

Réglant l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative (CJA), la Haute juridiction précise ensuite l’office du juge d’appel lorsqu’il est saisi d’un jugement par lequel un tribunal administratif a fait usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme et qu’une mesure de régularisation est intervenue.

Au préalable, le Conseil d’État se prononce sur l’application immédiate, y compris aux instances en cours, de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, issu de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite loi « ELAN ».

Pour mémoire, cet article dispose :

« Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »

Pour le Conseil d’État, en l’absence de disposition expresse y faisant obstacle, l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme, qui conduit à donner compétence au juge d’appel pour statuer sur une décision modificative ou une mesure de régularisation si celle-ci est communiquée au cours de l’instance relative à l’autorisation délivrée initialement, est applicable aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, le 1er janvier 2019 5) A rapprocher de CE 4 mars 2016 Mme Canale, req. n° 389513..

Puis, le Conseil d’État précise, de façon très pédagogique, les conditions et limites de la compétence du juge d’appel, ainsi que plus largement, les règles de compétence à l’intérieur de la juridiction administrative :

« Lorsqu’un tribunal administratif, après avoir écarté comme non fondés les autres moyens de la requête, a retenu l’existence d’un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis de construire, de démolir ou d’aménager dont l’annulation lui était demandée et, après avoir estimé que ce ou ces vices étaient régularisables par un permis modificatif, a décidé de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme en prononçant une annulation partielle du permis attaqué et en fixant, le cas échéant, le délai dans lequel le titulaire du permis en cause pourra en demander la régularisation, l’auteur du recours formé contre le permis est recevable à faire appel du jugement en tant qu’en écartant certains de ses moyens et en faisant usage de l’article L. 600-5, il a rejeté sa demande d’annulation totale du permis, le titulaire du permis et l’autorité publique qui l’a délivré étant pour leur part recevables à contester le jugement en tant qu’en retenant l’existence d’un ou plusieurs vices entachant la légalité du permis attaqué, il n’a pas complètement rejeté la demande du requérant.

Lorsque le juge d’appel est saisi dans ces conditions d’un appel contre le jugement du tribunal administratif et qu’un permis modificatif a été délivré aux fins de régulariser les vices du permis relevés par ce jugement, il résulte des dispositions de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme précité que le bénéficiaire ou l’auteur de cette mesure de régularisation la lui communique sans délai, les parties de première instance comme les tiers, en application des dispositions de l’article R. 345-1 du code de justice administrative, ne pouvant contester cette mesure que devant lui tant que l’instance d’appel est en cours. Par suite, si un recours pour excès de pouvoir a été formé contre cette mesure de régularisation devant le tribunal administratif, ce dernier la transmet, en application des articles R. 351-3 et, le cas échéant, R. 345-2 du code de justice administrative, à la cour administrative d’appel saisie de l’appel contre le permis initial. »

Enfin, le Conseil d’État, se focalisant sur l’office du juge d’appel, considère qu’il appartient à celui-ci de se prononcer, dans un premier temps, sur la légalité du permis initial tel qu’attaqué devant le tribunal administratif :

►  S’il estime qu’aucun des moyens dirigés contre ce permis, soulevés en première instance ou directement devant lui, n’est fondé, le juge d’appel doit :

  • annuler le jugement ;
  • rejeter la demande d’annulation dirigée contre le permis et ;
  • s’il est saisi de conclusions en ce sens, statuer également sur la légalité de la mesure de régularisation.

►  Si au contraire, il estime fondés un ou plusieurs des moyens dirigés contre le permis initial mais que les vices affectant ce permis ne sont pas régularisables, le juge d’appel doit :

  • annuler le jugement en tant qu’il ne prononce qu’une annulation partielle du permis ;
  • annuler ce permis dans son ensemble, alors même qu’une mesure de régularisation est intervenue postérieurement au jugement de première instance, cette dernière ne pouvant alors, eu égard aux vices affectant le permis initial, avoir pour effet de le régulariser ;
  • annuler cette mesure de régularisation par voie de conséquence.

►  Dans les autres cas, c’est-à-dire lorsque le juge d’appel estime que le permis initialement attaqué est affecté d’un ou plusieurs vices régularisables, il statue sur la légalité de ce permis en prenant en compte les mesures prises le cas échéant en vue de régulariser ces vices, en se prononçant sur leur légalité si elle est contestée. Au terme de cet examen :

  • s’il estime que le permis ainsi modifié est régularisé, le juge rejette les conclusions dirigées contre la mesure de régularisation ;
  • s’il constate que le permis ainsi modifié est toujours affecté d’un vice, il peut faire application des dispositions de l’article L. 600-5 ou de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme pour permettre sa régularisation.

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References   [ + ]

1. N° 1202308.
2. CAA Marseille 12 mai 2016, req. n°14MA03518.
3. CE 13 juillet 2012 Mme E…, req. n° 344710.
4. CE 22 avril 2005 Commune de Barcarès, req. n° 257877 : Rec. CE, s’agissant de l’étendue de la cassation. Voir également dans le même sens, CE 22 février 2018 SAS Udicité et Université Paris Diderot- Paris 7, req. n°389518 et CE 23 mai 2018 Syndicat des copropriétaires …, req. n° 405937 commentée le 22 juin 2018 sur notre blog.
5. A rapprocher de CE 4 mars 2016 Mme Canale, req. n° 389513.

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