La consultation du service des domaines fondée sur l’article L. 2241-1 du CGCT ne présente pas le caractère d’une garantie au sens de la jurisprudence Danthony

Catégorie

Droit administratif général

Date

October 2015

Temps de lecture

7 minutes

CE Sect. 23 octobre 2015 Société CFA Méditerranée, req. n° 369113.

La consultation du service des domaines prévue au 3e alinéa de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) préalablement à la délibération du conseil municipal portant sur la cession d’un immeuble ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2000 habitants ne présente pas le caractère d’une garantie au sens de la jurisprudence Danthony.

    1 La consultation du service des domaines

Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) soumet un certain nombre de projets immobiliers des personnes publiques à la consultation préalable de l’autorité compétente de l’Etat, le cas échéant en renvoyant au code général des collectivités territoriales (CGCT). Ainsi, et pour s’en tenir aux seules collectivités territoriales, est-ce le cas en matière :

    ► d’acquisitions immobilières poursuivies par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics 1)Article L. 1211-1 du CG3P, renvoyant aux articles L. 1311-9 à L. 1311-12 du code général des collectivités (CGCT), qui énumèrent notamment les opérations concernées (baux et acquisitions à l’amiable, par adjudication, par exercice du droit de préemption ou par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique. ;
    ► de cessions d’immeubles ou de droits réels immobiliers 2)Article L. 3221-1 du CG3P, renvoyant aux articles L. 2241-1, L. 3213-2, L. 4221-4, L. 5211-37 et L. 5722-3 du CGCT. ;
    ► d’échanges d’immeubles ou de droits réels immobiliers 3)Article L. 3222-2 du CG3P, renvoyant aux mêmes articles du CGCT..

Quant à l’autorité compétente de l’Etat, elle est définie dans les dispositions réglementaires de l’un ou l’autre code et il s’agit du directeur départemental des finances publiques. En pratique, cette autorité est encore couramment dénommée « service des domaines » ou « service du domaine », conformément à l’appellation qu’employaient certains textes avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du CG3P.

Dans le cas particulier de la cession par une commune d’un immeuble ou d’un droit réel immobilier, l’article L. 2241-1 du CGCT énonce, dans sa rédaction actuellement en vigueur, à son troisième alinéa, que :

    « Toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vue de l’avis de l’autorité compétente de l’Etat. Cet avis est réputé donné à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la saisine de cette autorité ».
    2 La jurisprudence Danthony

L’article 70 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit dispose que :

    « Lorsque l’autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d’un organisme, seules les irrégularités susceptibles d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l’avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l’encontre de la décision […] ».

Cette règle a, ensuite, été considérée comme s’inspirant d’un principe général du droit que le Conseil d’Etat a dégagé quelques mois plus tard par son arrêt Danthony du 23 décembre 2011 4)CE Ass. 23 décembre 2011 M. Claude Danthony, req. n° 335033 : Rec. CE p. 649 ; RFDA 2012, p. 284, concl. Dumortier, note Cassia, et p. 423, note Hostiou. :

    « Considérant que ces dispositions [l’article 70 de la loi du 17 mai 2011] énoncent, s’agissant des irrégularités commises lors de la consultation d’un organisme, une règle qui s’inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte ».

Un vice de procédure tel que l’omission d’une consultation préalable obligatoire n’aboutira donc pas nécessairement à l’annulation de la décision prise.

Néanmoins, cet arrêt retient donc deux hypothèses (assortie d’une réserve relative au cas où le vice de procédure rejaillirait sur un vice d’incompétence, ce qui correspond au cas où est en cause un avis conforme) dans lesquelles le juge administratif doit accueillir le moyen tiré du vice de procédure invoqué et faire droit à la demande d’annulation :

    ► Ou bien le vice a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ;
    ► Ou bien le vice a privé les intéressés d’une garantie.

Pour l’application de cette seconde hypothèse, il faut donc déterminer si la procédure qui a été omise est ou non constitutive d’une garantie pour les intéressés et si ceux-ci en ont été privés.

    3 L’affaire soumise au Conseil d’Etat

La commune de Cabriès a décidé de conclure un bail emphytéotique administratif pour la construction d’un groupe scolaire (schématiquement, elle donne à bail pour une durée de 18 à 99 ans un terrain à une personne qui réalise sur celui-ci le groupe scolaire qu’elle met ensuite à disposition de la commune par le biais d’une seconde convention).

Ceci conformément à l’article L. 1311-2 du CGCT, lequel prévoit qu’un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet du bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, ce dernier article précisant que le bail emphytéotique de biens immeubles confère au preneur un droit réel.

Après consultation des entreprises et choix d’un groupement d’entreprises, le maire a interrogé le service des domaines sur la valeur vénale des parcelles objet du bail et le conseil municipal a alors approuvé, par délibération, le bail emphytéotique administratif et la convention de mise à disposition de la commune de l’école à construire et autorisé le maire à les signer.

Toutefois, si le maire avait bien consulté le service des domaines, il n’avait pas informé le conseil municipal de la teneur de son avis, en méconnaissance, donc, des dispositions de l’article L. 2241-1 du CGCT.

La délibération a été annulée sur recours d’une association, annulation confirmée en appel par la cour administrative d’appel, qui n’a cependant pas recherché s’il y avait lieu d’appliquer la jurisprudence Danthony.

    4 La question qui se posait

La consultation du service des domaines constituait-elle donc, pour les conseillers municipaux que cet avis avait pour objet d’éclairer avant qu’ils ne délibèrent, une garantie au sens de cette jurisprudence ?

Par le passé, mais avant l’arrêt Danthony, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que si les conseillers municipaux devaient connaître la teneur de l’avis du service des domaines, cela n’impliquait pas que le document rédigé par ce service leur soit remis 5)CE 11 mai 2011 Commune de Vélizy-Villacoublay, req. n° 324173 : Rec. CE p. 802 : « Considérant que s’il résulte, ainsi qu’il vient d’être dit, des dispositions précitées, alors en vigueur, de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, que la teneur de l’avis du service des domaines doit, préalablement à la séance du conseil municipal d’une commune de plus de 2 000 habitants durant laquelle la délibération relative à la décision de céder des immeubles ou des droits réels immobiliers doit être prise, être portée utilement à la connaissance de ses membres, notamment par la note de synthèse jointe à la convocation qui leur est adressée, elles n’imposent pas que le document lui-même produit par le service des domaines leur soit nécessairement remis avant cette délibération »..

Plus récemment, dans un arrêt du 23 décembre 2014, le Conseil d’Etat avait néanmoins expressément considéré, d’une part, que la consultation du service des domaines, en vertu du code de l’urbanisme, préalablement à l’exercice du droit de préemption par le titulaire de ce droit constituait une garantie tant pour ce dernier que pour l’auteur de la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) et, d’autre part, que la consultation du service des domaines non pas après réception des DIA, mais plusieurs mois auparavant, dans un cadre juridique différent s’agissant d’une acquisition envisagée à l’amiable, et concernant une partie seulement des parcelles sur lesquelles il a ensuite été envisagé d’exercer le droit de préemption, avait privé les intéressés d’une garantie 6)CE 23 décembre 2014 Communauté urbaine Brest métropole océane, req. n° 364785 et 364786 : Rec. CE p. 900..

Pour sa part, le Conseil constitutionnel avait eu l’occasion d’admettre que les dispositions autorisant le titulaire d’un contrat de partenariat à passer des baux et à constituer des droits réels sur une partie du domaine privé de la personne publique ne méconnaissaient pas la protection due à la propriété des personnes publiques, après avoir relevé que la possibilité, pour la personne publique, de consentir de telles autorisations n’avait pas pour effet de déroger à l’obligation de consulter le service des domaines 7)CC 24 juillet 2008, Décision n° 2008-567 DC, Loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat, cons. 23 à 29..

    5 La solution de l’arrêt du 23 octobre 2015

Au cas présent, le Conseil d’Etat répond par la négative, en jugeant que :

    « la consultation du service des domaines prévue au 3e alinéa précité de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales préalablement à la délibération du conseil municipal portant sur la cession d’un immeuble ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants ne présente pas le caractère d’une garantie ».

Il ajoute toutefois, au vu de la seconde hypothèse envisagée par l’arrêt Danthony, « qu’il appartient en revanche au juge saisi d’une délibération prise en méconnaissance de cette obligation de rechercher si cette méconnaissance a eu une incidence sur le sens de la délibération attaquée ». Et, sur ce point, il renvoie le jugement de l’affaire à la cour administrative d’appel.

Même si l’on n’est donc pas en présence d’une garantie, l’annulation sera encourue si l’absence d’avis ou l’absence d’information des élus quant à la teneur de l’avis des domaines devait avoir eu une influence sur le sens de leur vote.

Toutefois, même dans cette hypothèse, il resterait une ultime soupape, par le biais d’une régularisation de la délibération annulée, le conseil municipal pouvant valider rétroactivement la cession, après une consultation régulière des domaines 8)CE 8 juin 2011 Commune de Divonne-les-Bains, req. n° 327515 : BJCP 2011/78, p. 381, concl. Dacosta, obs. R.S. ; Contrats-Marchés publ., n° 304, note Pietri ; RJEP 2012, n° 4, note Bretonneau..

Ajoutons enfin que l’arrêt du 23 octobre 2015 a été rendu par la Section du contentieux ; il a donc une autorité supérieure à celui du 23 décembre 2014. Pour autant, il se borne à écarter l’existence d’une garantie dans le cadre d’une consultation des domaines effectuées sur le fondement de l’article L. 2241-1 du CGCT. La solution de l’arrêt du 23 décembre 2014, rendu au sujet d’une consultation des domaines effectuée sur le fondement du code de l’urbanisme, est donc peut-être encore d’actualité.

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1. Article L. 1211-1 du CG3P, renvoyant aux articles L. 1311-9 à L. 1311-12 du code général des collectivités (CGCT), qui énumèrent notamment les opérations concernées (baux et acquisitions à l’amiable, par adjudication, par exercice du droit de préemption ou par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique.
2. Article L. 3221-1 du CG3P, renvoyant aux articles L. 2241-1, L. 3213-2, L. 4221-4, L. 5211-37 et L. 5722-3 du CGCT.
3. Article L. 3222-2 du CG3P, renvoyant aux mêmes articles du CGCT.
4. CE Ass. 23 décembre 2011 M. Claude Danthony, req. n° 335033 : Rec. CE p. 649 ; RFDA 2012, p. 284, concl. Dumortier, note Cassia, et p. 423, note Hostiou.
5. CE 11 mai 2011 Commune de Vélizy-Villacoublay, req. n° 324173 : Rec. CE p. 802 : « Considérant que s’il résulte, ainsi qu’il vient d’être dit, des dispositions précitées, alors en vigueur, de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, que la teneur de l’avis du service des domaines doit, préalablement à la séance du conseil municipal d’une commune de plus de 2 000 habitants durant laquelle la délibération relative à la décision de céder des immeubles ou des droits réels immobiliers doit être prise, être portée utilement à la connaissance de ses membres, notamment par la note de synthèse jointe à la convocation qui leur est adressée, elles n’imposent pas que le document lui-même produit par le service des domaines leur soit nécessairement remis avant cette délibération ».
6. CE 23 décembre 2014 Communauté urbaine Brest métropole océane, req. n° 364785 et 364786 : Rec. CE p. 900.
7. CC 24 juillet 2008, Décision n° 2008-567 DC, Loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat, cons. 23 à 29.
8. CE 8 juin 2011 Commune de Divonne-les-Bains, req. n° 327515 : BJCP 2011/78, p. 381, concl. Dacosta, obs. R.S. ; Contrats-Marchés publ., n° 304, note Pietri ; RJEP 2012, n° 4, note Bretonneau.

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