Après avoir été qualifié de délégation de service public puis de marché public, le contrat portant sur l’exploitation des colonnes Morris est finalement… une convention d’occupation du domaine public

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2013

Temps de lecture

6 minutes

CE 15 mai 2013 Ville de Paris, req. n° 364593

Par un arrêt du 15 mai dernier, le Conseil d’Etat a arrêté la qualification du contrat d’exploitation des colonnes Morris en estimant qu’il constituait, finalement, une simple convention d’occupation du domaine public.

Pour mémoire, le litige intéressait la nature du contrat par lequel la ville de Paris a confié l’exploitation des colonnes Morris relevant de son domaine public à la société JC Decaux, par le biais d’une convention qu’elle avait qualifié elle-même de convention d’occupation domaniale. CBS Outdoor, concurrent évincé de l’attribution de ce contrat, contestait la légalité de la délibération autorisant la signature de ce contrat, passé sans publicité ni mise en concurrence.

Quand le tribunal administratif de Paris avait identifié dans ce contrat une délégation de service public 1) TA Paris 24 avril 2009 société CBS Outdoor, req. n° 0516044/6-1, la cour administrative d’appel de Paris l’avait, elle, qualifié de marché public 2) CAA Paris 17 octobre 2012 société CBS Outdoor, req. n° 09PA03922 que nous avions commenté sur ce blog. . En tout état de cause, les juges du fond ont considéré à deux reprises que le contrat répondait à un besoin de la ville de Paris, et qu’une contrepartie onéreuse existait.

Telle n’est pas l’approche du Conseil d’Etat, qui considère d’une part que le contrat ne répond pas aux besoins d’une activité assurée par les services municipaux parisiens, et d’autre part qu’il n’est pas conclu à titre onéreux.

Le contenu des messages que les colonnes et les mats porte-affiches peuvent recevoir est règlementé par les articles R. 581-45 et R. 581-46 du code de l’environnement : les colonnes ne peuvent supporter que l’annonce de « spectacles ou de manifestations culturelles », tandis que les mats porte-affiches ne peuvent être utilisés que pour l’annonce de « manifestations économiques, sociales, culturelles ou sportives ».

Le contrat exprimait des attentes plus spécifiques de la ville de Paris sur le contenu des messages supportés, puisqu’il exigeait que l’exploitant réserve une partie du mobilier urbain, qui plus est à des tarifs préférentiels, aux activités de théâtre et de cirque, ainsi qu’au cinéma d’art et d’essai.
Pour le Conseil d’Etat, « si cette affectation […], répond à un intérêt général s’attachant pour la Ville, gestionnaire du domaine, à la promotion des activités culturelles sur son territoire, il est constant qu’elle ne concerne pas des activités menées par les services municipaux ni exercées pour leur compte […]».

Cette démarcation ne facilitera décidément pas le travail de qualification contractuelle quotidien des praticiens : il s’agira de distinguer la réponse à un besoin d’une personne publique de la réponse à un intérêt général que présente une activité pour une personne publique pour identifier ou non un acte contractuel constitutif d’une commande publique.

Le juge relève également que le contrat en question n’aurait que pour objet de respecter les dispositions des articles R. 581-45 et R. 581-46 – alors pourtant que la ville de Paris avait exprimé des exigences supplémentaires à celles posées par ces dispositions. Au demeurant, les juges du fond avaient relevé que la délibération autorisant la signature de cette convention paraissait ériger cette activité de promotion culturelle en un véritable besoin de la ville de Paris auquel il était répondu 3) « […] Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’exposé des motifs de la délibération contestée : ” (…) La volonté de pérenniser et de renforcer la promotion de l’ensemble de l’activité culturelle parisienne a conduit à apprécier dans le cadre de la consultation une proposition de tarification de l’affichage destinée à garantir une pluralité de représentation des différents acteurs culturels et notamment une tarification préférentielle au profit des théâtres (…) ” ; qu’il résulte de ces motifs, ainsi que des stipulations précitées de la convention du 18 octobre 2005, qui fixent des contraintes dépassant, en tout état de cause, les obligations imposées par les articles 22 et 23 précités du décret du 21 novembre 1980 pour le type de mobilier urbain en cause et celles gouvernant, plus largement, l’occupation du domaine public, que l’objet de cette convention était, outre d’autoriser l’occupation en elle-même de ce domaine, de permettre la réalisation et la fourniture de prestations de service à la Ville de Paris pour la promotion d’activités culturelles […] » (CAA Paris 17 octobre 2012 société CBS Outdoor, req. n° 09PA03922 précité)..

Pour ce seul motif du défaut de réponse à un besoin de la ville de Paris qu’elle relève, la Haute juridiction exclut tout à la fois la qualification de marché public et celle de délégation de service public.

Toutefois, le juge ajoute à son analyse que le contrat n’aurait pas été conclu à titre onéreux, dans la mesure où « […] la convention ne prévoit ni la renonciation de la personne publique à percevoir des redevances ni la perception de redevances inférieures à celles normalement attendues du concessionnaire autorisé à occuper le domaine public aux fins d’y installer des supports publicitaires […] » et parce que « […] la seule circonstance que l’occupant exerce une activité économique sur le domaine ne peut caractériser l’existence d’un abandon de recettes de la part de la personne publique […] ».

Pourtant, si le Conseil d’Etat avait admis la qualification de marché public des contrats de mobiliers urbains en 2005, c’était notamment en raison du droit d’exploiter le mobilier à des fins publicitaires accordé à titre exclusif, conjugué avec l’exonération des redevances domaniales 4) « […] en contrepartie des prestations ainsi assurées par la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, la commune l’a autorisée à exploiter, à titre exclusif, une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l’a exonérée de redevance pour occupation du domaine public que la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’autorisation et l’exonération ainsi accordées constituaient des avantages consentis à titre onéreux par la commune en contrepartie des prestations fournies par la société alors même que ces avantages ne se traduisent par aucune dépense effective pour la collectivité […] » (CE 4 novembre 2005 Société Jean-Claude Decaux, req. n° 247299).. Il avait ainsi relevé que l’autorisation d’exploitation à des fins publicitaire constituait en elle-même un avantage et donc une contrepartie onéreuse. Même si en l’espèce, J-C DECAUX est effectivement redevable d’une redevance d’occupation domaniale, l’autorisation d’exploiter ce mobilier urbain reste particulièrement lucrative.

Il faut comprendre de cet arrêt que dès lors que le titulaire s’acquitte d’une redevance d’occupation domaniale « normale » (soit le paiement d’une redevance qui n’est pas inférieure à celle « normalement » attendue de l’occupant – ce qui suscitera, là encore, des difficultés d’appréciation), les autres avantages résultant de l’autorisation d’occuper le domaine public s’en trouveraient « neutralisés ».

Ce temps du raisonnement s’inscrit dans la logique du considérant de principe de l’arrêt « Jean Bouin » 5) «[…] Considérant, en troisième lieu, qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ;
Considérant que si, dans le silence des textes, l’autorité gestionnaire du domaine peut mettre en œuvre une procédure de publicité ainsi que, le cas échéant, de mise en concurrence, afin de susciter des offres concurrentes, en l’absence de tout texte l’imposant et de toute décision de cette autorité de soumettre sa décision à une procédure préalable, l’absence d’une telle procédure n’entache pas d’irrégularité une autorisation ou une convention d’occupation d’une dépendance du domaine public […]» (CE 3 décembre 2010 Ville de Paris Association Paris Jean Bouin, req. n° 338272, 338527).
: il est exact que la seule circonstance qu’une personne publique autorise l’exercice d’une activité économique sur son domaine public ne peut être assimilée en soi à une contrepartie onéreuse.

Néanmoins, il ne s’agissait pas ici seulement d’autoriser l’exercice d’une activité privée « lambda » sur une dépendance domaniale, mais bien d’autoriser l’utilisation d’un mobilier urbain spécifiquement affecté à l’activité de promotion culturelle, génératrice de revenus au moins conséquents. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la ville de Paris a organisé une mise en concurrence pour l’attribution de cette convention d’occupation domaniale : la conscience des enjeux financiers générés par certaines occupations domaniales amène les personnes publiques comme la doctrine à continuer de s’interroger sur la nécessité d’organiser une procédure publicité et de mise en concurrence pour leur passation 6) Voir par exemple C. VAUTROT-SCHWARZ, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans la délivrance des titres d’occupation domaniale », Contrats et Marchés publics n° 12, Décembre 2012, étude 8..

Une fois les qualifications de marché public et de délégation de service public écartées, le Conseil d’Etat retient que le contrat se contente d’autoriser l’occupation du domaine public, et partant, sa conclusion n’est soumise au respect d’aucune procédure de publicité et de mise en concurrence.
Cette décision, qui rappelle évidemment la saga « Jean Bouin », illustre la parfaite complexité du droit des contrats publics : l’affaire des colonnes Morris aura conduit de trois juges différents à retenir trois qualifications juridiques distinctes.

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References   [ + ]

1. TA Paris 24 avril 2009 société CBS Outdoor, req. n° 0516044/6-1
2. CAA Paris 17 octobre 2012 société CBS Outdoor, req. n° 09PA03922 que nous avions commenté sur ce blog.
3. « […] Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’exposé des motifs de la délibération contestée : ” (…) La volonté de pérenniser et de renforcer la promotion de l’ensemble de l’activité culturelle parisienne a conduit à apprécier dans le cadre de la consultation une proposition de tarification de l’affichage destinée à garantir une pluralité de représentation des différents acteurs culturels et notamment une tarification préférentielle au profit des théâtres (…) ” ; qu’il résulte de ces motifs, ainsi que des stipulations précitées de la convention du 18 octobre 2005, qui fixent des contraintes dépassant, en tout état de cause, les obligations imposées par les articles 22 et 23 précités du décret du 21 novembre 1980 pour le type de mobilier urbain en cause et celles gouvernant, plus largement, l’occupation du domaine public, que l’objet de cette convention était, outre d’autoriser l’occupation en elle-même de ce domaine, de permettre la réalisation et la fourniture de prestations de service à la Ville de Paris pour la promotion d’activités culturelles […] » (CAA Paris 17 octobre 2012 société CBS Outdoor, req. n° 09PA03922 précité).
4. « […] en contrepartie des prestations ainsi assurées par la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, la commune l’a autorisée à exploiter, à titre exclusif, une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l’a exonérée de redevance pour occupation du domaine public que la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’autorisation et l’exonération ainsi accordées constituaient des avantages consentis à titre onéreux par la commune en contrepartie des prestations fournies par la société alors même que ces avantages ne se traduisent par aucune dépense effective pour la collectivité […] » (CE 4 novembre 2005 Société Jean-Claude Decaux, req. n° 247299).
5. «[…] Considérant, en troisième lieu, qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ;
Considérant que si, dans le silence des textes, l’autorité gestionnaire du domaine peut mettre en œuvre une procédure de publicité ainsi que, le cas échéant, de mise en concurrence, afin de susciter des offres concurrentes, en l’absence de tout texte l’imposant et de toute décision de cette autorité de soumettre sa décision à une procédure préalable, l’absence d’une telle procédure n’entache pas d’irrégularité une autorisation ou une convention d’occupation d’une dépendance du domaine public […]» (CE 3 décembre 2010 Ville de Paris Association Paris Jean Bouin, req. n° 338272, 338527).
6. Voir par exemple C. VAUTROT-SCHWARZ, « L’avenir de la publicité et de la mise en concurrence dans la délivrance des titres d’occupation domaniale », Contrats et Marchés publics n° 12, Décembre 2012, étude 8.

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