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CE 3 juillet 2025, req. n° 494622 : mentionné aux tables du recueil Lebon
La notion d’ouvrage public a, à plusieurs reprises, été précisée par le Conseil d’Etat. L’arrêt commenté du 3 juillet 2025 en est une illustration révélatrice en ce qu’il réaffirme l’autonomie de cette notion par rapport à celle de la domanialité publique. En effet, la haute juridiction y rappelle qu’un mur de soutènement peut être qualifié d’ouvrage public, même lorsqu’il est implanté sur une propriété privée, dès lors qu’il constitue l’accessoire indispensable d’un ouvrage public.
Cette qualification de l’ouvrage public n’est pas sans importance puisqu’elle détermine d’une part, le régime juridique applicable à l’ouvrage et, d’autre part, les responsables de l’entretien et des dommages causés par l’ouvrage.
En l’espèce, à la suite de la menace d’effondrement d’un mur édifié au début du XXème siècle, le maire de la commune de Saint-Forget a, par un arrêté du 23 juin 2016, mis en demeure les propriétaires de procéder aux travaux nécessaires, estimant que l’entretien du mur relevait de leur responsabilité. Puis, par lettre du 27 septembre 2019, le maire de Saint-Forget leur a demandé de permettre sans délai l’accès à leur propriété afin de réaliser, à leurs frais, les travaux commandés par la commune pour conforter la partie non effondrée du mur et mis à leur charge ces frais par quatre titres de recettes émis les 27 et 30 septembre 2019 et 21 octobre 2020. Les propriétaires ont contesté en justice cette décision, soutenant que l’entretien du mur de soutènement de la voirie publique ne leur incombait pas.
Le tribunal administratif de Versailles a, par un jugement du 29 mars 2022, répondu de manière favorable à leur demande et a annulé la décision et les titres de recette. A l’inverse, la cour administrative d’appel de Versailles, saisie par la commune de Saint-Forget, n’était pas du même avis et a annulé le jugement du tribunal, considérant que dès lors que le mur de soutènement en cause est la propriété des requérants, celui-ci ne saurait constituer l’accessoire de la voie publique située en surplomb de leur propriété ni présenter le caractère d’un ouvrage public. Les propriétaires ont alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat considère, sur les conclusions éclairantes de Madame le Rapporteur Publique Mme Dorothée Pradines, que le mur constituant le cœur du litige doit bien être qualifié d’ouvrage public, en raison de son lien physique avec la voirie communale qu’il soutient, et ce nonobstant le fait qu’il soit totalement implanté sur la propriété des requérants et soit donc une propriété privée. Ce faisant, le Conseil d’Etat applique la théorie de l’accessoire – théorie selon laquelle un ouvrage appartenant à une personne privée peut être qualifié d’ouvrage public dès lors qu’il s’avère indispensable au fonctionnement d’un autre ouvrage public.
Dans son considérant de principe, la haute juridiction réaffirme que :
« La circonstance qu’un ouvrage n’appartienne pas à une personne publique ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse être regardé comme un ouvrage public s’il présente, avec un ouvrage public, un lien physique ou fonctionnel tel qu’il doive être regardé comme un accessoire indispensable de celui-ci » 1)V. en ce sens CE 16 décembre 2024, req. n° 490013.
Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle constante. En effet, le Conseil d’Etat a déjà estimé, à plusieurs reprises, qu’un mur de soutènement d’une voie publique, même implanté sur un terrain privé et surélevé dans le cadre de travaux privés, constituait un ouvrage public en tant qu’accessoire de cette dernière 2)CE 26 février 2016 SCI Jenapy, req. n° 389258.
Cette solution réaffirme ainsi la prééminence du critère fonctionnel sur le critère organique dans la qualification de l’ouvrage public.
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