Le « référé étude d’impact » est irrecevable après le délai de cristallisation des moyens malgré l’intervention d’un jugement avant dire droit constatant l’absence d’étude d’impact

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 17 avril 2023 Commune de Mérignac – Stade Nautique Mérignac, req. n° 468789

Par un arrêté du 5 octobre 2020, le maire de la commune de Mérignac (Gironde) a accordé à la SAS Stade Nautique Mérignac un permis de construire pour la construction d’un stade nautique.

Plusieurs riverains ont saisi le tribunal administratif (TA) de Bordeaux d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’arrêté du 5 octobre 2020 ainsi que d’un référé suspension, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, dirigé contre ce même arrêté.

Les requérants soulignaient notamment que le projet relevait du champ de l’évaluation environnementale systématique et non pas de l’évaluation environnementale au cas par cas de sorte que la préfète de la Gironde n’a pas légalement pu le dispenser d’une telle évaluation.

Par une ordonnance du 17 mars 2021 le juge des référés du TA de Bordeaux a rejeté la demande de suspension en considérant qu’aucun des moyens soulevés n’était de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité du permis de construire.

Toutefois par un jugement avant dire-droit du 14 septembre 2022 1)TA Bordeaux 14 septembre 2022, req. n° 2005591 le TA de Bordeaux a finalement retenu l’argumentation tirée de l’absence d’étude d’impact et, faisant usage des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, a sursis à statuer en accordant un délai de 20 mois pour procéder à la régularisation de l’illégalité ainsi retenue.

Saisi d’un nouveau « référé étude d’impact » 2)« Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d’approbation d’un projet visé au I de l’article L. 122-1 est fondée sur l’absence d’étude d’impact, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée » (L. 122-2 du code de l’environnement). Précisons à cet égard qu’il doit faire droit à la demande de suspension non seulement lorsque l’étude d’impact manquante est systématiquement exigée par la règlementation en vigueur mais également lorsqu’il a été décidé, à la suite d’un examen au cas par cas, de ne pas procéder à cette évaluation et qu’une telle décision, examinée par la voie de l’exception par le juge des référés est illégale (CE 19 juin 2015 Cne de Saint-Leu et a., req. n° 386291 – v. notre article sur cette décision) par les requérants, le juge des référés du TA de Bordeaux a finalement prononcé la suspension demandée le 24 octobre 2022 3)TA Bordeaux 24 octobre 2022, req. n° 2205114.

La commune de Mérignac et la SAS Stade Nautique Mérignac ont alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

Les auteurs du pourvoi en cassation soutenaient notamment que la demande de suspension était tardive par application des dispositions combinées des articles L. 600-3 et R. 600-5 du code de l’urbanisme.

Pour mémoire, l’article L. 600-3 prévoit en son premier alinéa qu’un « recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir ne peut être assorti d’une requête en référé suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort ».

Dans ce prolongement, l’article R. 600-5 précise que la cristallisation des moyens intervient en principe deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense produit dans l’instance par l’un quelconque des défendeurs 4)V. CE 6 octobre 2021, req. n° 445733 pour un exemple d’application combinée des articles L. 600-3 et R. 600-5 .

A cet égard, rappelons que le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA d’une demande tendant à la suspension d’un des actes mentionnés à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, de s’assurer, le cas-échéant d’office, que le délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir n’est pas expiré 5)CE 14 avril 2023 Mme G, req. n° 460040 (voir notre article sur cet arrêt).

Par la décision ici commentée le Conseil d’Etat s’est ainsi prononcé sur la nouvelle question de principe suivante : les dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme s’appliquent-elles au « référé étude d’impact » visé par l’article L. 122-2 du code de l’environnement ?

Dans ses conclusions, le rapporteur public M. Ranquet a souligné que l’élément déterminant permettant de répondre à cette question était l’intention du législateur.

Or, selon lui, il ne fait « guère de doute qu’en utilisant les termes “requête en référé suspension” au premier alinéa [de l’article L. 600-3], il n’a pas visé au sens étroit les seules requêtes présentées sur le seul fondement de l’article L. 521-1 du CJA, mais l’ensemble des référés tendant à une suspension, ce qui inclut le référé “étude d’impact” ».

Et le rapporteur public d’ajouter « nous ne partageons pas la thèse développée en défense, selon laquelle (…) l’intervention du jugement au principal constituerait un élément nouveau permettant d’ignorer la cristallisation (…) il faudrait pour cela que le moyen n’ait pas du tout pu être invoqué auparavant, ce qui n’est pas le cas ».

Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat rappelle qu’une demande de suspension n’est recevable que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort et ajoute que « la circonstance que, par un jugement avant-dire-droit, le juge ait constaté l’absence d’étude d’impact et accordé aux parties un délai pour régulariser ce vice est sans incidence sur le calcul de ce délai ».

En écartant la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de suspension de l’exécution du permis de construire litigieux, le juge des référés du TA de Bordeaux a commis une erreur de droit.

L’ordonnance du 24 octobre 2022 est donc annulée.

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References   [ + ]

1. TA Bordeaux 14 septembre 2022, req. n° 2005591
2. « Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d’approbation d’un projet visé au I de l’article L. 122-1 est fondée sur l’absence d’étude d’impact, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée » (L. 122-2 du code de l’environnement). Précisons à cet égard qu’il doit faire droit à la demande de suspension non seulement lorsque l’étude d’impact manquante est systématiquement exigée par la règlementation en vigueur mais également lorsqu’il a été décidé, à la suite d’un examen au cas par cas, de ne pas procéder à cette évaluation et qu’une telle décision, examinée par la voie de l’exception par le juge des référés est illégale (CE 19 juin 2015 Cne de Saint-Leu et a., req. n° 386291 – v. notre article sur cette décision
3. TA Bordeaux 24 octobre 2022, req. n° 2205114
4. V. CE 6 octobre 2021, req. n° 445733 pour un exemple d’application combinée des articles L. 600-3 et R. 600-5
5. CE 14 avril 2023 Mme G, req. n° 460040

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