Remboursement des frais financiers en cas de nullité d’une DSP

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2013

Temps de lecture

5 minutes

CE 7 décembre 2012 commune de Castres, req. n° 351752.

Par deux conventions du 21 septembre 1990, la commune de Castres a délégué à la société Lyonnaise des Eaux France le service public de l’eau et le service public de l’assainissement.

Par un jugement du 9 mars 2006, le tribunal administratif de Toulouse a déclaré nulles ces deux conventions, a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Lyonnaise des Eaux France présentées sur le fondement de l’enrichissement sans cause et la responsabilité quasi-délictuelle de la commune et a, avant de statuer sur les conclusions de la société tendant à l’indemnisation des biens de reprise, ordonné une expertise aux fins de déterminer la consistance et la valeur desdits biens financés et remis à la commune.

Finalement, le tribunal administratif de Toulouse a, par un jugement du 6 février 2009, condamné la commune à verser à la société la somme de 479 162, 24 euros au titre des biens de reprise et, accessoirement, mis à sa charge les frais de l’expertise.

La commune de Castres a fait appel de ce jugement.

« Grand mal » lui en a pris puisque, par un arrêt du 9 juin 2011, la Cour a certes ramené à 273 052,77 euros la somme que la commune devait verser à la société au titre des biens de reprise, mais a en revanche condamné la commune à verser la somme –non négligeable– de 27 726 930 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

La commune de Castres a donc saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi.

Le Conseil d’Etat a, par une décision juridictionnelle du 15 février 2012, décidé de n’admettre que partiellement le pourvoi en cantonnant l’admission aux conclusions de la commune dirigées contre l’arrêt de la Cour en tant que celui-ci, pour arrêter le montant de l’indemnité mis à la charge de la commune sur le fondement de l’enrichissement sans cause, a pris en compte les frais financiers pour l’évaluation des dépenses utiles exposées par la société Lyonnaise des Eaux France.

Le Conseil d’Etat va, par sa décision du 7 décembre 2012, donner raison aux juges du fond bordelais :

 « Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat a été écarté par le juge peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; qu’il peut notamment, s’agissant d’une délégation de service public, demander le remboursement des dépenses d’investissement qu’il a effectuées et relatives aux biens nécessaires ou indispensables à l’exploitation du service, à leur valeur non amortie et évaluée à la date à laquelle ces biens font retour à la personne publique, ainsi que du déficit d’exploitation qu’il a éventuellement supporté sur la période et du coût de financement de ce déficit, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service public et que le coût de financement de ce déficit est équivalent à celui qu’aurait supporté ou fait supporter aux usagers le délégant ; que, dans le cas où le contrat est écarté en raison d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant, le cas échéant, de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre, il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé par la nullité ou l’annulation du contrat, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ».

Ainsi, et de manière somme toute classique[1], le co-contractant de l’administration peut fonder ses demandes indemnitaires sur :

  • L’Enrichissement sans cause (quasi-contractuel) qui oblige l’administration à rembourser les dépenses de son co-contractant qui lui ont été utiles ;
  • La responsabilité quasi-délictuelle qui, en cas de faute de l’administration, permet à son co-contractant d’obtenir réparation du dommage imputable à cette faute, à condition que l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procuré.

Concernant le terrain de l’enrichissement sans cause, et dès lors qu’on a affaire au cas particulier d’une délégation de service public, le Conseil d’Etat précise que peuvent être regardées comme des dépenses utiles  « le remboursement des dépenses d’investissement qu’il a effectuées et relatives aux biens nécessaires ou indispensables à l’exploitation du service, à leur valeur non amortie et évaluée à la date à laquelle ces biens font retour à la personne publique, ainsi que du déficit d’exploitation qu’il a éventuellement supporté sur la période et du coût de financement de ce déficit ».

La Cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en accordant également à la société Lyonnaise des Eaux France la somme correspondant « au coût de financement de ces déficits durant la période considérée, calculée selon la méthode et le taux retenus par l’expertc désigné par elle et qui n’était pas contesté par les parties ».

Si la référence « au coût de financement » semble large, le Conseil d’Etat fixe toutefois une condition : le déficit ainsi financé doit être « effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service public et que le coût de financement de ce déficit est équivalent à celui qu’aurait supporté ou fait supporter aux usagers le délégant ».

Cette solution n’allait pas nécessairement de soi.

En effet, si le Conseil d’Etat avait déjà adopté, peu ou prou, une solution similaire dans l’arrêt commune de Nogent-sur-Marne [2], il avait également jugé par la suite dans un arrêt société Decaux, mais s’agissant d’un marché public, que « les frais financiers engagés par la société pour assurer l’exécution du contrat ne peuvent être regardés comme des dépenses utilement exposés par le département »[3].

Encore une fois, et même s’il s’agit d’un arrêt non destiné à être publié au Recueil Lebon, on peine à déceler la logique qui se cache derrière le présent arrêt (remise en cause de la jurisprudence société Decaux, confirmation de la spécificité des DSP … Et quid alors des contrats de partenariat ? …). La suite au prochain épisode.

 


[1] CE 10 avril 2008 société Decaux, req. n° 244950 : publié au Rec. CE – CE 10 octobre 2012 commune de Baie-Mahault, req. n° 340647.

[2] CE 16 novembre 2005 Commune de Nogent-sur-Marne, req. n° 262360, publié au Rec. CE :« Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service ; que, dans le cas où la nullité du contrat résulte d’une faute de l’administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre il peut demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ».

[3] CE 10 avril 2008 société Decaux, req. n° 244950 : publié au Rec. CE.

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