Responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage dans le cadre de l’exécution d’un marché de travaux publics

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 26 septembre 2016 société Dumez Ile-de-France, req. n° 390515

Dans le cadre d’une opération de reconstruction d’un lycée, la région Ile-de-France a conclu une convention de mandat avec le département de Paris par laquelle elle lui a confié le rôle de maître d’ouvrage délégué. Le marché de travaux de cette opération de reconstruction a été attribué à la société Dumez Ile-de-France.

Cette société a tenté d’engager la responsabilité quasi-délictuelle du département de Paris en raison de fautes commises par ce dernier dans le cadre de l’exécution du marché.

Par un jugement du 28 juin 2013, le tribunal a fait droit partiellement à ces conclusions. Par un arrêt du 27 mars 2015, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement précité et a rejeté les demandes de la société Dumez Ile-de-France comme étant irrecevables ce qui a conduit cette dernière à se pourvoir en cassation.

1 Après avoir rappelé le cadre juridique de la convention de mandat en matière de maîtrise d’ouvrage 1) Article 5 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée :« Dans la limite du programme et de l’enveloppe financière prévisionnelle qu’il a arrêtés, le maître de l’ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention mentionnée à l’article 5, l’exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d’ouvrage :
1° Définition des conditions administratives et techniques selon lesquelles l’ouvrage sera étudié et exécuté ;
2° Préparation du choix du maître d’œuvre, signature du contrat de maîtrise d’œuvre, après approbation du choix du maître d’œuvre par le maître de l’ouvrage, et gestion du contrat de maîtrise d’œuvre ;
3° Approbation des avant-projets et accord sur le projet ;
4° Préparation du choix de l’entrepreneur, signature du contrat de travaux, après approbation du choix de l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage, et gestion du contrat de travaux ;
5° Versement de la rémunération de la mission de maîtrise d’œuvre et des travaux ;
6° Réception de l’ouvrage, et l’accomplissement de tous actes afférents aux attributions mentionnées ci-dessus.
Le mandataire n’est tenu envers le maître de l’ouvrage que de la bonne exécution des attributions dont il a personnellement été chargé par celui-ci.
Le mandataire représente le maître de l’ouvrage à l’égard des tiers dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées jusqu’à ce que le maître de l’ouvrage ait constaté l’achèvement de sa mission dans les conditions définies par la convention mentionnée à l’article 5. Il peut agir en justice ».
, le Conseil d’Etat rédige un considérant de principe livrant une grille d’analyse exhaustive de l’articulation des responsabilités entre le maître d’ouvrage, son mandataire et les constructeurs :

    « […] il appartient aux constructeurs, s’ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d’ouvrage dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire, y compris dans le cas où ce dernier a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu’il intervient au nom et pour le compte du maître d’ouvrage, et n’est pas lui-même partie à ces marchés ;que, le cas échéant, le maître d’ouvrage dont la responsabilité est susceptible d’être engagée à ce titre peut appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu’il a conclu avec lui ;que la responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage à l’égard des constructeurs, qui ne peut jamais être mis en cause sur le terrain contractuel, ne peut l’être, sur le terrain quasi-délictuel, que dans l’hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d’ouvrage et son mandataire ; qu’en revanche, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l’inexécution de ce contrat » 2) En ce sens, conclusions B. Dacosta sur CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917 : « Le seul cas particulier concerne le maître d’ouvrage délégué : les constructeurs peuvent recherche la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage pour les fautes commises par son mandataire, quitte à ce que le maître d’ouvrage se retourne ensuite contre le maître d’ouvrage délégué (cf. CE, 7 juin 2010, commune de Mantes-la-Jolie, T. : « un maître d’ouvrage délégué doit, dans l’exercice de sa mission définie par la convention de mandat qui le lie au maître d’ouvrage, accomplir les diligences que son mandant est en droit d’attendre d’un professionnel ayant accepté cette mission ») »..

Il convient de relever les trois apports majeurs de cette décision :

    ► D’une part, pour la réparation des fautes du mandataire du maître d’ouvrage dans l’exercice des missions confiées par la convention de mandat, les constructeurs ont pour seule possibilité d’engager une action à l’encontre du maître d’ouvrage, dès lors que le mandataire signe les marchés de travaux au nom et pour le compte du maître d’ouvrage ;
    ► D’autre part, si la responsabilité du maître d’ouvrage est engagée dans les conditions décrites au premier point ci-dessus, c’est seulement la voie de l’appel en garantie qui est ouverte au maître d’ouvrage à l’encontre de son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qui les lie ;
    ► Enfin, les constructeurs ne peuvent jamais engager la responsabilité contractuelle du mandataire. Ils pourront se fonder sur la responsabilité quasi-délictuelle seulement si les fautes du mandataire invoquées ont été commises en dehors du champ du contrat de mandat et, en aucun cas, pour des fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l’inexécution du contrat de mandat.

La cour administrative d’appel de Paris a donc commis une erreur de droit en estimant que la société Dumez n’aurait pu engager que la responsabilité contractuelle du département de Paris, alors que celui-ci n’a signé le marché qu’au nom et pour le compte de la région Ile-de-France : aucun contrat ne lie le département de Paris, mandataire « transparent » de la région, et la société Dumez.

De manière récente, le Conseil d’Etat a, par ailleurs, précisé, de façon exhaustive, les conditions dans lesquelles des difficultés d’exécution peuvent ouvrir droit à indemnisation dans le cadre d’un marché à forfait :

    « les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics » 3) CE 12 novembre 2015 société Tonin, req. n° 384716. Voir en ce sens également : CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917 : « les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure ou celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique »..

De la sorte, le Conseil d’Etat a jugé qu’il appartient aux constructeurs d’engager une action directe sur le terrain quasi-délictuel contre les intervenants auxquels ils imputent une faute pour éviter que le maître d’ouvrage ne soit « tenu de jouer par principe le rôle de guichet unique » 4) Conclusions B. Dacosta sur CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917..

Ainsi, cette règle vaut pour tous les autres intervenants à l’opération de travaux (les maîtres d’œuvre, les architectes, les bureaux d’étude, les constructeurs, etc.), à l’exception du mandataire, qui est « transparent » et donc assimilé au maître d’ouvrage.

La Haute Juridiction renvoie l’affaire devant la cour administrative de Paris. Affaire à suivre !

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1. Article 5 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée :« Dans la limite du programme et de l’enveloppe financière prévisionnelle qu’il a arrêtés, le maître de l’ouvrage peut confier à un mandataire, dans les conditions définies par la convention mentionnée à l’article 5, l’exercice, en son nom et pour son compte, de tout ou partie des attributions suivantes de la maîtrise d’ouvrage :
1° Définition des conditions administratives et techniques selon lesquelles l’ouvrage sera étudié et exécuté ;
2° Préparation du choix du maître d’œuvre, signature du contrat de maîtrise d’œuvre, après approbation du choix du maître d’œuvre par le maître de l’ouvrage, et gestion du contrat de maîtrise d’œuvre ;
3° Approbation des avant-projets et accord sur le projet ;
4° Préparation du choix de l’entrepreneur, signature du contrat de travaux, après approbation du choix de l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage, et gestion du contrat de travaux ;
5° Versement de la rémunération de la mission de maîtrise d’œuvre et des travaux ;
6° Réception de l’ouvrage, et l’accomplissement de tous actes afférents aux attributions mentionnées ci-dessus.
Le mandataire n’est tenu envers le maître de l’ouvrage que de la bonne exécution des attributions dont il a personnellement été chargé par celui-ci.
Le mandataire représente le maître de l’ouvrage à l’égard des tiers dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées jusqu’à ce que le maître de l’ouvrage ait constaté l’achèvement de sa mission dans les conditions définies par la convention mentionnée à l’article 5. Il peut agir en justice ».
2. En ce sens, conclusions B. Dacosta sur CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917 : « Le seul cas particulier concerne le maître d’ouvrage délégué : les constructeurs peuvent recherche la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage pour les fautes commises par son mandataire, quitte à ce que le maître d’ouvrage se retourne ensuite contre le maître d’ouvrage délégué (cf. CE, 7 juin 2010, commune de Mantes-la-Jolie, T. : « un maître d’ouvrage délégué doit, dans l’exercice de sa mission définie par la convention de mandat qui le lie au maître d’ouvrage, accomplir les diligences que son mandant est en droit d’attendre d’un professionnel ayant accepté cette mission ») ».
3. CE 12 novembre 2015 société Tonin, req. n° 384716. Voir en ce sens également : CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917 : « les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure ou celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique ».
4. Conclusions B. Dacosta sur CE 5 juin 2013 Région Haute-Normandie, req. n° 352917.

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