L’encadrement de la faculté pour un candidat à l’attribution d’un marché public de se prévaloir des capacités d’autres entités

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2016

Temps de lecture

7 minutes

CJUE 7 avril 2016 Partner Apelski Dariusz c/ Zarząd Oczyszczania Miasta, aff. C-324/14

La Cour de justice de l’Union européenne parachève une jurisprudence byzantine relative aux possibilités pour les opérateurs économiques candidats à l’attribution d’un marché public de faire valoir, dans le cadre de la directive 2004/18/CE, les capacités, notamment techniques et/ou professionnelles, d’autres entités et relève en quoi la directive 2014/24/UE diffère sur ce point. Elle apporte également deux précisions quant à la modification des offres déposées et au régime des enchères électroniques.

    1 La faculté de faire valoir les capacités d’autres entités sous l’empire de la directive 2004/18/CE

1.1 Les candidats à l’attribution d’un marché public (de travaux, fournitures ou services) doivent voir leurs capacités économiques, financières, professionnelles et techniques examinées par le pouvoir adjudicateur afin de s’assurer qu’ils seront à mêmes d’exécuter le marché si celui-ci leur est attribué.

La jurisprudence a toutefois de très longue date admis, sans que cela soit alors expressément prévu par les textes, la faculté pour un candidat de se prévaloir, à l’appui de ses propres capacités, des capacités d’autres entités à condition d’établir qu’il aura effectivement la disposition des moyens de ces entités 1) CJCE 14 avril 1994 Ballast Nedam Groep NV, aff. C-389/92 : possibilité, sous l’empire de la directive 71/305/CEE du 26 juillet 1971 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, pour une société holding de se prévaloir des capacités de ses filiales à condition de prouver qu’elle en aura la disposition. – CJCE 18 décembre 1997 Ballast Nedam Groep NV, aff. C-5/97 : lorsqu’il est établi que la holding a la disposition des moyens dont elle se prévaut, le pouvoir adjudicateur est dans l’obligation d’en tenir compte pour apprécier son aptitude à exécuter le marché. – CJCE 2 décembre 1999 Holst Italia SpA, aff. C-176/98 : transposition de ces solutions à la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services..

1.2 Cette jurisprudence a été ensuite retranscrite par la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, à la fois pour les capacités économiques et financières 2) Article 47 § 2 : « Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités à cet effet »., et pour les capacités techniques et/ou professionnelles 3) Article 48 § 3 : « Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur que, pour l’exécution du marché, il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités de mettre à la disposition de l’opérateur économique les moyens nécessaires »..

1.3 Par la suite, la Cour de justice est venue apporter quelques précisions complémentaires :

    ► Les dispositions précitées de la directive 2004/18/CE s’opposent à une disposition nationale qui interdit, en règle générale, aux opérateurs économiques participant à une procédure d’adjudication d’un marché public de travaux de faire valoir, pour une même catégorie de qualification, les capacités de plusieurs entreprises 4) CJUE 10 octobre 2013 Swm Costruzioni 2 SpA et Mannocchi Luigino DI, aff. C-94/12, point 38..
    ► Il ne saurait toutefois être exclu qu’il existe des travaux qui présentent des particularités nécessitant une certaine capacité qui n’est pas susceptible d’être obtenue en rassemblant des capacités inférieures de plusieurs opérateurs. Dans une telle hypothèse, qui constitue cependant une situation exceptionnelle, le pouvoir adjudicateur serait fondé à exiger que le niveau minimal de la capacité concernée soit atteint par un opérateur économique unique ou, le cas échéant, par le recours à un nombre limité d’opérateurs économiques, dès lors que cette exigence serait liée et proportionnée à l’objet du marché en cause 5) CJUE 10 octobre 2013, points 35-36..
    ► Le soumissionnaire est libre de choisir, d’une part, la nature juridique des liens qu’il entend établir avec les autres entités dont il fait valoir les capacités aux fins de l’exécution d’un marché déterminé et, d’autre part, le mode de preuve de l’existence de ces liens. Ceci exclut notamment qu’un pouvoir adjudicateur puisse imposer à un soumissionnaire qui fait valoir les capacités d’autres entités l’obligation, avant la passation du marché, de conclure avec ces entités un accord de partenariat ou de créer avec celles-ci une société en nom collectif 6) CJUE 14 janvier 2016 «Ostas celtnieks» SIA, aff. C-234/14, points 28 et 34. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7636..

1.4 Dans son arrêt Partner Apelski Dariusz du 7 avril 2016, la Cour apporte les compléments suivants :

    ► Le fait que la directive prévoit qu’un opérateur économique puisse faire valoir les capacités d’autres entités « le cas échéant », ne saurait être interprété en ce sens que ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’un tel operateur peut avoir recours aux capacités d’entités tierces (point 36).
    ► Dès lors que le soumissionnaire est tenu d’apporter la preuve qu’il dispose effectivement des moyens des entités qui ne lui appartiennent pas en propre et qui sont nécessaires à l’exécution d’un marché déterminé, il ne saurait faire valoir les capacités d’autres entités afin de satisfaire de manière purement formelle aux conditions requises par le pouvoir adjudicateur (points 37-38).
    ► Si le mode de preuve des liens noués avec l’entité tierce est en principe libre, le pouvoir adjudicateur peut, eu égard à l’objet d’un marché déterminé ainsi que des finalités de celui-ci, dans des circonstances particulières, aux fins de la correcte exécution de ce marché, indiquer expressément, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, des règles précises selon lesquelles un opérateur économique peut faire valoir les capacités d’autres entités, pour autant que ces règles sont liées et proportionnées à l’objet et aux finalités dudit marché (point 58).
    ► Il ne saurait être exclu que, dans des circonstances particulières, eu égard à la nature et aux objectifs d’un marché déterminé, les capacités dont dispose une entité tierce, et qui sont nécessaires à l’exécution d’un marché déterminé, ne soient pas susceptibles d’être transmises au soumissionnaire. Par conséquent, dans de telles circonstances, le soumissionnaire ne saurait se prévaloir desdites capacités que si l’entité tierce participe directement et personnellement à l’exécution du marché en question (point 41).

S’agissant de ce dernier point, il s’agissait, dans l’affaire en cause, de l’attribution d’un marché public relatif au nettoyage mécanique polyvalent des rues de la ville de Varsovie en hiver et en été avec salage et utilisation de chasse-neige, marché requérant des compétences spécifiques, une connaissance approfondie de la topographie de la ville, une capacité de réaction immédiate et l’utilisation d’une technologie particulière nécessitant un niveau d’expérience et une aptitude élevée à son emploi.

La société Partner, qui entendait se prévaloir des capacités d’une autre société basée à 230 km de Varsovie et dont la participation consistait dans le simple exercice d’activités de consultation et de formation, avait été exclue comme ne disposant pas de capacités suffisantes. Tout en renvoyant le jugement de l’affaire au juge national, la CJUE considère qu’au regard de l’objet du marché, il ne saurait être exclu qu’une telle participation de l’entité tierce, au surplus éloignée, soit insuffisante pour garantir à Partner la mise à disposition effective des moyens nécessaires à l’exécution dudit marché (points 43-47).

Dans ses conclusions, l’avocat général Nilo Jääskinen donne un autre exemple, relatif à la détection de maladies selon une technologie standard ou au contraire selon une technologie nouvelle et non conventionnelle, estimant que dans le second cas, le pouvoir adjudicateur pourrait être fondé à exiger que le soumissionnaire dispose lui-même des capacités pertinentes 7) Conclusions lues le 8 septembre 2015, point 32..

    2 La faculté de faire valoir les capacités d’autres entités sous l’empire de la directive 2014/24/UE

La directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE comprend un article 63 « Recours aux capacités d’autres entités » qui apporte diverses précisions mais également diverses modifications. Notamment :

    ► En ce qui concerne les critères relatifs aux titres d’études et professionnels visés à l’annexe XII, partie II, point f) de la directive, ou à l’expérience professionnelle pertinente, les opérateurs économiques ne peuvent avoir recours aux capacités d’autres entités que lorsque ces dernières exécuteront les travaux ou fourniront les services pour lesquels ces capacités sont requises.
    ► Lorsqu’un opérateur économique a recours aux capacités d’autres entités en ce qui concerne des critères ayant trait à la capacité économique et financière, le pouvoir adjudicateur peut exiger que l’opérateur économique et les autres entités en question soient solidairement responsables de l’exécution du marché.
    ► Pour les marchés de travaux, les marchés de services et les travaux de pose ou d’installation dans le cadre d’un marché de fournitures, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le soumissionnaire lui-même ou, en cas de groupement, par un participant dudit groupement.

Ces règles ont été transposées aux articles 45-VI, 48-II et 50 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.

Dans son arrêt du 7 avril 2016, la Cour de justice relève à cet égard que l’article 63 de cette directive apporte des modifications substantielles s’agissant du droit pour un opérateur économique d’avoir recours aux capacités d’autres entités dans le cadre d’un marché public, en introduisant des conditions nouvelles qui n’étaient pas prévues sous le régime juridique précédent (du fait de la possibilité d’exiger que l’entité tierce exécute certaines prestations). Elle en déduit que l’article 63 de la directive 2014/24 ne saurait être utilisé pour l’interprétation de l’article 48, paragraphe 3, de la directive 2004/18 (points 90-92).


    3 Autres apports de l’arrêt

3.1 La Cour rappelle d’abord (points 62-64) que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que l’obligation de transparence s’opposent à toute négociation entre le pouvoir adjudicateur et un soumissionnaire, ce qui implique que, en principe, une offre ne peut pas être modifiée après son dépôt, que ce soit à l’initiative du pouvoir adjudicateur ou du soumissionnaire. Tout au plus est-il admis que les données relatives à l’offre puissent être corrigées ou complétées ponctuellement, notamment parce qu’elles nécessitent à l’évidence une simple clarification, ou pour mettre fin à des erreurs matérielles manifestes 8) CJUE 10 octobre 2013 Manova, aff. C 336/12, points 31-36. Voir également Philippe Proot, Compléter les offres après leur remise : vers davantage de souplesse ?, Contrats publics n° 148, novembre 2014, p. 41..

La Cour précise ensuite que ces mêmes principes s’opposent donc à ce qu’un pouvoir adjudicateur accepte, après l’ouverture des offres, la demande d’un opérateur économique, qui a présenté une offre pour la totalité du marché, de prendre en considération son offre aux fins de l’attribution de certaines parties seulement de ce marché (points 67-70).

3.2 En cas de recours par le pouvoir adjudicateur à une enchère électronique, l’article 54, paragraphe 4, de la directive 2004/18 prévoit le droit de tout soumissionnaire ayant présenté une offre recevable d’être invité à participer à une l’enchère électronique afin de présenter de nouveaux prix et/ou de nouvelles valeurs.

La Cour de justice juge à cet égard que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination des opérateurs économiques exigent d’annuler et de réitérer une enchère électronique à la participation de laquelle un opérateur économique ayant présenté une offre recevable n’a pas été invité, et cela même s’il ne peut pas être constaté que la participation de l’opérateur exclu aurait modifié le résultat de l’enchère (point 81).

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References   [ + ]

1. CJCE 14 avril 1994 Ballast Nedam Groep NV, aff. C-389/92 : possibilité, sous l’empire de la directive 71/305/CEE du 26 juillet 1971 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, pour une société holding de se prévaloir des capacités de ses filiales à condition de prouver qu’elle en aura la disposition. – CJCE 18 décembre 1997 Ballast Nedam Groep NV, aff. C-5/97 : lorsqu’il est établi que la holding a la disposition des moyens dont elle se prévaut, le pouvoir adjudicateur est dans l’obligation d’en tenir compte pour apprécier son aptitude à exécuter le marché. – CJCE 2 décembre 1999 Holst Italia SpA, aff. C-176/98 : transposition de ces solutions à la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services.
2. Article 47 § 2 : « Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités à cet effet ».
3. Article 48 § 3 : « Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, faire valoir les capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre lui-même et ces entités. Il doit, dans ce cas, prouver au pouvoir adjudicateur que, pour l’exécution du marché, il disposera des moyens nécessaires, par exemple, par la production de l’engagement de ces entités de mettre à la disposition de l’opérateur économique les moyens nécessaires ».
4. CJUE 10 octobre 2013 Swm Costruzioni 2 SpA et Mannocchi Luigino DI, aff. C-94/12, point 38.
5. CJUE 10 octobre 2013, points 35-36.
6. CJUE 14 janvier 2016 «Ostas celtnieks» SIA, aff. C-234/14, points 28 et 34. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7636.
7. Conclusions lues le 8 septembre 2015, point 32.
8. CJUE 10 octobre 2013 Manova, aff. C 336/12, points 31-36. Voir également Philippe Proot, Compléter les offres après leur remise : vers davantage de souplesse ?, Contrats publics n° 148, novembre 2014, p. 41.

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