Résiliation unilatérale d’un contrat public par une personne privée : l’exception administrative

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2016

Temps de lecture

3 minutes

CE 19 juillet 2016 centre hospitalier Andrée Rosemon, req. n° 399178 Le centre hospitalier Andrée Rosemon a confié à la société Schaerer Mayfield France la maintenance préventive et curative d’équipements de stérilisation par un marché conclu le 6 février 2015, et tacitement reconduit pour une durée d’un an le 5 février 2016. Le 9 mars 2016 la société Schaerer Mayfield France a décidé de rompre unilatéralement ce marché en le résiliant. Le motif avancé de cette résiliation tient à la défection de son sous-traitant aux Antilles, défection dont elle attribue la cause aux retards de paiement imputables au centre hospitalier. Le centre hospitalier a saisi le juge administratif sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative d’un référé dit « mesure utile » aux fins d’obtenir qu’il soit enjoint sous astreinte à la société de reprendre intégralement l’exécution des prestations du marché. Le tribunal a fait droit à cette demande, ce que la société a contesté par le biais d’un pourvoi en cassation. 1 – D’abord, le Conseil d’Etat se prononce sur l’interaction entre une telle demande d’injonction et les pouvoirs propres de l’administration, le principe voulant que l’administration ne puisse demander au juge de prononcer une mesure qu’elle peut prendre elle-même 1) CE 30 mai 1913 préfet Eure : Rec. CE 1913, p. 583. – CE 2 juillet 2007 commune de Lattes, req. n° 294393 : mentionné aux tables du Rec. CE. Cette question ne se pose évidemment pas lorsque c’est l’administration qui prononce la résiliation d’un contrat et que c’est le cocontractant qui sollicite le prononcé d’une injonction tendant à la reprise des relations contractuelles (CE 21 mars 2011 commune de Béziers, req. n° 304806 : publié au Rec. CE).. Le juge a déjà considéré que cette règle trouve exception lorsque la décision que l’administration pourrait prendre serait dépourvue d’efficacité. Tel est le cas d’un titre exécutoire à émettre à l’encontre d’une autre personne publique, puisque les voies d’exécution ne sont pas applicables à un tel débiteur. Dans cette mesure, la personne publique peut alors demander au juge la condamnation d’une autre personne publique au paiement d’une somme d’argent 2) CE 31 mai 2010 communauté d’agglomération Vichy Val d’Allier, req. n° 329483. Dans la même logique, le Conseil d’Etat considère que le juge peut prononcer une injonction de faire à l’encontre du cocontractant de l’administration quand celle-ci « ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle ». Dans le cadre d’un référé « mesure utile », le juge ajoute des conditions au prononcé d’une telle injonction liées au texte de l’article L. 521-3 du CJA, en exigeant alors que cette injonction soit justifiée par l’urgence, qu’elle présente un caractère utile, qu’elle ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et qu’elle ne se heurte à aucune contestation sérieuse. En l’espèce, la situation d’urgence apparait constituée puisque les stérilisateurs dont la maintenance doit être assurée par la société Schaerer Mayfield France sont un outil indispensable à la mission du service public hospitalier. Par ailleurs, le centre hospitalier a appliqué des pénalités à la société sans que cette mesure n’ait permis d’obtenir la reprise par la société de ses obligations contractuelles, et le juge constate que le centre hospitalier ne dispose d’aucun autre moyen de contrainte : elle présente donc un caractère d’utilité. 2 – Enfin, la Haute Juridiction analyse les conditions dans lesquelles cette résiliation unilatérale du cocontractant est intervenue pour exclure que l’injonction sollicitée se heurte à une contestation sérieuse. L’arrêt rappelle ainsi le considérant de principe de la jurisprudence « Grenke location » 3) CE 8 octobre 2014 Société Grenke location, req. n° 370644. aux termes duquel :

    « […] le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat ; qu’il est toutefois loisible aux parties de prévoir dans un contrat qui n’a pas pour objet l’exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles […] »

Or en l’espèce, le Conseil d’Etat considère que les termes du contrat ne prévoient pas la possibilité pour la société de résilier unilatéralement le contrat en cas de méconnaissance par la personne publique de ses obligations, la société s’étant prévalue de documents apparemment non signés et donc dépourvus de valeur contractuelle. En outre, la défaillance alléguée du sous-traitant ne constitue pas une situation de force majeure (les conditions d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité n’étant pas réunies, s’agissant d’une relation contractuelle propre du cocontractant de l’administration qui ne le désengage jamais de ses obligations). Le prononcé de l’injonction de reprise des relations contractuelles ne se heurte donc à aucune contestation sérieuse.

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References   [ + ]

1. CE 30 mai 1913 préfet Eure : Rec. CE 1913, p. 583. – CE 2 juillet 2007 commune de Lattes, req. n° 294393 : mentionné aux tables du Rec. CE. Cette question ne se pose évidemment pas lorsque c’est l’administration qui prononce la résiliation d’un contrat et que c’est le cocontractant qui sollicite le prononcé d’une injonction tendant à la reprise des relations contractuelles (CE 21 mars 2011 commune de Béziers, req. n° 304806 : publié au Rec. CE).
2. CE 31 mai 2010 communauté d’agglomération Vichy Val d’Allier, req. n° 329483
3. CE 8 octobre 2014 Société Grenke location, req. n° 370644.

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