Les directives « commande publique » enfin votées au Parlement européen

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2014

Temps de lecture

6 minutes

Le Parlement européen a adopté le 15 janvier 2014, à une large majorité, les projets de directives européennes relatifs au paquet « commande publique ». Ont été votées deux directives intéressant les obligations de publicité et de mise en concurrence des marchés publics (la première s’applique aux secteurs classiques et la seconde aux secteurs spéciaux), ainsi que la directive encadrant pour la première fois en droit de l’Union européenne la passation des concessions de services et de travaux.

Ces projets officiellement approuvés par le Conseil le 11 février 2014 devront être transposés en droit interne dans un délai de deux ans.

Ces textes intègrent au niveau européen des notions que le droit français de la commande publique connaît déjà, tout en introduisant certaines innovations. Ils poursuivent des objectifs de simplification, de flexibilité et de sécurité juridiques.

1. S’agissant des marchés publics, les projets de directive ont d’abord pour objectif de simplifier les procédures de publicité et de mise en concurrence et de faciliter l’accès des PME à la commande publique.

Les projets de directives introduisent ainsi la notion d’allotissement 1) Article 46 du projet de directive marchés « secteurs classiques » ; article 65 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ». pour la passation des marchés publics, notion déjà bien connue du droit français. Les textes affirment ainsi que les pouvoirs adjudicateurs peuvent organiser un allotissement 2) S’ils n’allotissent pas, ils doivent simplement préciser les motifs de ce choix dans les documents du marché ou dans le rapport de présentation de la passation du marché.. Mais les directives autorisent également les Etats membres à rendre l’allotissement obligatoire : si cette obligation est déjà instituée pour les marchés publics français 3) Article 10 du CMP., la question se posera au moment de la transposition de ces directives pour les marchés soumis à l’ordonnance n° 2005-649, qui ne sont à ce jour soumis à aucune obligation d’allotissement 4) CE 23 décembre 2011 Etablissement Public d’aménagement Euroméditerranée, req. n°351505. Cependant, rien n’empêche pour autant d’organiser un allotissement (rép. ministérielle : JO 03/01/2013, p. 31, Q. n° 02391)..

Les projets prévoient également un nouvel encadrement formel de présentation des candidatures, le « document unique de marché » (DUM), qui constitue un ensemble de déclarations sur l’honneur relatives aux interdictions de concourir, mais également aux renseignements relatifs aux capacités professionnelles et financières : seul l’opérateur retenu devant fournir les documents originaux des justificatifs exigés 5) Article 59 du projet de directive marchés « secteurs classiques ». Ce mécanisme est déjà prévu pour les attestations fiscales et sociales des candidats à l’attribution des marchés publics (article 46 CMP). .

Dans un même souci de simplification, les textes visent également la généralisation de la communication électronique entre les acheteurs publics et les candidats 6) Article 22 du projet de directive marchés « secteurs classiques » et article 40 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ». – déjà largement engagée en France 7) Article 56 CMP..

Ensuite, les projets de directives intègrent différentes considérations sociales : ils évoquent la prise en compte par les critères d’attribution d’aspects sociaux liés à l’objet du marché 8) Article 67 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 82 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».. Le mécanisme des marchés réservés, déjà établis pour les structures permettant l’activité professionnelle des travailleurs handicapés 9) Article 19 de la directive 2004/18/CE et article 15 CMP., est étendu à celles se consacrant à l’intégration des travailleurs défavorisés, soit ceux en difficulté d’insertion professionnelle 10) Article 20 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 38 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».. Enfin, les services sociaux et assimilés, tels que notamment les services de mise à disposition de personnels d’aide à domicile, d’enseignement et de formation ou de sécurité sociale, relèveront quant à eux d’un nouveau régime de publicité et de mise en concurrence simplifié 11) Articles 74 et suivants du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 91 et suivants du projet de directive marchés « secteurs spéciaux »..

Enfin, plusieurs nouveautés sont introduites.

Est instituée une procédure de publicité et de mise en concurrence nouvelle, celle des « partenariats d’innovation » 12) Article 31 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 49 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».. Elle permet au pouvoir adjudicateur qui doit répondre à un besoin qui ne peut être satisfait par l’acquisition de produits, de services ou de travaux déjà disponibles sur le marché, de solliciter le marché concurrentiel pour travailler à développer la solution innovante susceptible de répondre à ses besoins pendant la procédure de publicité et de mise en concurrence. Ces partenariats devraient cependant être réservés en pratique à des situations spécifiques.

Dans le même état d’esprit, le projet de directive marchés « secteurs classiques » organise le recours à une procédure concurrentielle avec négociation (aux côtés du dialogue compétitif et des partenariats d’innovation), possible dans les cas visés à l’article 26 de la directive, qui recouvre des situations de besoins en innovation, de complexité rendant nécessaire la négociation, d’impossibilité de définir ses besoins par référence à des spécifications techniques, ou la suite d’un appel d’offres infructueux. Les discussions sont encadrées et ne pourront pas porter sur les exigences minimales concernant la nature du marché, ni sur les critères d’attribution ou leur pondération, éléments intangibles.

Par ailleurs, et il s’agit là d’une nouveauté, les projets de directive excluent de leur champ d’application certains marchés de services juridiques, qui se trouvent expressément exemptés du respect de toute obligation de publicité et de mise en concurrence 13)Article 10 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 21 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ». . C’est notamment le cas des missions de représentation en justice par un avocat dans le cadre de contentieux devant les juridictions internes ou internationales, mais également des conseils juridiques prodigués en vue de la préparation de tels contentieux ou quand existent de fortes probabilités qu’un contentieux naisse.

Pour les autres services juridiques (notamment le conseil juridique sans lien avec un contentieux), les projets de directives ne leur sont applicables qu’à compter des seuils (conséquents) de 750 000 EUR pour les secteurs classiques 14)Article 74 ainsi que l’annexe XIV du projet de directive marchés « secteurs classiques ». et d’1 million EUR pour les secteurs spéciaux 15)Article 91 ainsi que l’annexe XVII du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».. Par ailleurs, au-delà de ces seuils, la passation de tels marchés est soumise au régime simplifié institué pour les services sociaux et d’autres services spécifiques 16)Articles 74 et suivants du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 91 et suivants du projet de directive marchés « secteurs spéciaux »..

Conformément à la directive 2004/18/CE, l’article 30 du CMP s’applique expressément aux marchés de services juridiques, dont la passation n’est toutefois soumise qu’au respect une procédure de publicité et de mise en concurrence adaptée 17)Le Conseil d’Etat a validé ces dispositions du CMP en considérant que « si la représentation en justice par les avocats est régie par des principes relatifs notamment au respect du secret des relations entre l’avocat et son client et à l’indépendance de l’avocat, aucun de ces principes ne fait obstacle à ce que la conclusion d’un contrat entre un avocat et une collectivité publique pour la représentation en justice de celle-ci soit précédée d’une procédure de mise en concurrence préalable dès lors qu’elle est compatible avec ces principes » (CE 9 juillet 2007 Syndicat EGF-BTP et a., req. n° 297711) ., quel que soit leur montant. Il conviendra donc de rester attentif à l’économie de la transposition qui s’organisera sur ce point, la question se posant notamment de savoir si les pouvoirs publics français exonéreront effectivement les marchés de prestations juridiques de toute obligation de mise en concurrence, ou si le principe actuel sera malgré tout conservé.

2. S’agissant des concessions, le projet de directive encadre plutôt souplement la passation de ces contrats, et les observateurs ont ainsi salué le respect du modèle du service public français.

La directive évoque la liberté encadrée des Etats membres, à qui il appartient de définir la notion de SIEG « conformément au droit de l’Union » et d’arrêter le financement de ces services « conformément aux règles relatives aux aides d’Etat ».Le champ d’application de la directive intéresse aussi bien les concessions de services que les concessions de travaux 18)Article 1er du projet de directive « concessions »., qui sont donc extraites de la directive « marchés publics ».

Le principe posé offre aux personnes publiques une liberté de choix dans l’organisation de la procédure de passation de leurs concessions 19)Article 30 du projet de directive « concessions »., sous réserve du respect des principes essentiels du droit européen de la commande publique, mais aussi des règles édictées par la directive.

Le projet encadre ainsi les méthodes d’attribution des concessions : ce n’est que si les candidatures sont régulières et que les offres sont conformes aux exigences minimales énoncées par la personne publique qu’elle peut appliquer les critères d’attribution initialement définis 20)Article 37 du projet de directive « concessions ».. Si la directive exige que les critères d’attribution de la concession soient mentionnés préalablement au lancement de la procédure, elle ne rend pas leur pondération obligatoire, ce qui rejoint l’approche du juge français à l’égard des critères de choix du délégataire de service public 21)CE 23 décembre 2009 Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, req. n° 328827..

Le projet entend garantir une certaine flexibilité en permettant le recours à la négociation avec les candidats, à condition que l’objet de la concession, les critères d’attribution et les exigences minimales ne soient pas modifiés au cours de ces échanges 22)Article 37 du projet de directive « concessions »..

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1. Article 46 du projet de directive marchés « secteurs classiques » ; article 65 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
2. S’ils n’allotissent pas, ils doivent simplement préciser les motifs de ce choix dans les documents du marché ou dans le rapport de présentation de la passation du marché.
3. Article 10 du CMP.
4. CE 23 décembre 2011 Etablissement Public d’aménagement Euroméditerranée, req. n°351505. Cependant, rien n’empêche pour autant d’organiser un allotissement (rép. ministérielle : JO 03/01/2013, p. 31, Q. n° 02391).
5. Article 59 du projet de directive marchés « secteurs classiques ». Ce mécanisme est déjà prévu pour les attestations fiscales et sociales des candidats à l’attribution des marchés publics (article 46 CMP).
6. Article 22 du projet de directive marchés « secteurs classiques » et article 40 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
7. Article 56 CMP.
8. Article 67 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 82 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
9. Article 19 de la directive 2004/18/CE et article 15 CMP.
10. Article 20 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 38 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
11. Articles 74 et suivants du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 91 et suivants du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
12. Article 31 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 49 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
13. Article 10 du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 21 du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
14. Article 74 ainsi que l’annexe XIV du projet de directive marchés « secteurs classiques ».
15. Article 91 ainsi que l’annexe XVII du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
16. Articles 74 et suivants du projet de directive marchés « secteurs classiques », article 91 et suivants du projet de directive marchés « secteurs spéciaux ».
17. Le Conseil d’Etat a validé ces dispositions du CMP en considérant que « si la représentation en justice par les avocats est régie par des principes relatifs notamment au respect du secret des relations entre l’avocat et son client et à l’indépendance de l’avocat, aucun de ces principes ne fait obstacle à ce que la conclusion d’un contrat entre un avocat et une collectivité publique pour la représentation en justice de celle-ci soit précédée d’une procédure de mise en concurrence préalable dès lors qu’elle est compatible avec ces principes » (CE 9 juillet 2007 Syndicat EGF-BTP et a., req. n° 297711) .
18. Article 1er du projet de directive « concessions ».
19. Article 30 du projet de directive « concessions ».
20, 22. Article 37 du projet de directive « concessions ».
21. CE 23 décembre 2009 Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, req. n° 328827.

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