Retour sur la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire

Catégorie

Droit administratif général

Date

January 2022

Temps de lecture

8 minutes

Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire

Près de huit mois après le dépôt du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire auprès de l’Assemblée nationale, le 14 avril 2021, celle-ci a été définitivement adoptée le 18 novembre 2021, et promulguée au Journal officiel du 23 décembre 2021.

Préalablement à cette promulgation, le Premier ministre avait déféré la loi adoptée au Conseil constitutionnel, sans invoquer aucun grief à son encontre. Compte tenu de cette « saisine blanche », et malgré les 7 contributions extérieures produites, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution ladite loi (Cons. const. 17 décembre 2021, n° 2021-830 DC) uniquement en ce qui concerne sa procédure d’adoption, sans s’être prononcé sur la conformité au fond des dispositions qu’elle contient, ouvrant ainsi la voie à d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité à leur encontre (cf. sur ce point M. Guillaume, Le traitement des saisines parlementaires par le Conseil constitutionnel depuis la QPC, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 48, juin 2015, p. 127 à 142).

Si cette loi concerne pour l’essentiel la matière pénale et notamment criminelle, elle porte également sur des points plus transversaux abordés ci-après.

1          Enregistrement et diffusion des audiences

Par dérogation à l’interdiction de principe posée par l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’article 1er de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire introduit un article 38 quater prévoyant un régime d’autorisation de l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience, judiciaire ou administrative, pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion.

L’autorisation est délivrée, après avis du ministre de la justice, par le président de la juridiction concernée.

L’enregistrement sera également soumis à l’accord des parties lorsque l’audience n’est pas publique, et en toute hypothèse, à l’accord de certaines parties particulières (majeurs protégés, mineurs).

En ce qui concerne la diffusion, elle ne sera possible qu’après que l’affaire aura été définitivement jugée et devra être réalisée dans des conditions ne portant atteinte ni à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence.

Cette diffusion devra occulter par principe les images et autres éléments d’identification des personnes enregistrées, sauf à ce qu’elles y consentent par écrit avant la tenue de l’audience.

Cette diffusion pourra être réalisée le jour même en ce qui concerne les audiences publiques devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, après recueil de l’avis des parties, sur décision de l’autorité compétente au sein de la juridiction.

Les modalités d’application de ces nouvelles dispositions seront précisées par décret en Conseil d’Etat.

2          Les nouveautés en matière de médiation

  • Médiation préalable obligatoire en matière administrative

Alors que le projet de loi n’envisageait qu’une prorogation de la mesure d’expérimentation engagée par l’article 5 de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et précisé par le décret n° 2018-101 du 16 février 2018, la loi définitivement adoptée consacre le mécanisme d’organisation d’une médiation obligatoire préalable.

Dans le cadre de l’expérimentation, étaient concernés certains contentieux déterminés (fonction publique, contentieux sociaux : cf. art. 1 et 2 du décret n° 2018-101).

Cette pérennisation a été adoptée à la faveur d’un amendement déposé par le gouvernement au cours des débats devant le Sénat, au motif que l’évaluation de l’expérimentation avait été finalisée depuis le dépôt du projet de loi, et que les effets positifs de ce mécanisme justifiaient sa reconduction de manière définitive.

Le code de justice administrative se voit ainsi ajouter une nouvelle section par l’article 27 de la loi imposant une tentative de médiation préalable obligatoire (articles L. 213-11 et s., CJA), à peine d’irrecevabilité du recours.

Elle concernera certains recours formés contre les décisions individuelles relatifs à la situation de personnes physiques, dont la liste sera déterminée par décret en Conseil d’Etat.

Dans l’exposé de l’amendement, le gouvernement vise toutefois comme possibilité le contentieux de la « fonction publique de l’Etat, pour des ministères à déterminer en plus de celui de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, prêt à la généralisation, et pour les décisions de Pôle emploi ».

Les délais de recours et de prescription seront interrompus et suspendus à compter de la saisine du médiateur, et reprendront à compter de la date à laquelle soit l’une des parties, soit les deux, soit le médiateur déclarent, de façon non équivoque et par tout moyen permettant d’en attester la connaissance par l’ensemble des parties, que la médiation est terminée.

Les effets de la saisine du Défenseur des droits fondée sur l’article 26 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits seront identiques en termes d’interruption et suspension des délais.

Le coût de la médiation obligatoire sera supporté par l’administration qui a pris la décision attaquée.

Si les dispositions législatives sont entrées en vigueur dès le 24 décembre 2021, la mise en œuvre de la médiation préalable obligatoire nécessitera d’attendre la publication du décret listant les contentieux considérés, et d’éventuelles autres modalités pratiques.

  • Médiation par les centres de gestion de la fonction publique territoriale

L’article 27 de la loi permet aux centres de gestion d’assurer par voie de convention, à la demande des collectivités et leurs établissements, une mission de médiation préalable obligatoire, une mission de médiation à l’initiative du juge ou à l’initiative des parties, à un niveau régional ou interrégional.

Lorsqu’elle est à l’initiative du juge ou des parties, elle ne peut porter sur des avis ou décisions des instances paritaires, médicales, de jurys ou de toute autre instance collégiale administrative obligatoirement saisie ayant vocation à adopter des avis ou des décisions.

  • Médiation préalable obligatoire en matière de trouble anormal de voisinage

L’article 46 de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire soumet désormais, à peine d’irrecevabilité de la saisine du tribunal judiciaire, à une tentative de conciliation ou de médiation les demandes relatives à un trouble anormal de voisinage.

  • Caractère de titre exécutoire des transactions contresignées par les avocats

L’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est modifié par l’article 44 en ce que, désormais, constituent des titres exécutoires les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

Ainsi que l’indique l’étude d’impact du projet de loi, cette modification ne concerne que la procédure civile (Etude d’impact, p. 374).

Les modalités de saisine du greffe ne sont pas précisées par les dispositions législatives. Le Conseil National des Barreaux précise cependant que celles-ci seront définies par décret.

  • Installation d’un Conseil national de la médiation

Celui-ci, placé auprès du ministre de la justice, sera chargé selon l’article 45 de la loi de :

  • rendre des avis dans le domaine de la médiation et proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer ;
  • proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation ;
  • proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs et faire toute recommandation sur la formation ;
  • émettre des propositions sur les conditions d’inscription des médiateurs.

Son organisation, ses moyens, modalités de fonctionnement et de composition seront fixés par décret en Conseil d’Etat.

Il convient de noter que les dispositions créant ce nouveau Conseil sont ajoutées au sein du titre II de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et la procédure civile, pénale et administrative, lequel concerne uniquement les « dispositions de procédure civile ».

3          Pouvoir du juge administratif en matière de droit au logement et d’hébergement opposable

En application des dispositions de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation, les demandeurs reconnus par la commission de médiation comme prioritaires et devant être logés ou accueillis d’urgence, sans que cette décision n’ait été suivie d’effet, peuvent saisir le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne d’une demande tendant à ce qu’il soit ordonné son logement/hébergement.

Les dispositions de l’article 29 de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ajoutent la possibilité pour les magistrats compétents de l’enjoindre par simple ordonnance lorsqu’il est manifeste, au vu de la situation du demandeur, que le logement ou l’hébergement doit être ordonné, après avoir mis le représentant de l’Etat en mesure de présenter ses observations en défense et clôturé l’instruction.

4          Possibilité de produire des justificatifs des sommes demandées au titre des frais irrépétibles

Tant en ce qui concerne les règles applicables devant les juridictions civiles, pénales et administratives, l’article 48 de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire modifie les codes correspondants, et donc notamment l’article L. 761-1 du code de justice administrative, pour permettre aux parties de produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent, sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques concernant le secret professionnel entre l’avocat et son client.

5          Secret professionnel de l’avocat

L’article 3 de la loi réaffirme le principe du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu par l’article 66-5 précité, et prévoit certains particularismes en conséquence.

D’abord, les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile devront, à compter du 1er mars 2022, être autorisée par décision écrite et motivée du juge des libertés et de la détention (JLD), en justifiant notamment de son objet et de sa proportionnalité au regard de la nature et la gravité des faits. Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe.

Le magistrat menant la perquisition devra veiller à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel précédemment visé ne soit saisi et placé sous scellé.

La décision du JLD d’ordonner le versement d’une pièce saisie à propos de laquelle le bâtonnier ou son déléguée s’était opposé en estimant que cette saisie était irrégulière pourra faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de 24 heures, par le Procureur, l’avocat, le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l’instruction qui statuera dans les 5 jours qui suivent la saisine.

Lorsque la perquisition est menée en dehors du cabinet d’un avocat ou de son domicile, la personne chez qui il est procédé aux opérations peut s’opposer à la saisie d’un document protégé par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. La procédure portant sur l’analyse de la possibilité de saisir la pièce sera alors identique à celle qui est prévue par l’article 56-1 du code de procédure pénale, c’est-à-dire concernant les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile.

Ensuite, les réquisitions portant sur des données de connexion émises par un avocat et liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques, qu’il s’agisse de données de trafic ou de données de localisation, ne peuvent être faites que sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, laquelle doit faire état des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe. Le bâtonnier de l’ordre des avocats compétent devra alors en être avisé.

Enfin, le secret professionnel du conseil ne sera désormais plus opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsqu’elles portent sur certaines infractions en matière de fraude fiscale, de corruption, ou de blanchiments de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions.

6          Discipline des avocats

En dernier lieu, l’article 42 de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire modifie les règles en matière de contentieux disciplinaire des avocats prévues par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Toute réclamation formulée à l’encontre d’un avocat pourra désormais faire l’objet d’une conciliation, sous l’autorité du bâtonnier, lorsque la nature et la réclamation le permet, sous réserve des réclamations abusives ou manifestement mal fondées.

En cas d’échec de cette conciliation, l’auteur disposera alors de la possibilité de saisir le procureur général près la cour d’appel compétent, ou directement le conseil de discipline désormais qualifié de « juridiction disciplinaire ».

Sur demande expresse du réclamant ou de l’avocat mis en cause, la juridiction pourra être présidée par un magistrat du siège, désigné par le premier président. Les membres de cette juridiction pourront également faire l’objet de demandes de récusation dans les conditions prévues à l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire, tout comme ils pourront être remplacés, de leur propre initiative, dans les conditions de l’article L. 111-7 du même code.

Le président de la juridiction pourra rejeter les réclamations irrecevables, manifestement infondées ou qui ne sont pas assorties des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

Enfin, les décisions de l’instance disciplinaire pourront faire l’objet d’un appel devant la cour d’appel, dont la formation de jugement ne sera plus exclusivement composée de magistrats, mais de 3 magistrats du siège, dont un la présidera, ainsi que de deux membres des conseils de l’ordre du ressort de la cour d’appel considérée.

 

 

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