Une commune ne peut signer un protocole transactionnel en méconnaissance du principe interdisant aux personnes publiques d’octroyer des libéralités

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2015

Temps de lecture

4 minutes

CAA Versailles 13 mai 2015 Société Ameller et Dubois, req. n° 13VE03220

Par un arrêt en date du 13 mai 2015, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé l’annulation d’une délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de Noisy-le-Sec avait approuvé un protocole transactionnel signé avec la société Ameller et Dubois, candidate non retenue d’une procédure de concours restreint en vue du choix d’un maître d’œuvre pour la réhabilitation et l’extension d’un groupe scolaire de la commune.

    1 Le contexte de l’affaire

L’article 74 du code des marchés publics prévoit en ses paragraphes II et III que les marchés de maîtrise d’œuvre d’un montant égal ou supérieur aux seuils de procédure formalisée sont passés selon la procédure du concours, que ce concours est un concours restreint organisé dans les conditions définies à l’article 70 et que les candidats ayant remis des prestations conformes au règlement du concours bénéficient d’une prime. Quant à l’article 70 auquel il est ainsi renvoyé, il prévoit en son paragraphe VII que « Des primes sont allouées aux candidats conformément aux propositions du jury ».

En l’espèce, il était prévu, à l’article 5.5 du règlement du concours, que chaque candidat non retenu, mais ayant remis des prestations répondant au programme, recevrait une prime d’un montant de 60 000 euros.

Le même article prévoyait toutefois qu’en cas d’offre incomplète ou inappropriée, le maître de l’ouvrage pourrait réduire ou supprimer la prime en question sur proposition du jury.

C’est d’ailleurs ce qu’avait décidé initialement le jury qui avait limité la prime de la société requérante à 5 980 euros, ceci dès lors que cette dernière avait présenté un projet prévoyant la démolition totale du groupe scolaire existant, en méconnaissance de l’article 1.1 du règlement du concours qui prévoyait au contraire le maintien des constructions existantes.

Suite à un recours gracieux exercé par la société contre la décision du jury, la commune de Noisy-le-Sec est revenu sur cette dernière et a signé un protocole transactionnel aux termes duquel la société s’engageait à ne pas diligenter de recours contentieux relatif à la procédure de concours restreint, cela moyennant le versement par la commune, à titre d’indemnité, d’une somme de 41 860 euros, en sus des 5 980 euros déjà versés à titre de prime.

Tout comme les premiers juges, la cour administrative d’appel de Versailles, saisie par un conseiller municipal, a décelé dans ce protocole une libéralité octroyée par la commune.

    2 L’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités

En effet, en vertu d’une règle d’ordre public, une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas 1) CE Sect. 19 mars 1971 Mergui, req. n° 79962 : Rec. CE p. 235, concl. Rougevin-Baville.. Il est également interdit aux personnes publiques de consentir des libéralités ; ce dont résulte par exemple et notamment l’interdiction de prévoir, en cas de résiliation d’un contrat pour motif d’intérêt général, une indemnité manifestement disproportionnée par rapport au montant du préjudice subi 2) CE 4 mai 2011 Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n° 334280 : BJCP 2011/77, p. 285, concl. Dacosta, obs. C.M. ; Petites Affiches, 3 août 2011, p. 23, note Hoffmann..

Ces principes ont été transposés par le Conseil d’Etat, dans son avis contentieux Syndicat intercommunal des établissement du second cycle du second degré du district de l’Hay-les-Roses 3) CE avis 6 décembre 2002 Syndicat intercommunal des établissement du second cycle du second degré du district de l’Hay-les-Roses, req. n° 249153 : AJDA 2003/6, p. 280, obs. F. Donnat et D. Casas ; BJCP 2003/26, p. 54, obs. G. Le Chatellier ; CMP 2003/2, p. 20, obs. G. Eckert., au cas des transactions passées par l’administration en application de l’article 2044 du code civil pour prévenir ou terminer une contestation, les engagements pris en application de telles transactions ne devant pas constituer des libéralités :

    « […] d’une part, qu’en vertu de l’article 2052 du code civil, le contrat de transaction, par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître, a, entre ces parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ; qu’il est exécutoire de plein droit, sans qu’y fassent obstacle, notamment, les règles de la comptabilité publique ; que toutefois une transaction peut être déclarée nulle lorsqu’elle est dépourvue de cause ou qu’elle est fondée sur une cause qui, en raison de l’objet de cette convention ou du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite ; que, sous réserve que la transaction ait pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente, le juge, en présence d’un engagement transactionnel pris par une personne publique, vérifie que les parties ont consenti effectivement à la transaction, que l’objet de cette transaction est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu’elle ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public, en particulier la règle selon laquelle une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu’elle ne doit pas […] ».
    3 L’illégalité de la transaction conclue

Ce sont ces principes et cette solution dont a fait application la cour administrative d’appel de Versailles, au regard desquels elle a considéré que le protocole transactionnel signé par la commune était entaché de nullité dès lors qu’il résultait des pièces du dossier que la société n’avait fait valoir aucune intention d’action contentieuse et qu’en tout état de cause ladite action contentieuse aurait été dépourvue de toute chance de prospérer, la commune considérant même que les décisions d’éviction de la société et de réduction de sa prime étaient régulières. En d’autres termes, il n’y avait aucune raison d’indemniser la société 4) Sa prestation n’étant pas conforme, il était même permis, au surplus, de s’interroger, au regard de l’article 74-III du code des marchés publics, sur la régularité de la prime de 5 980 euros qui lui avait été attribuée. et l’indemnité versée ne pouvait être que constitutive d’une libéralité. Il est en conséquence enjoint aux parties de résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut, de saisir le juge du contrat.

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References   [ + ]

1. CE Sect. 19 mars 1971 Mergui, req. n° 79962 : Rec. CE p. 235, concl. Rougevin-Baville.
2. CE 4 mai 2011 Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n° 334280 : BJCP 2011/77, p. 285, concl. Dacosta, obs. C.M. ; Petites Affiches, 3 août 2011, p. 23, note Hoffmann.
3. CE avis 6 décembre 2002 Syndicat intercommunal des établissement du second cycle du second degré du district de l’Hay-les-Roses, req. n° 249153 : AJDA 2003/6, p. 280, obs. F. Donnat et D. Casas ; BJCP 2003/26, p. 54, obs. G. Le Chatellier ; CMP 2003/2, p. 20, obs. G. Eckert.
4. Sa prestation n’étant pas conforme, il était même permis, au surplus, de s’interroger, au regard de l’article 74-III du code des marchés publics, sur la régularité de la prime de 5 980 euros qui lui avait été attribuée.

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