Régularisation des autorisations d’urbanisme après un sursis à statuer : la seule évolution d’une règle d’urbanisme ne vaut pas régularisation en l’absence de délivrance d’une autorisation modificative

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2023

Temps de lecture

5 minutes

CE 4 mai 2023 Société Octogone, req. n° 464702 : publié au recueil Lebon

Le maire de la commune de Cépet (31) avait autorisé la société Octogone, par un permis de construire délivré le 21 décembre 2018 puis un permis modificatif du 28 juillet 2020, à construire un bâtiment à usage de 29 logements collectifs et de commerces et à démolir les bâtiments existants.

L’association « Cœur de Cépet », opposée à ce projet, a demandé l’annulation de ces permis.

Par un premier jugement du 16 février 2021, le tribunal administratif de Toulouse a sursis à statuer sur cette demande, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, et invité la société Octogone à régulariser, dans un délai de cinq mois, le vice tiré de la méconnaissance par le permis litigieux des dispositions de l’article UA 10 (relatives à la hauteur des constructions) du règlement du plan local d’urbanisme (PLU).

Par une délibération de la commune du 28 juin 2021, les dispositions de l’article UA 10 du règlement du plan local d’urbanisme méconnues par le projet ont été modifiées, de telle sorte que le projet respectait les règles de hauteur désormais applicables.

Cependant, estimant que la régularisation attendue n’était pas intervenue, le tribunal a finalement annulé les décisions contestées par un second jugement du 8 avril 2022.

C’est contre ce dernier que la société Octogone s’est pourvue en cassation.

Dans la continuité d’une jurisprudence particulièrement abondante depuis quelques années en matière de régularisation des autorisations d’urbanisme, le Conseil d’Etat se prononce, dans cet arrêt, sur la possibilité de considérer que la simple circonstance que le projet litigieux ne méconnaît plus les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme ayant conduit le juge a sursoir à statuer, nouvellement applicables, comme une mesure de régularisation.

Pour rappel, en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le juge administratif peut sursoir à statuer lorsqu’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité de l’acte contesté est susceptible d’être régularisé et fixe, à cet effet, un délai aux parties pour prendre une « mesure de régularisation » 1)« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ».

Dans la présente affaire, le Conseil d’Etat était donc amené à se prononcer sur la nature des mesures de régularisation admises à la suite d’un sursis à statuer.

Après avoir rappelé sa jurisprudence habituelle sur la possibilité de régulariser une illégalité entachant une autorisation initiale par la « délivrance d’une autorisation modificative » 2)Cf. point 3 de la décision : « dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce. Il en va de même dans le cas où le bénéficiaire de l’autorisation initiale notifie en temps utile au juge une décision individuelle de l’autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d’un jugement décidant, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur une demande tendant à l’annulation de l’autorisation initiale. […] ». , les juges du Palais Royal ont considéré que quand bien même en application des dispositions en vigueur à la date où le juge statue, le permis litigieux ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction, ne suffit pas à le régulariser et qu’une véritable « mesure de régularisation » est nécessaire :

« […] la seule circonstance que le vice dont est affectée l’autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer résulte de la méconnaissance d’une règle d’urbanisme qui n’est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d’annulation, après l’expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation, est insusceptible, par elle-même, d’entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande ».

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu juger que le tribunal administratif n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que si « les dispositions […] méconnues par le projet avaient été modifiées par une délibération de la commune du 28 juin 2021, de telle sorte que le projet respectait les règles de hauteur désormais applicables », « […] cette seule circonstance ne permettait pas de régulariser les permis de construire litigieux, en l’absence de mesure individuelle de régularisation prise par la commune de Cépet après la modification du plan local d’urbanisme […] » 3)Cf. point 4 de la décision..

Ainsi, la simple invocation d’une modification du document d’urbanisme à laquelle le projet est conforme, ne permet pas de le régulariser la situation sans la délivrance, par l’autorité compétente, d’une autorisation modificative.

A cet égard, il convient de préciser que dans une décision du 3 juin 2020 la même juridiction avait considéré que « S’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire [comme c’était le cas en l’espèce], le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction » 4)CE 3 juin 2020 Société Alexandra, req. n° 420736 (points 9 à 11 de la décision)..

Sur ce fondement, la cour administrative d’appel de Lyon avait alors exigé qu’une « mesure de régularisation portant expressément sur le vice relevé » soit prise, et ce, quand bien même le projet serait désormais conforme aux nouvelles dispositions du PLU 5)V. sur ce point le fichage de l’arrêt particulièrement clair « Une mesure de régularisation est toujours nécessaire, y compris lorsque la règle relative à l’utilisation du sol par l’autorisation initiale ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce (5) ou lorsque cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’une évolution des règles d’occupation du sol (3) » (CAA Lyon 13 décembre 2022, req. n° 22LY01624 – point 19)..

Enfin, on peut noter que dans une précédente affaire, le Conseil d’Etat avait amorcé une telle décision en considérant qu’un permis de construire modificatif pouvait être délivré simplement pour acter que le vice affectant le permis d’origine avait disparu 6)CE 26 juillet 2018, req. n° 411461 : « 2. Considérant que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; qu’il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entre temps modifiée […] »..

 

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References   [ + ]

1. « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »
2. Cf. point 3 de la décision : « dès lors que celle-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédée de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises. Elle peut, de même, être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce. Il en va de même dans le cas où le bénéficiaire de l’autorisation initiale notifie en temps utile au juge une décision individuelle de l’autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d’un jugement décidant, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur une demande tendant à l’annulation de l’autorisation initiale. […] ».
3. Cf. point 4 de la décision.
4. CE 3 juin 2020 Société Alexandra, req. n° 420736 (points 9 à 11 de la décision).
5. V. sur ce point le fichage de l’arrêt particulièrement clair « Une mesure de régularisation est toujours nécessaire, y compris lorsque la règle relative à l’utilisation du sol par l’autorisation initiale ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce (5) ou lorsque cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’une évolution des règles d’occupation du sol (3) » (CAA Lyon 13 décembre 2022, req. n° 22LY01624 – point 19).
6. CE 26 juillet 2018, req. n° 411461 : « 2. Considérant que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; qu’il peut, de même, être régularisé par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entre temps modifiée […] ».

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