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TC 7 octobre 2024 Syndicat des copropriétaires de la résidence Saint-Georges Astorg, req. n° C4319
Par une décision du 7 octobre 2024, le Tribunal des conflits confirme que des biens appartenant à une personne publique dans un immeuble soumis au régime de la copropriété ne peuvent appartenir au domaine public, ni ne peuvent être qualifiés d’ouvrage public, ce même s’ils sont affectés au besoin du service public ou à l’usage du public. Dès lors, les travaux réalisés par une personne publique sur un ouvrage soumis au régime de la copropriété ne peuvent pas engendrer des dommages de travaux publics. Par conséquent, seul le juge judiciaire est compétent pour connaître de ces dommages.
La société Delpech Astorg est propriétaire de locaux, soumis au régime de la copropriété. Ces locaux sont situés sous une dalle-terrasse, grevée d’une servitude de passage public et faisant partie des parties communes de la copropriété, réalisée par la commune de Toulouse en qualité de maître d’ouvrage délégué. En 1995, le syndicat des copropriétaires de la résidence Saint-Georges Astorg a autorisé la commune à réaménager ladite dalle-terrasse.
Suite à l’apparition de divers désordres en 1998, puis en 2014, les sociétés Delpech Astorg et Hôtel des ventes Saint-Georges ont, le 17 août 2014, fait assigner le syndicat des copropriétaires devant le tribunal de grande instance de Toulouse afin d’obtenir réparation du préjudice subi et la réalisation de travaux de reprise.
Par ordonnance du 12 juillet 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse s’est déclaré incompétent pour connaître des appels en cause formés par le syndicat des copropriétaires à l’égard des sociétés à l’origine des travaux. Puis, saisi par requêtes successives entre le 29 janvier 2019 et le 22 juillet 2020, le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 23 mai 2024, a renvoyé au Tribunal des conflits la question de compétence s’agissant des conclusions dirigées à l’encontre desdites sociétés.
En réaffirmant l’incompatibilité entre le régime de la copropriété tel que fixé par la loi du 10 juillet 1965 et la domanialité publique (1), le Tribunal des conflits écarte également la qualification d’ouvrage public pour les biens concernés, de sorte que les dommages qui trouveraient leur source dans l’aménagement ou l’entretien des locaux ne sont pas des dommages de travaux publics, justifiant la compétence du juge judiciaire (2).
1 Réaffirmation de l’incompatibilité entre le régime de la copropriété et la domanialité publique
Le Tribunal des conflits rappelle l’incompatibilité entre le régime de la copropriété tel qu’il est fixé par la loi du 10 juillet 1965 et la domanialité publique. L’opposition entre les deux notions s’explique par le régime exorbitant du droit commun auquel est soumis la domanialité publique, notamment les principes d’indisponibilité et d’inaliénabilité (article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques). Ainsi, le droit de la domanialité publique exclut en principe tout démembrement de la propriété.
Ce caractère exclusif de la propriété du domaine public se rencontre sous des manifestations multiples : exclusion de la constitution de servitudes ou de droits réels sur le domaine public, sauf dispositions législatives spéciales ; incompatibilité de la domanialité publique avec le régime de la copropriété prévu par la loi du 10 juillet 1965 1)CE 11 février 1994 Compagnie d’assurances Préservatrice foncière req n° 109564.
Les biens en copropriété seront donc supposés relever du domaine privé 2)CE 23 janvier 2020 Commune de Bussy-Saint-Georges, req. n°430192. En ce sens, le Tribunal relève en l’espèce qu’avant la cession au syndicat des copropriétaires, la dalle-terrasse litigieuse ne faisait ni l’objet d’une affectation au service public ou à l’usage du public, ni ne relevait du domaine public. Par conséquent, puisque le régime de protection du domaine public ne trouvait à s’appliquer, la dalle-terrasse a pu rejoindre régulièrement la copropriété de la résidence Saint-Georges Astorg.
Le Tribunal des conflits, comme la Cour de cassation auparavant 3)Cass. Civ. 1ère 25 février 2009 Commune de Sospel req. n° 07-15.772, confirme ainsi la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle un bien ne peut relever du domaine public que s’il appartient « dans sa totalité » à la personne publique 4)CE 19 mars 1965 Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage, req. n° 59061.
La juridiction retient par conséquent que :
« la propriété indivise des parties communes, au nombre desquelles figurent, en particulier, outre le gros œuvre de l’immeuble, les voies d’accès, passages et corridors, la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l’interdiction faite aux copropriétaires de s’opposer à l’exécution, même à l’intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l’assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un copropriétaire par une hypothèque légale sur son lot, sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu’avec les caractères des ouvrages publics ».
Ainsi, l’incompatibilité entre régime de la domanialité publique et copropriété est clairement établie. Néanmoins, l’opposition entre copropriété et la qualification d’ouvrage public est moins évidente et appelle à un développement spécifique.
2 La qualification d’ouvrage public écartée
La qualification d’ouvrage public répond traditionnellement à trois critères jurisprudentiels. L’ouvrage est un bien immobilier, résultant du travail de l’homme et affecté directement à un service public 5)CE 29 avril 2010 M. et Mme Béligaud req. n° 323179.
Dès lors, rien n’empêche de reconnaître un ouvrage public qui n’est pas implanté sur le domaine public. C’est par exemple le cas de chemins ruraux affectés à la circulation du public ou des HLM 6)CE 10 mars 1978 Office public d’HLM de Nancy, req. n° 04396.
Il reste que la notion bénéficie d’une certaine protection consacrée par le principe d’intangibilité de l’ouvrage public. Si l’interdiction de « porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité ou au fonctionnement du service » 7)TC 10 février 1949 Roubaud, Rec. Lebon p. 591 a été quelque peu remise en cause à travers la voie de fait 8)TC 6 mai 2002 M. et Mme Binet, req. n° 02-03.287 , le régime de la copropriété est, malgré tout, difficilement compatible avec le principe d’intangibilité de l’ouvrage public.
En effet, « l’interdiction faite aux copropriétaires de s’opposer à l’exécution, même à l’intérieur de leurs parties privatives, de certains travaux décidés par l’assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité », issue de la loi du 10 juillet 1965 telle que relevée dans l’arrêt commenté, paraît contraire au principe d’intangibilité de l’ouvrage public.
La domanialité publique et la notion d’ouvrage public écartées, le Tribunal des conflits ne peut que conclure à la compétence du juge judiciaire pour connaître des conclusions en indemnisation présentées par le syndicat des copropriétaires.
References
1. | ↑ | CE 11 février 1994 Compagnie d’assurances Préservatrice foncière req n° 109564 |
2. | ↑ | CE 23 janvier 2020 Commune de Bussy-Saint-Georges, req. n°430192 |
3. | ↑ | Cass. Civ. 1ère 25 février 2009 Commune de Sospel req. n° 07-15.772 |
4. | ↑ | CE 19 mars 1965 Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage, req. n° 59061 |
5. | ↑ | CE 29 avril 2010 M. et Mme Béligaud req. n° 323179 |
6. | ↑ | CE 10 mars 1978 Office public d’HLM de Nancy, req. n° 04396 |
7. | ↑ | TC 10 février 1949 Roubaud, Rec. Lebon p. 591 |
8. | ↑ | TC 6 mai 2002 M. et Mme Binet, req. n° 02-03.287 |