Sous-traitant non déclaré : absence de droit au paiement direct et partage de responsabilités

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 2 décembre 2019 Département du Nord, req. n° 422307 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Le département du Nord a conclu le 2 mars 2007 avec un groupement constitué notamment de la société SES un marché à bons de commandes portant sur la réalisation de travaux de signalisation sur les routes du département. Par un acte spécial notifié le même jour à la société Ysenbaert, le département du Nord a accepté cette dernière comme sous-traitante de la société SES et a agréé ses conditions de paiement direct dans la limite d’un plafond annuel fixé à 107 640 euros TTC.

La société SES ayant été placée en liquidation judiciaire en 2011, en 2012, la société Ysenbaert a demandé au département du Nord le versement de la somme de 128 520,19 euros, au titre des prestations réalisées entre le 27 janvier et le 28 avril 2011. Le département a refusé de faire droit à cette demande, décision que la société Ysenbaert a contesté devant le juge administratif. Si le tribunal a rejeté sa demande, la cour y a au contraire fait droit mais seulement partiellement.

Le Conseil d’Etat confirme l’approche de la cour.

D’abord, le droit au paiement direct ne vaut effectivement qu’à condition que le sous-traitant ait été agrée et ses conditions de paiement acceptées par le maître d’ouvrage, et à hauteur du seul montant indiqué par l’acte spécial de sous-traitance 1)CAA Nantes 30 mars 2018 société Constructions B. Fournigault c/ SMIRGEOMES, req. n° 17NT00772.. Le sous-traitant ne peut donc prétendre au paiement direct que des seules prestations exécutées avec l’agrément du maître d’ouvrage 2)CAA Nancy 20 février 2018 Société HSOLS, req. n° 16NC01473.

Toutefois, il est constant que le maitre d’ouvrage qui a connaissance de l’intervention d’un sous-traitant non déclaré dans la réalisation de prestations est tenu de mettre en demeure l’entrepreneur principal de régulariser la situation en présentant son sous-traitant et en faisant agréer ses conditions de paiement pour lui ouvrir droit au paiement direct 3)Article 14-1 de la loi n° 1975-1334 relative à la sous-traitance, dans sa version applicable à l’époque des faits de l’espèce : « Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations. Ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et privés »

A noter que l’obligation faite par l’article 14-1 de la loi n° 1975-1334 au maître d’ouvrage de mettre en demeure l’entrepreneur principal de régulariser une situation de sous-traitance irrégulière dont il a connaissance n’est pas reprise par le code de la commande publique. Or, désormais, le titre III de la loi n° 1975-1334 ne s’applique plus en principe aux contrats relevant du code de la commande publique. Reste que le texte de l’article 14-1 est resté inchangé et indique toujours s’appliquer aux marchés privés comme publics.. Si cette mise en demeure reste sans effet, il incombe encore au maître d’ouvrage d’engager toute mesure susceptible d’aboutir concrètement à la régularisation du sous-traitant 4)Cette obligation forte faite au maître d’ouvrage est déjà affirmée par le juge judiciaire, qui exige que le maître d’ouvrage adopte une attitude efficace face à l’entrepreneur récalcitrant : (Ccass 21 novembre 2012, pourvoi n°11-25101) .

A défaut, le maître d’ouvrage engage sa responsabilité délictuelle envers le sous-traitant qui ne parvient pas à obtenir le paiement de ses prestations auprès de l’entrepreneur principal, ce que rappelle clairement le Conseil d’Etat :

« il incombe au maître d’ouvrage, lorsqu’il a connaissance de l’exécution, par le sous-traitant, de prestations excédant celles prévues par l’acte spécial et conduisant au dépassement du montant maximum des sommes à lui verser par paiement direct, de mettre en demeure le titulaire du marché ou le sous-traitant de prendre toute mesure utile pour mettre fin à cette situation ou pour la régulariser, à charge pour le titulaire du marché, le cas échéant, de solliciter la modification de l’exemplaire unique ou du certificat de cessibilité et celle de l’acte spécial afin de tenir compte d’une nouvelle répartition des prestations avec le sous-traitant. »

Cependant, la responsabilité délictuelle du maître d’ouvrage ne sera pas engagée pour l’intégralité du montant des prestations réalisées par le sous-traitant sans qu’un droit à paiement direct n’ait été ouvert.

En effet, le juge partage la responsabilité du préjudice subi par le sous-traitant en tenant aussi compte des attitudes fautives :

  • de l’entrepreneur principal d’une part, à qui il revient en premier lieu de déclarer son sous-traitant à hauteur du montant des prestations dont il lui confie l’exécution,
  • et du sous-traitant lui-même d’autre part, à qui il appartient de faire preuve de vigilance et ainsi ne pas exécuter des prestations sans s’être assuré préalablement d’avoir été déclaré auprès du maître d’ouvrage pour le montant des prestations qu’il s’apprête à réaliser.

Le Conseil d’Etat confirme ainsi le partage de responsabilité opéré par la cour, qui n’a condamné le maître d’ouvrage qu’au versement de la somme de 42 164,83 EUR sur les 128 520,19 EUR sollicités par la société Ysaenbert.

Si l’engagement de la responsabilité délictuelle du maître d’ouvrage envers le sous-traitant reste un palliatif intéressant à défaut de déclaration respectant les dispositions relatives à la sous-traitance, la protection pleine et entière du droit au paiement direct du sous-traitant exige que celui-ci n’exécute aucune prestation qui ne s’inscrirait pas dans le cadre d’un acte spécial de sous-traitance.

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References   [ + ]

1. CAA Nantes 30 mars 2018 société Constructions B. Fournigault c/ SMIRGEOMES, req. n° 17NT00772.
2. CAA Nancy 20 février 2018 Société HSOLS, req. n° 16NC01473
3. Article 14-1 de la loi n° 1975-1334 relative à la sous-traitance, dans sa version applicable à l’époque des faits de l’espèce : « Pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3 ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ces obligations. Ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et privés »

A noter que l’obligation faite par l’article 14-1 de la loi n° 1975-1334 au maître d’ouvrage de mettre en demeure l’entrepreneur principal de régulariser une situation de sous-traitance irrégulière dont il a connaissance n’est pas reprise par le code de la commande publique. Or, désormais, le titre III de la loi n° 1975-1334 ne s’applique plus en principe aux contrats relevant du code de la commande publique. Reste que le texte de l’article 14-1 est resté inchangé et indique toujours s’appliquer aux marchés privés comme publics.

4. Cette obligation forte faite au maître d’ouvrage est déjà affirmée par le juge judiciaire, qui exige que le maître d’ouvrage adopte une attitude efficace face à l’entrepreneur récalcitrant : (Ccass 21 novembre 2012, pourvoi n°11-25101)

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