Responsabilité quasi-contractuelle : inutilité des dépenses « surfacturées » à la personne publique

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2016

Temps de lecture

6 minutes

CAA Bordeaux 4 février 2016 Commune de Goyave, req. n° 14BX01313

Sans avoir jamais fait précéder ses achats d’une procédure de publicité et de mise en concurrence et avoir conclu formellement un marché ni, au surplus, sans y avoir été autorisé par le conseil municipal, le maire de la commune de Goyave a commandé diverses fournitures à la société Pointe-à-Pitre Distribution entre mai et septembre 2006 et ce, pour plus de 550 000 euros TTC. Le maire s’est en effet borné à donner son accord sur des bons de commande et des attestations récapitulant les factures à payer.

Cependant, si trois factures ont été payées pour un montant total de 68 200 euros, la nouvelle municipalité a ensuite refusé de régler les factures restantes de la société à hauteur de 485 000 euros TTC.

Le tribunal administratif de la Guadeloupe a réglé le litige sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, et a condamné la commune à verser la somme de 364 057,84 euros TTC 1) L’indemnisation au titre des dépenses utiles est soumise à la TVA (Conseil d’état 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt, req. n° 281796, publié au Rec. CE) à l’entreprise en indemnisation des dépenses exposées par celle-ci et qui ont été utiles à la commune.

La commune de Goyave a relevé appel de ce jugement et, par la voie de l’appel incident, la société a demandé la réformation du jugement en ce qu’il n’a pas fait droit à l’intégralité de ses demandes indemnitaires.

A titre liminaire, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle l’office du juge saisi, par les parties, d’un litige relatif à l’exécution du contrat tel que défini par la décision dite Commune de Béziers du 28 décembre 2009 du Conseil d’Etat 2) Reprenant les solutions des arrêts CE Assemblée 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802, publié au Rec. CE et CE 12 janvier 2011 M. Manoukian, req. n° 338551, Publié au Rec. CE : la Cour considère qu’« il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat».

Dans le cas d’espèce, la cour considère d’abord qu’en dépit de l’absence de toute autre formalité, la signature apposée par le maire sur les bons de commande et les attestations de factures à payer suffisent à caractériser la conclusion de contrats entre la collectivité et son fournisseur.

Elle considère ensuite néanmoins que ces contrats sont entachés d’illégalités suffisamment graves pour que, malgré l’exigence de loyauté des relations contractuelles, le litige puisse être réglé sur un fondement contractuel.

En effet, les fournitures sont intervenues sans aucune mesure préalable de publicité et de mise en concurrence, « elles ont été facturées à des prix manifestement excessifs » et, enfin, « le maire a conclu les contrats sans aucun aval du conseil municipal » en méconnaissance des articles L. 2121-29 et L. 2122-21-6° du code général des collectivités territoriales dans leur rédaction alors applicable 3) Sur la faute du maire : CE 13 octobre 2004 Commune de Montélimar, req. n° 254007 : Rec. CE p. 369 ; BJCP 2005/38, p. 42, concl. Casas : « Considérant qu’il résulte de ces dernières dispositions que le maire ne peut valablement souscrire un marché au nom de la commune sans y avoir été préalablement autorisé par une délibération expresse du conseil municipal ;que ce dernier ne peut davantage, en dehors des cas limitativement énumérés à l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, déléguer au maire le pouvoir qui lui appartient exclusivement de décider d’obliger la commune ; qu’ainsi, lorsqu’il entend autoriser le maire à souscrire un marché, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment l’objet précis de celui-ci, tel qu’il ressort des pièces constitutives du marché, mais aussi son montant exact et l’identité de son attributaire »..

La cour en déduit que : « Dès lors, compte tenu de la gravité de l’illégalité commise et des circonstances dans lesquelles le maire a opéré, qui faisaient obstacle à ce que l’assemblée délibérante se prononce en toute connaissance de cause sur ces livraisons à un coût déraisonnable pour n’importe quel consommateur averti, le litige ne peut pas être réglé sur le terrain contractuel et la société ne saurait se prévaloir de l’exigence de loyauté des relations contractuelles ».

Elle est, en conséquence, conduite à se placer sur les terrains quasi-délictuel et quasi-contractuel pour se prononcer sur l’éventuelle responsabilité de la commune.

S’agissant de la responsabilité quasi-contractuelle, la cour rappelle que : « Le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ».

Au cas d’espèce, la cour rejette la demande faite à ce titre en considérant que : « En raison même de la surfacturation des marchandises en litige, disponibles sur le marché à des prix très inférieurs à ceux sur lesquels le maire de Goyave a marqué son accord, les achats décidés par ce dernier ne peuvent pas être regardés, dans ces conditions, comme ayant été utiles à la commune ».

On peut s’étonner de cette solution, le juge devant en principe évaluer l’utilité pour la personne publique des prestations faites ; au cas présent, il aurait sans doute dû accorder une indemnité mais en s’en tenant alors au coût de revient des fournitures.

Sur le terrain quasi-délictuel ensuite, la Cour rappelle que, si la nullité du marché résulte de la faute de l’administration, le titulaire peut prétendre à la réparation de son dommage résultant de cette faute, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes. Cependant, elle ajoute que : « si le cocontractant a lui-même commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d’un marché dont, compte-tenu de son expérience, il ne pouvait ignorer l’illégalité, et que cette faute constitue la cause directe de la perte du bénéfice attendu du contrat, il n’est pas fondé à demander l’indemnisation de ce préjudice» 4) Voir par exemple : CE Section 10 avril 2008 Société Decaux, req. n° 244950, publié au Rec. CE – CE 18 novembre 2011, Communauté de commune de Verdun, req. n° 342642, publié au Rec. CE .

Au cas d’espèce, la cour considère que, si le maire de la commune a effectivement commis une faute, la société « a elle-même commis une faute en se prêtant volontairement à la conclusion de contrats dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l’illégalité » et a « délibérément collaboré aux conditions illégales de passation du marché » ; elle en déduit que sa faute « constitue la cause directe de son préjudice » et écarte toute indemnisation sur ce fondement.

Enfin, relevant que la société fait néanmoins valoir « qu’il n’en demeure pas moins que les fournitures en litige ont toutes été livrées et consommées par la collectivité et que ses dépenses ainsi exposées à la suite des livraisons en litige ouvrent donc un droit à indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause », la cour rejette cette demande aux motifs que la commune a déjà réglé à la société diverses sommes et que cette dernière ne justifie pas sa demande au regard des prix qu’elle aurait dû pratiquer dans le cadre de relations commerciales loyales avec la commune de Goyave en fonction des prix du marché. Elle considère en effet que : « Dans ces conditions, et eu égard à l’avantage retiré par la société des achats déjà acquittés par la commune et ayant également donné lieu à une surfacturation, il n’y a pas lieu d’accorder à la société une quelconque somme au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité ».

On peut s’étonner là encore de cette solution, qui paraît traiter l’enrichissement sans cause comme un troisième fondement de responsabilité alors que la responsabilité encourue à ce titre est tout simplement la responsabilité quasi-contractuelle.

Au final, la cour a annulé le jugement de première instance et rejeté l’ensemble des demandes de l’entreprise titulaire du marché.

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References   [ + ]

1. L’indemnisation au titre des dépenses utiles est soumise à la TVA (Conseil d’état 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt, req. n° 281796, publié au Rec. CE
2. Reprenant les solutions des arrêts CE Assemblée 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802, publié au Rec. CE et CE 12 janvier 2011 M. Manoukian, req. n° 338551, Publié au Rec. CE : la Cour considère qu’« il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat»
3. Sur la faute du maire : CE 13 octobre 2004 Commune de Montélimar, req. n° 254007 : Rec. CE p. 369 ; BJCP 2005/38, p. 42, concl. Casas : « Considérant qu’il résulte de ces dernières dispositions que le maire ne peut valablement souscrire un marché au nom de la commune sans y avoir été préalablement autorisé par une délibération expresse du conseil municipal ;que ce dernier ne peut davantage, en dehors des cas limitativement énumérés à l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, déléguer au maire le pouvoir qui lui appartient exclusivement de décider d’obliger la commune ; qu’ainsi, lorsqu’il entend autoriser le maire à souscrire un marché, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment l’objet précis de celui-ci, tel qu’il ressort des pièces constitutives du marché, mais aussi son montant exact et l’identité de son attributaire ».
4. Voir par exemple : CE Section 10 avril 2008 Société Decaux, req. n° 244950, publié au Rec. CE – CE 18 novembre 2011, Communauté de commune de Verdun, req. n° 342642, publié au Rec. CE

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