Application et précisions des règles contentieuses en urbanisme et urbanisme commercial

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

April 2018

Temps de lecture

6 minutes

CE 7 mars 2018, req. n° 404079 : Rec

1. Contexte du pourvoi

Le 30 septembre 2015, le maire de Wissembourg a accordé à la SNC Lidl un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale pour réaliser un supermarché de 1.941 m² en face de la résidence secondaire de Mme A.
Celle-ci a formé un recours gracieux contre cette décision le 4 décembre 2015.
Cette demande ayant été rejetée par une décision du maire du 15 décembre 2015, la requérante a demandé l’annulation au Tribunal administratif de Strasbourg.
Les cours administratives d’appel étant compétentes en premier et dernier ressort pour connaître des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale 1) L.600-10 du C.Urb introduit par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014., par une ordonnance du 18 avril 2016, le Tribunal administratif de Strasbourg a transféré la requête à la Cour administrative d’appel de Nancy.
Entretemps, le maire a accordé un permis de construire modificatif à la SNC Lidl le 30 mars 2016.
Par un arrêt du 5 août 2016, la Cour administrative d’appel de Nancy 2) CAA Nancy 5 août 2016, req. n° 16NC0071. a, d’une part, estimé qu’elle n’était saisie que de conclusions dirigées contre le rejet du recours gracieux et rejeté comme irrecevable les conclusions dirigées contre le permis de construire initial, d’autre part, annulé la décision du 15 décembre 2015 rejetant le recours gracieux de Mme A, au motif qu’un emplacement réservé affecté à la réalisation d’un parking pour poids lourds était institué sur le terrain d’assiette du projet envisagé par la SNC Lidl.
C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer.

2. La décision du Conseil d’Etat
Cet arrêt apporte plusieurs précisions.

2.1 Sur les conclusions dirigées contre le seul rejet du recours gracieux
Dans cette affaire, la requérante avait saisi le tribunal de conclusions dirigées uniquement contre le rejet du recours gracieux.
Ce n’est que dans un second temps, après l’expiration du délai de recours contentieux, que la requérante avait formulé des conclusions expressément contre le permis de construire initial.
La Cour les a donc rejeté comme étant tardives.
Or, comme le rappelle le rapporteur public, Xavier Domino, « le recours gracieux doit être appréhendé par le juge administratif comme un acte transparent ou siamois de l’acte administratif attaqué » 3)Conclusions du Rapporteur public Xavier Domino sous l’arrêt CE 7 mars 2018, req. n° 404079 : Rec. C’est, en effet, ce que rappelle le Conseil d’Etat : « l’exercice du recours gracieux n’ayant d’autre objet que d’inviter l’auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d’un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l’autorité administrative ».
Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat a ainsi estimé qu’il appartenait à la Cour d’interpréter les conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, comme étant aussi dirigées contre le permis de construire initial.
Si cette pratique n’est pas nouvelle, le Conseil d’Etat rappelle ici le principe avec fermeté et annule l’arrêt de la Cour pour erreur de droit.

2.2 Sur les possibilités de régularisation spontanée d’un permis de construire en cours de procédure

Le fait qu’un permis de construire puisse faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance 4)CE 9 décembre 1994, SARL Séri, req. n° 116447 ; CE 2 février 2004, SCI la Fontaine de Villiers, req. n° 238315 ; L.600-5-1 C.Urb ou suite à une annulation partielle prononcée par le juge 5)L.600-5 C.Urb n’est pas nouvelle non plus.
L’intérêt de cette affaire réside ici dans le fait que ce n’est pas le permis de construire modificatif qui se soumet à la règle d’urbanisme méconnue mais c’est la collectivité qui a modifié la règle d’urbanisme pour permettre la réalisation du projet.
A la date du permis de construire initial, le terrain d’assiette du projet était grevé d’une servitude d’emplacement réservé fixée par le PLU intercommunal, pour la réalisation d’un parc de stationnement pour poids lourds.
Par une délibération du 8 février 2016, la commune a procédé à une révision simplifiée de son PLU pour supprimer cet emplacement réservé.
Ce faisant, le Conseil d’Etat a considéré que, contrairement à ce qu’a jugé la Cour administrative d’appel, l’arrêté du 30 mars 2016 délivrant un permis de construire modificatif, sur le fondement du PLU modifié, a emporté régularisation du permis de construire initial. L’illégalité résultant de la méconnaissance de la destination assignée à l’emplacement réservé en vue du stationnement des poids lourds ne pouvait donc plus être utilement invoquée.
Le Conseil d’Etat s’est toutefois assuré que la révision simplifiée du PLU n’était pas constitutive d’un détournement de pouvoir.
Sur ce point, Xavier Domino rappelait que la procédure de révision du PLU, même simplifiée, constitue un garde-fou dès lors qu’elle nécessite une enquête publique, un vote en conseil municipal et ouvre droit à des recours soit par voie d’action, c’est-à-dire directement contre la délibération approuvant la révision, soit par voie d’exception à l’occasion d’un litige contre le permis de construire. Il relevait également que l’intérêt public justifiant en l’espèce la servitude était limité.
C’est donc en suivant ces conclusions que le Conseil d’Etat a jugé qu’aucun élément ne permettait de considérer que la révision était en l’espèce intervenue pour un motif étranger aux attributions de la communauté de communes et ainsi qu’aucun détournement de pouvoir n’était établi.

2.3 Sur l’indépendance des législations
La requérante soutenait par ailleurs que la CDAC aurait dû de nouveau être réunie sur le fondement de l’article L. 752-15 alinéa 3 du code de commerce 6)« Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles, du fait du pétitionnaire, au regard de l’un des critères énoncés à l’article L. 752-6, ou dans la nature des surfaces de vente ». pour procéder à une nouvelle instruction du projet dès lors que le permis de construire modificatif contenait des modifications substantielles par rapport au projet sur lequel s’était prononcée la CDAC.
Sur ce point, le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions du code de l’urbanisme et du code du commerce sont indépendantes 7)Voir sur ce point, l’avis du Conseil d’Etat : CE 23 décembre 2016 req. n° 398077 : Publié au Rec. CE. Si là encore, ce principe n’est pas nouveau en matière d’aménagement commercial, il a été consacré par l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme 8)Exemples récents : CAA Marseille 5 mars 2018, req. n°16MA02991 : Inédit au Rec. CE ; CAA Marseille 26 mars 2018, req. n° 16MA03994 : Inédit au Rec. CE, introduit par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 :

► Les personnes mentionnées à l’article L.752-17 du code de commerce (concurrents du projet par exemple) ne peuvent contester un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, qu’en tant que ce permis tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale. Tout moyen relatif à la régularité du permis de construire en tant qu’il vaut autorisation de construire est irrecevable.

► Les personnes mentionnées à l’article L. 600-1-2 (voisins) ne peuvent contester un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, qu’en tant que ce permis tient lieu d’autorisation de construire. Tout moyen relatif à la régularité du permis de construire en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale est irrecevable.

En application de ces dispositions, le Conseil d’Etat considère que seuls les requérants mentionnés à l’article L. 752-17 du code de commerce peuvent utilement contester la modification substantielle du projet sur le fondement de l’article L. 752-15 alinéa 3 du code de commerce. Or, la requérante étant voisine du projet, ce moyen était irrecevable en l’espèce.
Conformément aux conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat considère donc que le moyen est inopérant. Ce nouveau principe constitue un revirement de jurisprudence dès lors que, jusqu’à présent, et avant la fusion des permis de construire et des autorisations d’exploitation commerciale, ce moyen était soulevé à l’encontre du permis de construire 9)CE 21 juin 1985 SCI La Dullague, req. n° 18969 ; CE 13 mars 1996 Société Sari Centres commerciaux, req. n° 127544 : Inédit au Rec. CE ; CE 20 mai 2005, req. n°258061 : Inédit au Rec. CE puisque c’est bien le permis, délivré sur le fondement d’une autorisation de la CDAC modifiée, qui est dans ce cas entaché d’irrégularité.

2.4 Sur l’article L.111-19 du code de l’urbanisme

Enfin, on notera que pour la première fois le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’appliquer l’article L.111-19 du code de l’urbanisme.

Pour mémoire, ces dispositions ont pour objet d’encadrer l’emprise au sol des surfaces de stationnement bâties ou non annexes d’un magasin de commerce de détail, d’un ensemble commercial ou d’un cinéma.

Elles prévoient que l’emprise des surfaces affectées aux aires de stationnement ne doit pas dépasser les ¾ de la surface de plancher affectée au commerce. La loi prévoit par ailleurs certaines déductions de surfaces.

Dans cette affaire, la surface de plancher de la construction projetée étant de 1.941 m², seule une surface de 1.455 m² maximum pouvait être affectée à l’aire de stationnement.

Pour le Conseil d’Etat, ces dispositions étaient respectées dès lors que le projet prévoyait seulement 34 m² de surfaces en enrobée (imperméabilisées) et 826,78 m² de surfaces de stationnement non imperméabilisées, qui comptent, d’après la loi, pour moitié de leur surface.
La surface à prendre en compte était donc la suivante : 34 + (826,78 / 2) = 447,39 m² soit bien moins que les 1 455 m² autorisés.

L’article L.111-19 du code de l’urbanisme était donc respecté.

Bien que cela ne ressorte pas clairement de la décision ni des conclusions de Xavier Domino, il semble que le juge ait uniquement tenu compte de la surface des places de stationnement proprement dite et non de l’ensemble de la voirie d’accès à ces places.

En cela, le juge s’est donc écarté de l’interprétation de l’administration retranscrite dans la fiche technique du ministère du logement et de l’habitat durable et dont il ressortait que l’ensemble de la voirie affectée à l’aire de stationnement devait être pris en compte dans le calcul.

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References   [ + ]

1. L.600-10 du C.Urb introduit par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014.
2. CAA Nancy 5 août 2016, req. n° 16NC0071.
3. Conclusions du Rapporteur public Xavier Domino sous l’arrêt CE 7 mars 2018, req. n° 404079 : Rec
4. CE 9 décembre 1994, SARL Séri, req. n° 116447 ; CE 2 février 2004, SCI la Fontaine de Villiers, req. n° 238315 ; L.600-5-1 C.Urb
5. L.600-5 C.Urb
6. « Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles, du fait du pétitionnaire, au regard de l’un des critères énoncés à l’article L. 752-6, ou dans la nature des surfaces de vente ».
7. Voir sur ce point, l’avis du Conseil d’Etat : CE 23 décembre 2016 req. n° 398077 : Publié au Rec. CE
8. Exemples récents : CAA Marseille 5 mars 2018, req. n°16MA02991 : Inédit au Rec. CE ; CAA Marseille 26 mars 2018, req. n° 16MA03994 : Inédit au Rec. CE
9. CE 21 juin 1985 SCI La Dullague, req. n° 18969 ; CE 13 mars 1996 Société Sari Centres commerciaux, req. n° 127544 : Inédit au Rec. CE ; CE 20 mai 2005, req. n°258061 : Inédit au Rec. CE

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